Cet ovni conçu par Nintendo est tout sauf méprisable. Arguments à l’appui.
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Cher “post-millennial”*,
Tu ne connais probablement pas la Game Boy Camera. Enfin si, un peu quand même, le nom a déjà dû arriver jusqu’à tes oreilles. Mais, à moins d’avoir un grand frère ou une grande sœur qui l’aurait soigneusement conservée, ou bien d’avoir commis quelques emplettes sur eBay, tu n’as sans doute jamais tenu la chose entre tes mains. Le monde de l’image t’a directement déposé un smartphone entre les deux pouces. Ce n’est ni glorieux, ni déplorable, c’est comme ça.
La Game Boy Camera est née le 21 février 1998, il y a vingt ans et un jour. Pour l’occasion, le site A.V. Club a publié un long hommage, précis et argumenté, à ce qui serait “l’une des plus étranges et ingénieuses inventions de Nintendo”. Jeune détenteur d’une Game Boy Camera dès 1998 (à l’époque, j’avais douze ans et une belle Game Boy Pocket bleue), le texte m’a touché et il m’a semblé important de partager et de synthétiser cet éloge.
La Game Boy Camera était, sans même que l’on s’en doute à l’époque, incroyablement avant-gardiste. Le fait de pouvoir prendre des photos (de soi ou des autres), de les éditer, de les enrichir, de les animer, de les imprimer ou encore de les transférer avec un câble, rappelle (pêle-mêle et avant l’heure) les gifs animés, l’explosion des selfies agrémentés de filtres Snapchat, la réalité augmentée (aussi pauvre était-elle) et la pulsion du partage. En un mot, la Game Boy Camera annonçait la photo-sociabilité, qui allait devenir incontournable pour interagir avec ses proches ou sa famille.
La Game Boy Camera était également un ovni, aussi bien technologique qu’esthétique, ce qui explique qu’elle soit restée gravée dans les esprits : des photos en noir et blanc dans une résolution complètement dégueu de 128 x 112 pixels (les appareils photo numériques existaient pourtant déjà), l’impossibilité de connecter l’engin à un quelconque ordinateur (quelle absurdité), des animations ultra-kitsch (si ce n’est angoissantes), des jeux assez nazes, des sons et des animations psychédéliques, une interface utilisateur complètement contre-intuitive truffée de fonctionnalités cachées, etc.
Cher “post-millennial”, je comprends que tu sois tenté par la moquerie. L’iPhone X est mille fois plus impressionnant. Alors que le smartphone a changé le monde – et la photo – à tout jamais, la Game Boy Camera est presque une anomalie anecdotique dans l’histoire de la technologie. Mais la nostalgie est un sentiment que l’on ne contrôle pas. Sa saveur est douce et inaltérable. Comment ne pas s’attendrir devant ce groupe Flickr de 583 membres qui, dans une semi-confidentialité, partage en mode Game Boy Camera ses photos de chat ou de voyages ?
Cher “post-millennial”, ne te moque pas trop vite. Donnons-nous rendez-vous dans vingt ans, quand Snapchat sera mort et enterré, et voyons quelle sera ta réaction lorsqu’un émulateur, logé dans ton cerveau augmenté et agrémenté de réalité virtuelle, te permettra de redécouvrir l’appli qui aura accompagné ta jeunesse.
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*C’est comme ça que l’on a décidé d’appeler, dans ce papier, les personnes nées après l’année 2000. Si vous n’êtes pas “post-millennial”, l’article s’adresse aussi à vous. Peut-être même encore davantage.