Les relations diplomatiques entre le Japon et la Corée du Sud ne sont pas au beau fixe. En cause : une discorde autour d’une statue rendant hommage aux “femmes de réconfort”, exploitées dans les maisons closes de l’armée japonaise au début du XXe siècle.
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La ville de Busan, deuxième plus grande métropole de Corée du Sud, est au centre d’une vive discorde entre le pays du Matin calme et celui du Soleil levant. La raison : une statue commémorant le destin tragique des “femmes de réconfort”, placée en décembre dernier devant le consulat japonais local. Un monument qui a déclenché le courroux du gouvernement nippon, ainsi qu’un incident diplomatique. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a ainsi rappelé l’ambassadeur de Séoul et le consul de Busan, puis intimé à Séoul l’ordre de retirer ladite statue.
Pourquoi une telle réaction ? Si vous êtes étranger au contexte historique entourant l’affaire, un (rapide) rappel est nécessaire, malgré la complexité du sujet. Au début au milieu du XXe siècle, l’empire du Japon est en pleine expansion militaire, notamment en Corée. Cette dernière, colonisée de 1905 à 1945, voit ainsi les troupes impériales stationner sur son territoire. Selon Christine Lévy, membre du Centre de recherches sur les civilisations d’Asie orientale, on constate alors dès 1932 l’apparition de “maisons de réconfort”, remplies de jeunes femmes déportées de force, majoritairement coréennes mais aussi chinoises ou (dès 1940) indochinoises. Leur sort est tout sauf enviable : esclaves sexuelles, elles sont abandonnées ou exécutées lors des mouvements de troupes. Une tâche indélébile dans l’histoire nippone, qui est encore reprochée au Japon dans toute l’Asie.
En hommage aux victimes, un monument en bronze représentant une jeune femme assise, un petit oiseau posé sur l’épaule, a été installé en 2011 en face de l’ambassade du Japon à Séoul. En décembre 2015, en échange d’excuses publiques et de dédommagements financiers aux victimes, Shinzo Abe avait suggéré (avec insistance) que cette statue soit retirée. Une condition non respectée par la Corée du Sud, qui ne s’est pas non plus opposée à l’installation d’une réplique à Busan en décembre 2016, rendant furieuses les autorités japonaises. D’où l’imbroglio diplomatique actuel.
L’enjeu des questions de mémoire
Une situation qui s’inscrit dans le jeu trouble du Premier ministre japonais ces dernières années. Sa visite à Pearl Harbor début décembre, lieu de l’attaque nippone contre les États-Unis en 1941, fut quasi-unanimement saluée comme le geste historique qu’elle était. Mais l’absence d’excuses au profit de condoléances, sujet de discorde également soulevé lors de la visite de Barack Obama à Hiroshima plus tôt dans l’année 2016, avait fait tiquer certains. L’historienne japonaise Eri Hotta avait partagé au Monde son analyse :
“La visite de Shinzo Abe est significative, car c’est une première pour un chef de gouvernement en exercice en compagnie d’un président américain. Peut-être M. Abe est-il sincère dans son désir de prier pour les victimes et pour la paix ? Mais, en décidant de ne pas s’excuser de l’agression qui allait ouvrir le volet Pacifique de la Seconde Guerre mondiale, il escamote des faits qui ne cadrent pas avec sa vision révisionniste de l’histoire, tout en cherchant à recueillir les bénéfices politiques et personnels en termes d’image d’une visite fortement médiatisée.”
La droite conservatrice de Shinzo Abe, leader du PLD (Parti libéral-démocrate), est en effet connue pour ses prises de position controversées. Les visites de plusieurs dignitaires au sanctuaire Yasukuni, qui honore les Japonais morts pour leur patrie entre 1853 et 1945 dont… des criminels de guerre, sont à chaque fois prises comme une offense de premier ordre par les pays voisins ayant eu à subir la poigne de fer nippone. Ces mêmes politiques suscitent autant de scandales, lorsqu’ils remettent en cause la véracité des témoignages d’anciennes “femmes de réconfort”.
Difficile donc d’imaginer une embellie durable tant que le Japon ne cessera pas d’alterner entre excuses, demandes de contrepartie, et parfois négationnisme. Shinzo Abe, qui avait basé sa campagne sur un nationalisme bien marqué et une progressive remilitarisation de son pays, ne semble pas prêt à pleinement reconnaître tous les torts japonais. En Corée du Sud, la récente suspension des pouvoirs de la présidente Park Geun-hye, à la suite d’un scandale de corruption, n’aide pas à clairement établir la position de Séoul. En attendant, la femme de bronze fixe, inlassablement, son voisin japonais.