En 2016, la pollution et le changement climatique menacent toujours davantage le fragile équilibre de la vie marine dont dépend l’avenir de notre planète. À l’heure ou L’Odyssée, premier long métrage consacré au commandant Cousteau, est sur le point de sortir en salles, Konbini a fait le point sur la situation avec Jean-Michel Cousteau, son fils, qui se bat pour la sauvegarde des océans.
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Fils aîné du célébrissime Commandant Cousteau et fervent écologiste depuis son enfance, Jean-Michel Cousteau vit en Californie depuis plusieurs années. À la tête d’Ocean Futures Society, une association écologiste qui regroupe scientifiques et bénévoles, il multiplie les initiatives pour alerter le public et les décideurs sur la nécessité d’agir très rapidement pour sauver les océans.
Reprenant le flambeau de son père, ce “jeune homme” de 78 ans continue un combat commencé presque quarante ans auparavant. Grâce à des conférences, des films, des articles et des livres, il milite inlassablement pour une meilleure gestion des ressources de la nature en se servant des mêmes armes que le commandant Cousteau. Et il y a du boulot tant la situation est grave et que l’urgence nous impose d’agir.
Konbini | Où en est-on aujourd’hui de la protection des océans ? Beaucoup de choses ont changé depuis l’époque de votre père ?
Jean-Michel Cousteau | Avant, on ne savait pas, donc on ne faisait rien. Aujourd’hui, on en sait de plus en plus grâce à la recherche, aux scientifiques, aux images que nous pouvons montrer au public. Il y a beaucoup de jeunes qui rejoignent ce combat. Ce sont les décideurs de demain et ils feront de bien meilleurs choix que nous. Il faut continuer de dialoguer avec les industriels et les gouvernements. Pas pour les montrer du doigt, mais pour atteindre leur cœur, chacun en a un. Ils ont des familles et des enfants. Leurs préoccupations sont à très court terme et, de notre côté, nous pensons à beaucoup plus long terme. Donc il faut arriver à faire le pont entre leurs responsabilités actuelles et l’avenir de leurs descendants.
À quel point la situation des océans a-t-elle empiré depuis l’époque de la Calypso ?
C’est définitivement beaucoup plus grave. Il ne faut pas oublier que, quand j’étais gamin, il y avait 2 ou 3 milliards d’individus sur notre planète. Maintenant, il y en a 7,4 milliards. Au cours de ma vie, le nombre d’êtres humains vivant sur Terre a plus que doublé. La pression sur la planète a augmenté considérablement, jusqu’à en arriver à un point qui dépasse la capacité du système océanique à créer de la vie. Il faut de plus en plus gérer nos ressources à la façon d’un manager d’entreprise.
Comment cela ?
Il faut gérer la planète comme on gère un business. Quand on a un capital, on ne peut vivre uniquement des intérêts produits par ce capital. Pour la planète, c’est le même principe. C’est simple en somme. Avant, nous étions des chasseurs. Et puis, un jour, nous sommes devenus des fermiers et des éleveurs. Nous nous sommes mis à cultiver des plantes et élever des herbivores. Uniquement des herbivores. Les carnivores coûtent trop cher en viande si on veut en faire l’élevage.
Quand on regarde la situation des océans, c’est la même chose. On prend plus que ce que la nature ne peut produire, donc il faut que nous puissions élever des poissons herbivores afin d’arrêter de pêcher à tout va. Et il y a énormément d’opportunités. N’oublions pas que quand vous achetez un poisson, vous ne payez pas le poisson. Vous payez les gens qui font le travail pour les attraper, les transporter, les congeler et les expédier là ou il faut. Ça coûte très cher. Mais maintenant on peut élever des poissons en circuit fermé. C’est le cas pour plusieurs espèces.
Ce serait donc la solution à la surpêche ?
Tout à fait. Il faut que nous élevions des poissons en circuit fermé, là où il y a de la demande, et en s’adaptant à celle-ci. Je connais des scientifiques qui savent faire cela très bien, que ce soit avec des poissons d’eau douce ou d’eau de mer. L’idée est d’élever juste ce qu’il faut de poissons pour nourrir les gens, pas plus. Il se trouve que les excréments des poissons servent à faire pousser des plantes qui sont ensuite mangées par ces poissons. Donc, c’est en circuit fermé : on recycle l’eau et ça marche très bien. J’ai mangé sept espèces de poissons des océans qui avaient été élevées en circuit fermé. On va y arriver.
Il faut créer les opportunités pour que nous puissions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver les océans. Nous sommes la seule espèce sur la planète qui a le privilège de ne pas disparaître en étant décimée par une autre espèce, parce que nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire. Mais la nature se fout complètement des destructions que nous provoquons et qui mettent notre propre espèce en danger. La planète, avec ou sans nous, continuera de tourner. Nous devons lutter pour notre survie.
“Je crois à la révolution des communications pour faire passer le message écologique”
A l’époque de votre père, le commandant Cousteau, y avait-il des initiatives de sauvegarde des océans ?
Tout au début, non. On découvrait. On a même fait des erreurs et des bêtises comme tout le monde. Et grâce aux scientifiques et à la connaissance des océans, nous avons de plus en plus pris conscience de l’impact de l’activité humaine. Il fallait trouver des solutions. Il a fallu une vingtaine d’années pour que nous nous rendions compte que nous avions un impact sur la qualité de la vie dans les océans et que, par ricochet, cela affectait chacun d’entre nous. Et comme il y a 100 millions d’individus de plus tous les ans sur la planète, le problème empire très vite. Je crois à la révolution des communications pour faire passer le message écologique.
Beaucoup de gens n’ont pourtant pas accès à Internet ?
J’ai parfois des appels d’Indiens très pauvres mais qui ont réussi à s’approcher d’un monsieur qui a un ordinateur et qui du coup s’en servent pour nous poser des questions. On est tous liés. Il y a une seule espèce humaine sur la planète et on peut aujourd’hui tous communiquer entre nous. Mais il y a un point très important, c’est qu’on ne peut pas éduquer des gens qui crèvent de faim. Donc il faut s’assurer que ceux qui sont mal nourris puissent l’être correctement afin que l’on puisse ensuite les éduquer. Et je suis certain que ces gens pourront prendre ultérieurement de biens meilleures décisions que nous. C’est pour ça que je crois vraiment à l’avenir grâce à cette révolution des communications.
Que manque-t-il aujourd’hui pour que la bataille pour la sauvegarde des océans soit définitivement gagnée ?
La science fait incontestablement partie des solutions. Il y a beaucoup de scientifiques qui travaillent aujourd’hui à reproduire des plantes ou des animaux, qu’ils soient terrestres ou venant des océans. Bien entendu, ce sont des herbivores. Il faut pouvoir gérer ça pour que ce soit économiquement viable. Il y a aussi le développement des nouvelles énergies, qui est en plein boom, avec des énergies qui vont être capturées par les courants, par le vent, par le soleil, par la différence de température entre les eaux très froides et les eaux moins froides. Toutes ces énergies peuvent être capturées et mises à la disposition de la planète et de l’espèce humaine. Nous vivons l’un des moments les plus extraordinaires de la présence des êtres humains sur Terre. Il ne faut pas oublier que, comparé à d’autres espèces, nous sommes là depuis très peu de temps. Les requins, notamment.
En quoi les requins sont-ils importants ?
Il faut les protéger car ce sont eux qui nettoient les océans et qui les gardent en bonne santé. Il faut arrêter de capturer 100 millions de requins par an pour leur couper leur aileron et leur queue afin de faire de la soupe. Il faut aussi se rendre compte qu’aujourd’hui, le mercure et le plomb qui sont présents dans la soupe d’ailerons de requins représentent pour les consommateurs une concentration très dangereuse de produits toxiques. On est en train d’apprendre des choses extraordinaires grâce aux scientifiques. Cela nous permet de communiquer avec les décideurs pour faire cesser la pêche et le commerce d’ailerons de requins aux États-Unis car c’est un business juteux dans certains états, notamment au Texas.
Je m’inquiète beaucoup pour les requins, car c’est leur fonction d’aller manger tout ce qui est mort. Ils nettoient les océans. Notre boulot, c’est communiquer toutes ces informations à nos adhérents et au public pour que les gens puissent prendre de meilleures décisions. C’est ce que nous faisons notamment au travers de nos films. L’année dernière, nous avons réalisé Secret Ocean avec les toutes dernières techniques et notamment l’utilisation de la 3D. Ce type de film permet au spectateur d’être au plus près de la vie marine. C’est essentiel pour comprendre qu’il faut sauver les océans.
L’Odyssée retrace la formidable aventure familiale, humaine et scientifique des Cousteau. Comment était la vie à bord de la Calypso ?
Quand j’étais gamin, avec mon frère on allait sur la Calypso parce que ma mère, qui était le vrai commandant du bateau, y était très souvent. Elle a passé plus de temps à bord de la Calypso que mon père, mon frère et moi réunis. Nous allions y passer toutes nos vacances. Puis, une fois devenus adultes, nous nous sommes retrouvés dans les équipes de la Calypso. On travaillait pour mon père.
Ensuite, il y a eu l’Alcyone, bateau dont j’ai été responsable pendant huit ans, et qui nous a permis de montrer qu’on pouvait faire des économies d’énergies très importantes en consommant beaucoup moins de pétrole. La Calypso, c’était une équipe composée de marins et de scientifiques extraordinaires. Malheureusement, la plupart d’entre eux nous ont quittés. Ils étaient beaucoup plus âgés que mon frère et moi. C’est grâce à ces équipes formidables qu’on a réussi à faire passer le message du commandant Cousteau. On était tous très unis.
Il y avait un lien très fort qui soudait l’équipe ?
Pour moi, ce sont tous des frères. Des frères aînés car la plupart sont plus âgés que moi et il n’y avait que des hommes, à part ma mère qu’on surnommait la “Bergère”.
“Les marins partaient pendant 6 mois, ou même plus, et ils ne savaient pas ce qu’ils allaient retrouver en rentrant chez eux”
Votre mère semblait en effet avoir beaucoup d’importance, autant si ce n’est plus que le commandant Cousteau ?
Les membres de l’équipe allaient se confier à elle. À cette époque, il n’y avait pas les moyens de communication modernes, pas d’Internet. Les marins partaient pendant 6 mois, ou même plus, et ils ne savaient pas ce qu’ils allaient retrouver en rentrant chez eux, contrairement à aujourd’hui où, même au bout du monde, nous restons en liaison constante avec notre foyer. Cette équipe était constituée de gens très émouvants. Chaque fois qu’il y en un qui passe l’arme à gauche, c’est comme si je perdais un membre de ma famille.
Vous êtres toujours en contact avec les derniers survivants ?
Il y en a encore quelques-uns que je vois de temps en temps. Notamment Titi Léandri, qui a été le premier employé de la Calypso, un membre historique de cette équipe. C’est lui qui me bottait les fesses quand je nettoyais la Calypso étant gamin, et que je ne faisais pas bien mon boulot. Il vit aujourd’hui près de Marseille. Je vois parfois les plus jeunes de temps en temps. Il y a toute une équipe qui avait été créée, très solidaire et très humaine.
Qu’est devenue la Calypso ?
En 1990, j’ai dit à mon père que la Calypso n’était plus sécurisée. Tout l’arrière du bateau était en train de se désosser. Ça coûtait une fortune à faire réparer. On a donc décidé d’arrêter de la faire naviguer. Il y a un bateau qui lui était rentré dedans et elle avait coulé par le fond. Puis elle a été remontée et envoyée à Marseille, et puis ensuite en Bretagne. J’ai essayé d’aider comme je pouvais mais quand mon père est mort, ça devenait difficile pour moi de m’en occuper. Il faut savoir que nous n’avons jamais été propriétaires de la Calypso.
Vraiment ?
Le bateau avait été mis à la disposition de mon père à condition qu’il l’utilise pour faire des films et de la recherche scientifique. C’est un banquier anglais qui nous l’avait gracieusement prêté parce qu’il croyait au projet que portait mon père. À une époque, ma mère voulait qu’on coule la Calypso là ou elle a ensuite été enterrée, au large de Monaco. Ses cendres reposent en effet par 1 000 mètres de fond. Mon père voulait quant à lui envoyer le bateau dans une université près de Marseille, mais ça n’a jamais marché. Et moi je voulais la mettre sous la tour Eiffel car il y a plein d’espace ! Ça aurait été un symbole extraordinaire. Pour tout dire, je ne sais même pas où elle est à l’heure actuelle !
Quel est votre souvenir de plongée le plus marquant ?
C’est très difficile pour moi de n’en prendre qu’un seul. Il y a une fois où j’ai eu vraiment très peur. On explorait une grotte où il y avait des poissons aveugles, donc sans aucune lumière, car ce sont des poissons qui n’ont pas besoin d’yeux, d’où leur nom. Je plonge dans cette grotte, dans des conditions difficiles, comme vous pouvez l’imaginer. D’un seul coup, je m’aperçois que je n’ai plus d’air. Impossible de respirer ! Heureusement, il y avait mon collègue à quelques mètres et il a pu partager son air avec moi pour que nous puissions remonter. C’est pour ça que je dis toujours qu’un plongeur solitaire est en très mauvaise compagnie. Le travail en équipe m’a sauvé.
Quel est le bilan des Cousteau ?
Moi le bilan, ce n’est pas une obsession. Mon père disait toujours que les gens protégeaient ce qu’ils aimaient. Mais très vite, j’ai commencé à lui dire que c’était difficile de protéger ce qu’on ne connaissait pas. C’est pour ça que mon père a commencé à intégrer des scientifiques à son équipe. On travaillait avec mon frère, qui a disparu dans un accident d’avion, mais il a eu deux enfants. Et moi aussi. Donc, il y quatre enfants de la troisième génération, et ils continuent tous d’une manière ou d’une autre la mission de Jacques-Yves Cousteau, avec leurs personnalités et leurs choix propres. Nous n’avons pas fini de nous battre !