Alors que de nouvelles élections législatives doivent être organisées trois ans plus tôt que prévu, on a demandé à un jeune Anglais de nous expliquer les enjeux les plus bouillants.
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Dear God ! La Première ministre britannique, Theresa May, a choqué à peu près tout le monde en annonçant la tenue d’élections législatives anticipées au mois de juin, alors qu’elles auraient normalement dû être organisées en 2020. Pour vous donner une idée du coup de tonnerre politique que ça représente, c’est un peu comme si le président de la République française annonçait que l’élection présidentielle était décalée de trois ans. Bref : it’s enormous. Qui mieux qu’un enfant du pays pour nous raconter ce qu’il s’y passe ? Afin de tenter de cerner un peu mieux les enjeux sous-jacents à ce coup de force, on a demandé à un jeune Britannique quelles étaient ses réactions à chaud.
George a 23 ans, il étudie le droit et, comme beaucoup, il n’avait rien vu venir : “C’est vraiment surprenant ! Theresa May a toujours dit qu’elle n’organiserait pas d’élections générales avant 2020, enfin je crois.” Et il a raison : depuis l’annonce de la Première ministre britannique, les médias britanniques s’en donnent à cœur joie pour ressortir toutes les fois où elle et son staff ont déclaré l’exact opposé : ici à la BBC, là au Telegraph, ici devant des journalistes, ou encore là. “Je pensais qu’avec le Brexit elle éviterait d’organiser de nouvelles élections, pour s’assurer un minimum de stabilité politique, tu vois”, poursuit notre ami George.
Mais justement, c’est bien le désir de stabilité qui semble avoir poussé la Première ministre à se fourvoyer ainsi : “C’est vrai qu’une victoire aux législatives sécuriserait sa position et lui garantirait plus de poids dans les négociations du Brexit.” Et du poids, elle va en avoir besoin. Après avoir déclenché l’article 50 du traité de Lisbonne, qui dicte la marche à suivre pour quitter l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni s’est engagé sur ce qui apparaît d’ores et déjà comme un interminable chemin de croix administratif. L’UE s’apprête à mener la vie dure aux diplomates britanniques, pas vraiment avantagés pour négocier de nouveaux traités du fait du déséquilibre économique entre les marchés anglais et européen.
“Je pense qu’ils vont gagner haut la main”
En appelant les Britanniques à s’exprimer dans les urnes une nouvelle fois, Theresa May pourrait donc jouer gros : “Une défaite des conservateurs aux élections législatives déstabiliserait fortement les négociations avec l’UE, explique George, sans toutefois y croire vraiment. Je pense qu’ils vont gagner haut la main, et même renforcer leur majorité parlementaire. Theresa May en a besoin. Sa majorité actuelle peut facilement être minée par de petits députés frondeurs qui tenteraient de lui mettre des bâtons dans les roues. Elle doit consolider tout ça.”
L’agenda européen pèse donc fortement sur l’agenda politique britannique, et la menace d’un Brexit chaotique pousse de nombreux électeurs à se réfugier sous les jupes des conservateurs. “Le pays pense avoir besoin d’un fort leadership en ces temps troublés, et à ce jour les conservateurs semblent être les plus aptes à l’offrir”, analyse l’étudiant.
Car côté opposition, les nouvelles législatives s’annoncent corsées : “Le Labour [l’équivalent du Parti socialiste français, ndlr] n’est pas en mesure de remporter beaucoup de voix, le parti est complètement à la dérive depuis quelque temps”.
Un coup de poker
À tel point que de nombreux députés estampillés Labour ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne tenteraient pas de briguer un nouveau mandat. Mais alors qu’est-ce qui pousse les dirigeants du parti à accepter la tenue de ces élections anticipées, tout en étant conscients qu’ils s’exposent à une raclée monumentale ? “Ils n’ont qu’à essayer, ou au moins faire semblant ! S’ils n’y vont pas, ils laissent le champ libre aux conservateurs, admettent qu’ils valent peanuts et sont incapables de gagner quoi que ce soit.” Vu comme ça…
La partie semble donc bien engagée pour Theresa May, même si une inconnue subsiste. La seule vraie surprise pourrait effectivement venir d’un retournement de veste électoral chez les (déjà) déçus du Brexit. “De nombreuses personnes qui ont voté pour le Brexit en juin 2016 disent qu’elles voteraient contre si on leur redemandait leur avis aujourd’hui. Ils pourraient donc exprimer ce ressentiment en votant pour une coalition de gauche au Parlement, et ainsi pousser pour une version plus soft du Brexit que ce que nous propose Theresa May.”
Il faut dire qu’avec la rhétorique anti-immigration inlassablement mise en avant depuis des mois par son gouvernement, la Première ministre s’est attirée l’inimitié d’une partie de cet électorat entre deux chaises. Pas sûr que cela suffise à faire basculer l’élection en juin prochain.