Rencontre avec Anne & Julien, duo de curateurs derrière la revue d’art “outsider pop” HEY!, à l’occasion de leur nouvelle exposition.
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Il n y a pas grand monde en France qui saura aussi bien vous parler de contre-culture que le duo Anne & Julien. “Couple à la vie à la mort”, comme le dit Anne, ils sont aussi et surtout des visionnaires, journalistes engagés, commissaires d’exposition et créateurs de la revue HEY !, le premier magazine papier outsider à explorer la culture pop hors norme. À l’occasion de la sortie du 29e numéro de sa revue devenue culte, le duo inaugurait sa nouvelle exposition à la galerie Arts Factory, dans le 11e arrondissement de Paris.
Ce n’est pas leur première exposition et ce n’est absolument pas la dernière. Le projet HEY! d’Anne & Julien, vous le connaissez peut-être déjà, sans même le savoir. Vous aviez été nombreux à aller voir la passionnante exposition “Tatoueurs, tatoués” au musée du quai Branly, à Paris. C’était eux. Ou peut être aviez-vous vu l’une de leurs trois expositions à la halle Saint-Pierre ou assisté à l’un de leurs spectacles ?
Depuis sept ans, Anne et Julien publient HEY!, une revue d’art trimestrielle. Le duo, très tatoué et au look excentrique, est connu pour dénicher et présenter des nouveaux talents, souvent ignorés du circuit traditionnel de l’art. Ils cherchent à rendre visibles des artistes souvent underground et avant-gardistes, loin de l’art conceptuel que le monde des galeries et des institutions s’évertue à exposer.
Anne et Julien militent contre une culture unilatérale et normative en donnant de la visibilité à “l’autre pop culture”, la pop culture des contre-cultures en quelque sorte, à travers différents médiums, que ce soit le graphisme, la sculpture,la peinture, le street art, la bande dessinée, le poster rock ou le tatouage…
À l’occasion du 29e numéro de la revue, HEY! s’expose donc à la galerie Arts Factory, à Paris, en mettant à l’honneur 37 artistes internationaux et leurs œuvres, souvent inédites en France. Cette exposition qui ressemble à un véritable cabinet de curiosités, le duo la considère comme “une photographie de la multiplicité des univers que HEY! défend”.
On y découvre les travaux de personnalités atypiques : Hervé Bohnert, artiste autodidacte et boulanger de métier, qui produit des têtes de morts en dentelles, ou encore le Japonais Tagami Masakatsu, 29 ans, fils d’agriculteur qui se retranscrit sous forme de gravures et de sculpture des images qui le hantent. On découvre Daniel Martin Diaz, artiste mexicain qui s’est formé aux techniques anciennes de la peinture à l’œuf et à l’huile de résine pour illustrer sa vision ésotérique du monde, mais aussi les illustrations du tatoueur Mikael de Poissy, qui mélange art sacré du Moyen Âge et style traditionnel japonais. “Je mettrais peut-être trente ans à faire changer les choses pour que certains de ces artistes soit exposés dans les foires internationales, mais je continuerai”, nous confie Anne lorsqu’elle nous fait visiter l’exposition avec Julien. Fascinante, Anne est un véritable puits de connaissances sur les contre-cultures. On s’est posé quelques minutes pour discuter avec elle, retrouvez son interview ci-dessous.
Konbini | Bonjour Anne, tu peux me parler un peu de HEY! s’il te plaît ?
Anne | HEY! est un projet artistique à trois étages. Le premier, c’est vraiment la revue d’art, le QG, la base, le vaisseau amiral. Ensuite, il y a les expositions, parce que quand tu aimes la sculpture, la peinture, le dessin, tu sais bien que ce n’est pas parce que tu publies et que tu écris dessus que tu peux provoquer ce que tu vis quand tu es en face de l’œuvre, que tu peux provoquer cette expérience que l’œuvre mérite et que, toi, tu mérites en tant que spectateur. Donc, exposer les œuvres pour permettre aux gens de les voir en vrai est primordial. Et le troisième étage, c’est le spectacle car on a une troupe, HEY!, la compagnie. J’écris des spectacles et Julien s’occupe de toute la partie architecture sonore. On travaille avec des gramophones qui ne sont pas amplifiés, on est assez puristes. On est des gens obsessionnels et puristes, des gens un peu radicaux.
Avant de lancer HEY!, vous avez fait partie de quelles scènes alternatives ?
Wouuuuh… On a fait partie de la première scène punk parisienne de la fin des années 1970, mais aussi de la scène squat, on ne l’a pas quittéé de 1977 aux années 1990. On a été très gâtés, parce que les années 1980, c’était le début du digital en studio d’enregistrement, donc à cette époque on a vécu la transformation du reggae, le début du ragga, l’explosion du sound system, c’était vraiment très fort. C’était aussi le début du hip-hop, du pochoir à la française, le début de la figuration libre. Puis à la fin des années 1980, tu vois éclater les premières rave parties, l’explosion électronique, dans les années 1990, le rock alternatif français, les Bérurier noir… C’était la fête et c’est tout ce que je vous souhaite !
Vous entretenez quels rapports avec avec ces différentes scènes underground ?
On a toujours fait partie de tout, ça a toujours été notre truc, être à la fois des participants et des observateurs. On a toujours bossé comme ça et on peut pas imaginer les choses autrement. Pour nous, pour avoir la légitimité de parler d’une scène alternative, il faut que ce soit ta scène, sinon ce que tu écris est faux. On a appris notre métier de journaliste avec Jean-Francois Bizot [le directeur du célèbre magazine Actuel, fondateur de Radio Nova, ndlr]. On a fait du journalisme gonzo, c’est-à-dire que tu appartiens à une scène artistique, tu en es partie prenante et tu décides de la raconter. On a commencé dans des fanzines, des grafzines, puis ça a été la radio et la télé nationale. Ce qui nous fonde, c’est la rue, le reportage dehors. J’ai toujours refusé de faire “du desk” en rédaction. Nous, on décide d’intégrer l’histoire des cultures qui nous font vivre et que nous faisons vivre. Ça, c est notre histoire.
Donc avant de lancer HEY!, vous faisiez du reportage. C’est HEY! qui a provoqué le besoin de faire des expos ?
Avant HEY!, dans les années 1990, on avait une galerie d’art à Paris. Pendant deux ans, on a exposé du graffiti, de la bande dessinée, de l’art brut, de l’art outsider, etc. Tout ce que tu retrouves dans HEY!, tu le voyais déjà là. Puis, en 2004, on a fait la curation d’une exposition sur Miyazaki et Moebius, au musée de la Monnaie de Paris. Tu ne peux pas trop découper les choses chez nous, il y a un fil conducteur très fort. Disons qu’on a des obsessions, on sait ce qu’on aime et on a décidé de le défendre envers et contre tout, et on sait le défendre parce qu’on le vit, tous les moyens sont bons. Le postulat, il est là, et ça nous tient depuis l’adolescence.
Parlons de votre adolescence, justement…
Moi, j’ai eu une adolescence bruyante. Comme beaucoup d’adolescents, on a énormément souffert de l’idée qu’on était très différents et que cette différence était ce qu’il y avait à jeter à la poubelle parce que ce n’était pas vendable et que c’était difficilement compréhensible par l’extérieur. Ce que je défends dans HEY!, c’est le contraire. Je défends l’individu, je défends la différence, je dis “regarde par là, parce que c’est différent de toi et ce qui est différent de toi est intéressant”. Parce que ça va provoquer le dialogue et quand on provoque le dialogue, on évite la guerre.
Pour désigner l’art que vous exposez, vous utilisez l’expression “outsider pop”, tu peux m’en dire plus sur ce terme ?
C’est nous qui avons formulé ce terme. Nous avons vingt-cinq ans de journalisme derrière nous et nous connaissons très bien l’histoire des contre-cultures, de la critique rock et de la critique musicale en général, ainsi que l’histoire de la peinture. On comprend donc l’utilité de formuler une expression qui puisse désigner un mouvement, une famille, un courant, pour que les gens puissent comprendre immédiatement de quoi on parle. Effectivement, ça peut être très stigmatisant mais, si c’est bien fait, ce sont des choses qui restent, qui deviennent historiques et qui font du bien au mouvement que ça illustre.
Alors justement, c’est quoi ce style “outsider pop” de HEY! ?
HEY! est la formulation de toutes les connaissances que Julien et moi avons absorbées depuis que nous nous intéressons aux contre-cultures, c’est-à-dire depuis notre adolescence. Les esthétismes dans la contre-culture peuvent être très différents. Le dadaïsme est une contre-culture et la fripe en est une aussi. HEY! est une espèce d’émulsion, à la fois complexe et hétérogène. On peut dire qu’on a une esthétique très musicale. Un album de musique génial nous renverse de la même façon qu’une peinture géniale. On raisonne en termes d’énergie.
Vu qu’on parle d’art alternatif, quelles sont les alternatives selon toi ?
Je pense que l’alternative, c’est essayer dans son for intérieur de développer une pensée critique. Devant une pensée partagée par la majorité, il faut avoir le réflexe de considérer la pensée contraire pour comprendre où l’on se situe. Si à travers cette réflexion-là, on comprend qu’on ne peut pas comprendre, eh bien il faut aller chercher les clés. La connaissance, l’esprit critique, l’esprit de recherche, c’est la base.
L’alternatif, je pense qu’aujourd’hui, pour moi, c’est quelque chose qui n’est pas formulé. J’attends toujours d’avoir en face un interlocuteur qui amène une alternative dans ma pensée et c’est pour ça que j’aime dialoguer, que j’avance et même si je vieillis, je n’ai pas peur de vieillir : j’ai le sentiment que si tu vis comme ça, même à 90 ans tu n’es pas racornie.
Vous n’êtes pas très présents sur le Web, quelle est votre positionnement ?
HEY! s’est mis sur Facebook très tardivement, grâce à Zoé, qui fait partie mon équipe, qui a décidé qu’il fallait développer cette aspect. Mais ce qui m’intéresse, c’est la chair, je ne dis pas que j’ai raison ou que j’ai tort, mais je suis comme ça. HEY!, c’est une vision du monde qui veut créer des valeurs et qui replace l’individu au centre.
Vous êtes très à contre-courant de l’art conceptuel, actuellement très en vogue dans les galeries…
C’est profondément, offensivement et volontairement à contre-courant de l’art conceptuel. On ne propose pas du tout le même art contemporain. J’expose des œuvres qui n’ont pas besoin d’être expliquées, je milite pour des œuvres qui n’ont pas besoin de médiation. J’estime que les gens sont capables de savoir ce qu’ils ressentent devant quelque chose, après, c’est l’esprit de recherche : tu vas chercher toi-même la connaissance. On fait très attention à avoir des cartels très développés, c’est très important d’avoir les bio des artistes sous l’œil. Mais tout ce que tu vois là, tu n’as pas besoin de moi pour savoir si tu veux l’avoir dans ta chambre ou pas.
Pour finir, j’aimerais qu’on parle du hors-série de HEY!, intitulé “4 Degrees Art”, qui prend l’écologie pour thématique. Comment art et écologie peuvent-ils collaborer?
Il y a un an, on s’est dit que vu l’état de la planète, c’était pour nous invivable, qu’il n’était plus concevable de ne pas réagir en tant que citoyen. Mais comment réagir ? Parce qu’on est pas des éco-warriors – ou sinon, j’aurais une autre vie, mais ce n’est pas ce que je formule dans ma vie actuelle. Donc comment mettre ce que je suis et ce que je sais faire au service de ce sujet ?
Ce que je sais faire, c’est écrire, fédérer la planète artistique, monter des expositions et des spectacles. Donc, première étape, on a fait un hors-série où l’on a permis à tout un tas de très grands peintres de prendre la parole avec nous là-dessus. On y défend aussi un texte inconnu du grand public qu’on a décidé de faire connaître. Il s’agit de la Charte de la Terre. On bosse maintenant avec cette organisation internationale, qui est basée au costa rica, et j’espère que ça va prendre de l’ampleur.
Peut-on espérer une expo HEY! sur le sujet de l’art et de l’écologie ?
Faire une expo à ce sujet est inévitable. Ça se fera, en France ou ailleurs.
HEY! Gallery Show #1. Exposition du 17 mars au 22 avril 2017 à la galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne, Paris 11e.