Sonder l’âme avec Fictions de Jorge Luis Borges
Memento (2000)
“On compare facilement mes histoires avec celles de Philip K. Dick, mais Borges est un écrivain plus symbolique, il est moins difficile de s’en emparer. On compare souvent le cerveau humain à un ordinateur. C’est en réalité une mauvaise analogie car le cerveau a des capacités insoupçonnables, Borges l’avait compris depuis longtemps. Le cerveau reste un territoire idéal à explorer car tout est permis.” (Interview dans le journal Le Monde en 2010)
À voir aussi sur Konbini
Du point de vue du scénario, c’est un travail de virtuose. En plus du personnage amnésique interprété magistralement par Guy Pearce, Christopher Nolan questionne le temps et la mémoire dans la construction même de son film, faisant preuve d’une incroyable prouesse littéraire. Le film s’ouvre avec la fin de l’histoire, la dernière scène, puis le film progresse, de la scène Y à la scène Z, puis de la scène X à Y et ainsi de suite, la fin d’une scène recouvrant à chaque fois le début de la scène précédente (précédente dans l’ordre du film, mais en réalité suivante par ordre chronologique). Un kaléidoscope exigeant que le spectateur doit lui-même remettre en ordre sans jamais que ça l’empêche de s’identifier. Résultat : un des thrillers les plus aboutis de l’histoire du cinéma.
Déployer un thriller sombre avec Le Grand Sommeil de Raymond Chandler
Insomnia (2002)
Pour la seule et unique fois au cours de sa carrière, Christopher Nolan s’essaye au film noir classique. Mais il le fait de la plus géniale des façons, en jouant avec les codes du genre pour les détourner. Exemple le plus frappant : la manière avec laquelle il transforme les nuits pluvieuses de Raymond Chandler en une lumière blanche aveuglante, celle des jours sans fin d’Insomnia. Un chef-d’œuvre.
Construire des scénarios non-linéaires avec Le Pays des eaux de Graham Swift
Inception (2010)
Parce que derrière cette volonté de créer un film qui marquera son époque, il y a aussi un combat de coqs, un défi rempli d’orgueil, celui de réussir la prouesse d’empiler plus de timelines, de ramifications que Graham Swift dans son livre. D’où ces scènes mémorables de Cobb, le personnage principal interprété par DiCaprio, dévalant les niveaux de rêves comme de vulgaires escaliers jusqu’à atterrir dans les Limbes.
Cela résume quelque part toute l’ambition de Christopher Nolan, tutoyer avec son cinéma la puissance créatrice de la littérature.
Dissimuler un message politique avec Un conte de deux villes de Charles Dickens
The Dark Knight Rises (2012)
Du point de vue des personnages, l’influence est tout aussi forte, tout comme Bruce Wayne, Sydney Carton, le protagoniste de Dickens est orphelin. Et ils ne sont pas les seuls, les enfants à l’abandon peuplent le film. Certains de ces orphelins, attirés par la délinquance, évoquent même la toile de fond d’un autre roman de Dickens : Oliver Twist.
Hommage suprême de Christopher Nolan à l’œuvre de Dickens, la scène finale de The Dark Knight Rises. Bruce Wayne est mort, Gordon se tient devant sa tombe, un livre à la main et se prépare pour l’oraison funèbre : “Ce que je fais aujourd’hui est infiniment meilleur que tout ce que j’aurais fait dans l’avenir, et je vais enfin goûter le repos que je n’ai jamais connu.” Il vient de lire les phrases finales du roman de Charles Dickens, les dernières pensées de Sydney Carton, qui se prépare à l’ultime sacrifice pour sa ville. Un sacrifice tout à fait comparable à celui que fait Batman. C’est là qu’il exprime la foi qu’il a en sa ville, tout comme Batman déclare la confiance qu’il porte à Gotham City tout au long de la trilogie.
DC Comics feat Charles Dickens, fallait y penser. Nolan en a fait un hit.