Klub des Loosers : “La nouvelle vague du rap français, je m’en fous”

Klub des Loosers : “La nouvelle vague du rap français, je m’en fous”

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Crédits Photo : David Chreng

Voilà six mois, Klub des Loosers sortait son dernier album La fin de l’espèce. Alors que le groupe de rap originaire de Versailles est en tournée, on en profité pour leur poser quelques questions, en essayant de faire dans l’originalité. La musique, la nouvelle vague rap en France ou encore le Klub des 7 : Fuzati et Detect nous ont répondu avec ce qui fait leur identité : la franchise.

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Rassurez-vous : étant aussi blasé que vous par toutes ces entretiens qui se suivent et se ressemblent, j’ai tenté d’innover en leur parlant de ce qu’ils connaissent le mieux: la musique.

Comment êtes-vous arrivés à la musique dans votre vie ?

Fuzati : A sept ou huit ans, je squattais toute la journée devant la radio et je me faisais des cassettes et des mixtapes de ce qui passait sur la bande FM. J’ai toujours écouté de la musique et j’ai toujours écrit aussi. J’ai commencé à écouter du hip-hop vers 1988-1989, notamment du rap français sur Radio Nova. Au début des années 90, il y a pas mal de rap français qui m’intéressait et, vers 1996, je me suis mis à composer parce que ça regroupait ce que j’aimais : la musique et l’écriture. Et même si j’étais un versaillais et que je n’avais rien à voir avec le délire kaïra, c’était mon truc. C’est venu hyper naturellement vu qu’on s’est jamais dit que ça allait être un métier. C’est une passion et on continue de faire comme ça.

Vous avez aucune notion de solfège ?

Fuzati : J’ai fait trois ou quatre ans de piano. Après, ce que j’aime dans le hip-hop ,c’est ce côté self-made. Tu apprends tout seul en écoutant plein de disques et c’est comme ça que tu te fais ton oreille.

Detect : Pour nous deux, c’est la radio qui nous a amené à découvrir la musique.

Fuzati : Pour remettre les choses dans le contexte, à notre époque (Detect y ajoute un petit « nous les vieux »), il n’y avait pas Internet. On avait seulement six chaines télé… quoique j’avais même pas Canal +. Pas de magnétoscope. Le seul moyen c’était la radio.

Detect : Et les magasines et les fanzines.

Fuzati : Tu pouvais aussi appeler les standards de radio. C’est ce que je faisais : j’appelais Radio Nova et je leur demandais : « Vous avez passé quoi à 15h24 le Samedi ? » . Tu notais, t’allais à la Fnac et ils avaient jamais entendu parler du son. Ça parait surréaliste maintenant mais ça se passait comme ça !

Fuzati : Ouais. Tu le payais avec ton argent de poche, t’achetais un CD et du coup tu le saignais même s’il y avait deux chansons qui valaient le coup. Résultat : tu devais bien le choisir.

Detect : Les albums de De La Soul, le premier Wu-Tang, le premier album des Outkast… je les ai écoutés tellement en boucle qu’ils sont rayés à mort !

Fuzati : Pareil pour les clips. Tu voyais un clip et tu te disais que pendant deux mois, tu n’allais pas avoir la possibilité de le revoir.

Detect : De mon côté, mon cousin avait le câble et me faisait des cassettes de Yo MTV Raps. Tous les mois, j’en avais une d’une heure. Je les ai gardées : elles ont 20 ans.

On va parler influences. Fuzati, tu pourrais me citer tes cinq grands jazzmen ?

Fuzati : Alors… bizarrement, comme j’suis un digger, j’ai tendance à aller dans les trucs les pointus. Après je vais te citer les classiques comme Herbie Hancock, John Coltrane ou Miles Davis. Mais parce que je suis un connard d’élitiste, c’est pas ce que je vais écouter tout le temps : quand t’es un digger tu te dis que plus c’est rare mieux c’est. C’est parfois une connerie. Bien souvent, tu achètes cher des disques rares. Pourtant, quand tu te réécoutes un Coltrane, tu t’entends dire : « Putain ça défonce, j’ai payé cher pour rien ». Ces mecs comme Coltrane ne sont pas connus pour rien, ils ont amené un truc dans la musique. Quand ils ont commencé à tester le Fender Rhodes, à amener de l’électricité dans le jazz, ils se sont fait critiquer alors qu’ils apportaient un truc de dingue ! Quand tu vois la discographie de Herbie Hancock qui a traversé les époques, c’est incroyable !

Detect : Entre ses premiers albums sur Blue Note dans les années 50 à ce qu’il a fait dans les années 80, il a à chaque fois été précurseur dans tous les domaines.

Fuzati : McCoy Tyneraussi, le pianiste de Coltrane !

On va rentrer un peu dans votre oeuvre. Fuzati, avec La fin de l’espèce, tu es resté bloqué dans la parentalité. Et je sais que tu avais avais d’autres travaux à côté avec d’autres thèmes. Tu as l’intention de les sortir ? Çate manque pas de faire du hors-sujet ?

Fuzati : Si. Justement, le prochain album que je prépare, c’est comme un recueil de nouvelles : ce sera plein de petites histoires. Après, quand je fais un album qui s’inscrit dans la trilogie du Klub des Loosers, j’aime bien prendre un thème et tourner autour. Si les gens accrochent pas, ils accrocheront pas à l’album. Mais j’aime avoir un fil conducteur. Puis là, je trouvais qu’affirmer de ne pas vouloir d’enfant, de dire que la reproduction ça pourrait être dangereux à cause de la surpopulation, c’était comme aborder un sujet tabou. C’est ça qui m’intéresse avec le Klub des Loosers.

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Pour faire de la provocation ?

Non, pour appuyer là où ça fait mal, comme à l’époque de La Femme de Fer où je parlais de sexe entre handicapés. C’est un truc qui existe mais dont personne ne parle ! La même chose avec Poussière d’enfants. On ne voulait pas se moquer mais faire de l’humour avec sur des thèmes pas faciles. Pour le coup, La Fin de l’Espèce est plus dans le premier de degré.

T’as conscience que tes paroles peuvent avoir de l’impact et de l’influence sur les gens qui t’écoutent ? Est-ce que c’est quelque chose auquel tu penses quand tu composes ?

Fuzati : Je suis super égoïste : je fais des albums pour moi et [le reste], j’en ai rien à branler. A partir du moment où tu commences à penser aux gens, c’est biaisé. Je préfère faire un album où je me retrouve totalement et qui se vend peu qu’un album où j’aurais fait des compromis et qui marcherait bien. T’es paumé sinon. Personnellement, j’essaye pas de faire dans le nombrilisme. Il y a l’utilisation du « Je » mais l’important est d’être universel. Parler de ses petits problèmes personnels ça n’a pas d’intérêt. Dans Vive La Vie par exemple, je parlais de mes problèmes d’adolescents. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’ils ont eu une résonance auprès d’autres adolescents.

Donc ça a quand même eu une influence mine de rien ?

Fuzati : Et c’est là où c’est cool ! J’avais fait exprès dans Vive la Vie puis et dans mes autres albums de pas mettre de références. Je parle pas de Facebook ou de YouTube histoire que le truc soit le plus intemporel possible. J’aimerais bien que dans dix ans un jeune le découvre et se dise :

Ah putain, c’est cool un album sur l’adolescence !

Detect :  A aucun moment on pense aux personnes qui écoutent nos albums. Si tu le fais, si tu réfléchis à comment les gens vont réagir, comment ils vont le recevoir, c’est déjà foutu. Tu formates ton travail pour que les gens l’accueillent d’une façon bien spécifique.

Aujourd’hui, on est dans une société poussée vers le « J’existe ». Les gens vont aller sur Instagram pour montrer qu’ils bouffent un cake. Et vous, vous prenez le truc à contre-courant. Quelle image vous avez de cette société ?

Fuzati : En fait c’est avant tout un problème de génération. Personnellement, je n’ai pas de compte Facebook. Il y a un pour le Klub des Loosers, parce qu’on est un peu obligé. Et encore, on l’a fait y a huit mois ! Je pense qu’Internet est un outil à double-tranchant : les gens se regardent trop vivre et ne passent pas assez de temps à vivre. Et c’est encore plus le cas pour les artistes car ils sont obligé de faire les putes, d’avoir un Twitter de nous dire « J’ai mangé une pomme » ou « J’ai mal au ventre » ! Au Klub des Loosers, on n’est pas dans ça, j’ai un appareil photo mais je m’en sers jamas (rires) ! C’est peut-être parce qu’on est plus des spectateurs que des acteurs : je passe plus de temps à observer qu’à me dire « J’existe ».

Detect : La manière dont on a découvert la musique prend complètement à contre-pied tout ce qui se fait maintenant. Maintenant, l’image est parfois plus importante que la musique. Les auditeurs découvrent tout par l’image. Mais il faut avoir des images pour passer sur YouTube. Si tu n’en a pas, t’es rien.

Fuzati : Lorsqu’on achetait des maxis, on avait une pochette. On savait pas si le mec était blanc, noir, végétarien ou nazi. C’est aussi pour ça qu’il y a le masque. Même si tu n’as pas encore posé la question !

Au niveau du paysage musical français, l’expansion de Marble, le label de Para One, vous en pensez quoi ?

Detect : C’est cool ! Je t’avoue que je suis pas trop le truc.

Fuzati: Ca fait dix ans qu’on les a pas vu ces mecs. Les gens ont l’impression qu’on a évolué avec mais en fait, pas du tout : on les a très peu cotoyés.

Et Sound Pellegrino ?

Fuzati : Pareil. Orgasmic, on a renoué avec lui il y a pas longtemps. Il est d’ailleurs venu scratcher à la Gaité Lyrique. Mais ça fait dix ans qu’on les a pas vus. Et même à l’époque les gens avaient l’impression qu’il y avait une scène, mais… Para One, on ne les a pas croisés plus de dix fois dans notre vie. Teki Latex c’est pareil. On était comme des collègues de boulot, on s’appréciait mais on était pas potes. On n’est jamais parti en vacances ensemble, on s’est connu via la musique. L’Atelier c’était trois séances de studio. Je crache pas dessus du tout, mais c’était vraiment juste comme des collègues.

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Avec le Klub des 7, c’était quand même différent non ? Vous avez fait une tournée ensemble…

Fuzati : C’était pareil ! Tu sais une tournée, tu prends le train, tu dors dans le train, t’arrives, tu fais les balances… C’est un boulot la musique. T’es amené à bosser avec des gens, ça se passe plus ou moins bien et voilà. Moi c’est ma façon d’aborder la musique : on peut pas être pote avec tout le monde.

Pas de projets du genre Klub des 7 ?

Fuzati : Non, maintenant c’est Klub des Loosers à 100% !

Et sinon Fuzati : tu penses quoi de la nouvelle vague du rap français, popularisée avec les Rap Contenders, L’Entourage ou 1995 ?

Fuzati : Je suis pas tout ça, 1995. J’ai 30 piges, 1995 j’y étais et j’allais voir les X-Men en concert. Je comprends que des mecs de 20 ans kiffent, mais moi je m’en fous. En tant qu’auditeur, j’ai l’impression d’avoir entendu 10 000 fois ces trucs là. En 1995, on allait aux soirées CutKiller. Ça me fout un peu le cafard parce que j’me dis qu’on est en 2012 et des jeunes restent dans les années 90. Pourquoi ils amènent pas un truc de 2012 ? Après, tant mieux pour eux, mais en tant qu’auditeur j’irai pas les écouter ça parce que j’ai gardé toutes mes cassettes de l’époque et j’ai plein de freestyle de mecs sur Génération en 1996-1997 : c’est mille fois mieux que ces trucs là. Les mecs utilisent des samples qui sont super grillés, qui ont été pris par un milliard de gars… Peut-être que si j’avais 18 ans, j’adorerais.

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Texte originalement publié sur ACROSS THE DAYS. Écrit par  Ken Bruno. Car chaque semaine, Konbini s’associe à des blogs qu’on aime bien afin de publier des interviews et des chroniques.