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Certains penseront que je suis aveuglé par ma situation de détenu, que je ne cherche qu’à dénoncer une injustice dont je crois être la victime. Ou encore que mon propos est dépourvu de tout caractère d’intérêt général, qu’il est influencé par une dépendance à tel ou tel produit et qu’il se veut une apologie de sa consommation. J’espère sincèrement vous convaincre du contraire. Je n’ai aucunement pour but de faire l’apologie de la consommation de drogue.
Simplement, ma détention et la fréquentation de la population carcérale m’offrent une vision plus précise de notre société. J’ai un regard accru sur le danger que représente un pays avec de plus en plus de gens n’ayant connu que l’illégalité, dealant dès le plus jeune âge, sans aucun sentiment d’appartenir à une communauté nationale. En étant un facteur majeur d’inégalités et de fracture dans notre pays, voilà ce que contribue à produire la législation actuelle sur les stupéfiants !
La législation actuelle, facteur majeur d’inégalités
Ce n’est pas un reproche, ni une accusation démagogique lancée pour désigner un responsable. C’est un constat. Un constat à partir duquel je souhaiterais qu’ensemble nous prenions les décisions qui s’imposent.
Pour l’expliquer simplement, sans pour autant être simpliste, l’interdiction de la vente de stupéfiants a historiquement concentré le trafic chez des populations ou quartiers moins favorisés, déjà particulièrement touchés par le chômage et, plus généralement, par les difficultés à trouver leur place au sein de la société française.
Le trafic a augmenté, sa répression aussi… mais le chômage et les inégalités également, touchant tout particulièrement ces quartiers de plus en plus ghettoïsés au fur et à mesure que l’État, sous toutes ses formes, signait l’abandon de son rôle auprès de leurs populations.
C’est probablement en cela, dans la combinaison et le dosage de ces éléments, que la situation française est unique. Elle est unique dans le sens où nous sommes le pays européen qui consomme le plus de cannabis, tout en étant l’un des plus répressifs.
Aujourd’hui, il est plus facile de trouver un dealer dans certains quartiers qu’un médecin, et paradoxalement le jugement moral exercé sur les consommateurs est toujours très présent dans certains milieux. Des milieux où, pourtant, on dénombre également des consommateurs.
Mais voilà, les “bons citoyens” n’ont pas envie de s’exprimer publiquement sur le fait qu’ils vivent constamment dans l’illégalité, ni de passer pour des drogués auprès de leurs cercles sociaux, familiaux ou professionnels. Et je les comprends !
Une législation aux effets pervers
À quoi bon se battre contre une législation dont on n’a pas l’impression de subir les effets pervers, qui ne semble pas entamer notre liberté individuelle et personnelle, tout ça au risque de s’exposer au jugement de personnes qui ne comprennent pas notre démarche, voire à des poursuites judiciaires ? D’autant plus que, quand on a pris l’habitude depuis l’âge de 18 ans ou moins d’être dans l’illégalité au quotidien, on n’a même plus l’impression d’enfreindre la loi quand on en a 35.
C’est ainsi qu’on se retrouve dans des situations où des consommateurs de stupéfiants montrent du doigt des quartiers et fustigent la violence liée au trafic qui y règne, alors qu’ils y contribuent indirectement… Le comble de cette hypocrisie. Car n’en déplaise à certaines figures politiques, la consommation et le trafic de drogue sont monnaie courante. Il faut dire que les deux sont relativement faciles, et que l’un amène assez logiquement à l’autre.
Prenons le cas d’un groupe de cinq amis, des jeunes supposés “bien sous tout rapport”, consommateurs de stupéfiants. Afin d’éviter qu’à tour de rôle chacun des cinq amis aille voir le dealer pour passer une commande, le groupe va réunir l’argent, et l’un d’entre eux va aller la récupérer pour tout le monde. Chacun des amis partagera avec ses autres cercles d’amis, qui lui demanderont d’où il tient sa drogue.
L’ami de base va rapidement être amené à fournir un tas de personnes, en se disant que ça lui permettra de consommer gratuitement. Et n’oublions pas la grande dégressivité des tarifs dans la vente de stupéfiants : on comprend alors d’autant plus la facilité avec laquelle on passe de consommateur à vendeur, et surtout, comment une personne qui n’évolue pas dans un milieu criminogène peut se retrouver dans la situation dans laquelle je suis aujourd’hui.
Les dangers de l’interdiction
Cette dégressivité des tarifs fait partie des nombreuses pratiques commerciales agressives qui favorisent le développement du trafic, mais aussi de la surconsommation. Je l’ai expérimentée, avec une certaine assiduité, et si vous posez la question aux consommateurs de stupéfiants, ils vous confirmeront cette réalité.
Une réalité qui a d’autres facettes tout aussi dangereuses. Aujourd’hui, un consommateur qui n’a pas les moyens d’assumer sa consommation va par exemple aller voir son dealer et faire un crédit qu’il remboursera à un moment déterminé.
Sauf que si pour une raison X ou Y, il n’est pas capable de rembourser son créancier et qu’il traite avec un dealer peu scrupuleux, il peut être victime de harcèlement ou de violences. S’il est malavisé, il réitérera l’opération auprès d’un ou plusieurs autres dealers, et accumulera ainsi dettes et menaces, jusqu’à un possible règlement de compte.
Cette pratique de vente, le crédit, n’existerait pas dans un processus de vente légalement encadré. Et comme la répression fait peser la menace d’une sanction pénale, en plus du jugement moral, elle permet difficilement à un consommateur dépassé par sa consommation de se déclarer auprès d’organismes compétents, ou à d’éventuelles victimes de violences de faire appel à la police quand leurs problèmes trouvent leur source dans une histoire de stupéfiants.
À mon sens, nombre de problèmes liés au trafic de drogue sont ainsi directement imputables à la clandestinité de la consommation et de la vente.
Il est donc évident que la logique répressive, telle qu’elle est pratiquée depuis les trente dernières années, a favorisé les comportements addictifs et la violence, et que seul un changement de législation peut enrayer ces mécanismes à la base, en offrant notamment un cadre légal à la vente de stupéfiants, comme c’est le cas pour l’alcool. Aussi, je m’oppose à cette théorie selon laquelle, en légalisant le cannabis, nous ne ferions que transférer automatiquement la criminalité vers d’autres secteurs.
D’autant plus que comme pour l’alcool, la consommation de cannabis est très clairement devenue une pratique cultuelle ancrée et banalisée en France. On en parle dans un prochain article.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau