Alors que son album Contre-Temps paru l’année dernière a été unanimement salué par la critique, Flavien Berger est de retour en ce vendredi 5 juillet avec un nouvel effort intitulé Radio Contre-Temps. Un disque “commenté”, sur lequel le chanteur français laisse libre cours à sa créativité débordante et son excentricité si attachante.
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L’occasion de questionner Flavien Berger sur son rapport avec le cinéma, ses liens avec Salut c’est cool ou encore les très nombreux concerts donnés par l’artiste de 33 ans. Car s’il était l’une des têtes d’affiche de la dernière édition de We Love Green – où nous nous sommes entretenus avec lui, il fut tout aussi excellent à Reims pour La Magnifique Society et à Paris pour le Fnac Live Festival. Et ce n’est que le début d’une tournée estivale considérable et éprouvante pour Flavien Berger, qui l’emmènera dès la semaine prochaine du côté de Dour, en Belgique. Entretien meta avec l’artiste le plus cool de la scène française.
Konbini | Hello Flavien ! On a directement parlé de cinéma quand t’es arrivé. T’es cinéphile ?
Flavien Berger | Je peux pas me dire cinéphile, c’est comme se dire mélomane, c’est un autre level. Quand t’es vraiment cinéphile, tu connais le nom de l’assistante chef opérateur. Mais j’aime énormément le cinéma, j’ai longtemps cru que je voulais être réalisateur. C’est là où je prends mes plus grosses catharsis. Je ne regarde pas le foot, mais le foot crée ce truc assez universel. C’est une discussion que tu peux avoir avec n’importe qui. Par exemple, t’es à un mariage et tu connais pas les gens, si tu trouves un fan de foot, tu peux en parler avec lui pendant trois heures. Eh bien, mon football à moi, c’est le cinoche.
Plus que la musique ?
Ouais je crois. Il faut que ça t’explose la tête d’inspiration. Il y a un documentaire de Werner Herzog qui s’appelle Encounters at the End of the World, qui est une espèce de billet incroyable sur plein de choses. C’est un chef-d’œuvre pour moi. J’ai vraiment un souvenir très vif de La Montagne sacrée de Alejandro Jodorowsky. Après j’ai des rendez-vous avec des réalisateurs. J’aime énormément Alain Cavalier. Mais je pourrais te dire quelque chose de différent dans cinq ans, il y a des périodes où on s’agrippe à des trucs.
Quel rapport tu entretiens avec la musique dans le cinéma ?
La musique à l’écran, c’est un super terrain d’analyse. Quand c’est bien, tu ne le remarques même pas. Quand la musique défonce, elle épouse parfaitement la narration et tu ne t’en rends même pas compte. C’est le secret.
C’est un exercice qui te plairait ?
Yes, je m’y colle même déjà un peu. J’ai déjà fait la musique du court-métrage Le Repas Dominical avec Céline Devaux, qui a eu un César. D’ailleurs la musique que je fais est très imagée, il y a toujours une narration. J’imagine mes albums comme des fragments d’une histoire, alors que cela ne suit pas forcément une narration chronologique. On ne comprend pas toujours s’il y a des protagonistes, un twist ou quoi, mais c’est un peu des films en soi.
Pourquoi ne pas être devenu réalisateur ?
Parce que j’ai commencé à sortir des disques [rires]. Je filme toujours le quotidien, mais je pense que j’aurais fait une école de cinoche si je n’avais pas sorti de disques juste à la fin de mes études – oui j’ai fait des études. Tu crois que tu fais quelque chose et tu te rends compte, sans t’en rendre compte, que tu fais un autre truc et que ça prend tout ton temps. C’est la musique.
Plus tard peut-être ?
J’aimerais trop mais j’ai peur de me foirer. Il y a ce truc en mode : “c’est ça vraiment ce pour quoi je suis fait” et tout le monde dira “non mais c’était mieux avant ce que tu faisais, il est naze ton film”. J’ai des projets en tête, qui vont sûrement mettre des décennies à accoucher, mais j’aimerais vraiment faire du cinéma.
Il y a des BO qui t’ont particulièrement marqué ?
C’est assez classique mais c’est Tarantino. T’écoutes les BO comme des compil’. J’ai écouté non-stop la BO de Pulp Fiction par exemple. Dernièrement, celle de Premier Contact signée Jóhann Jóhannsson. Film sur le langage, joli travail sur le phonème. Je l’ai tellement écouté que c’est aussi devenu la BO d’une BD que je lisais aussi. Je l’écoutais en boucle tout le temps, même pendant la lecture.
C’est quoi tes films préférés ?
Je crois que j’aime beaucoup les films “meta”. Les films qui, sans l’air de le dire, parlent du cinéma. Genre Jurassic Park, c’est un film sur le cinéma en fait. Ou Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais, dont le système de narration est elliptique, c’est un film sur le souvenir et comment les images apparaissent à l’écran. J’essaie de faire ça avec mes disques. Je fais des disques qui parlent de la musique, mais sans dire “je joue de la musique, je joue de la basse électrique” . Mon premier album, c’est la rencontre de la musique. Comme si c’était un grand monstre et que tu faisais connaissance avec lui. Le deuxième est un peu un truc sur le temps et les souvenirs qui sont attachés aux morceaux, et ça reste meta. C’est un disque, ça reste circulaire. J’essaie d’avoir ce truc-là parce que c’est ce qui me plaît quand j’explore une œuvre.
Pourquoi avoir voulu explorer le temps justement ?
Je suis vraiment très attiré par le fantastique ou la science-fiction. Le voyage dans le temps, c’est un des thèmes qui me fait kiffer. Parce que ça tend vers un monde parallèle, de parler de choses tellement fantastiques que ça me fait tripper de pouvoir imaginer ce que ça donnerait. Quand je faisais Léviathan, je savais déjà que mon prochain projet porterait là-dessus, comme le prouvent les dernières paroles de Léviathan (Voyage dans le temps et inverse le sens. Des flots de mon sang, noyés dans l’océan. Je caresse le flanc du grand Léviathan”, ndlr).
Je me suis attelé à ce sujet, j’ai fait plein de recherches, comme si je faisais une thèse. Pour finalement ne pas faire un disque qui parle du voyage du temps en tant que tel, mais plutôt des sentiments. De souvenirs en souvenirs, on voyage dans un continuum et en fait écouter un album, c’est déjà un voyage dans le temps. S’il y a des morceaux qui sont affiliés à des souvenirs, et qu’à chaque début des morceaux on se remémore des choses, c’est hyper-bizarre comme pratique. On est des humains et on écoute des trucs pour revenir dans notre passé. C’est chelou, et c’est pour ça que je trouvais que le lien avec le voyage dans le temps avait du sens. Comme Donnie Darko, j’adore ce film. Il y a un morceau qui s’appelle “Liquid Spear Waltz”.
C’est quelque chose que tu as pu continuer d’explorer avec Salut c’est cool aussi.
On voulait faire un morceau ensemble depuis longtemps. J’ai failli les inviter sur mon disque, mais à un moment je savais plus trop ce que je racontais. Et il y avait ce morceau-là, qui était leur morceau le plus doux, et il y a eu comme une évidence. Ce n’est même pas moi qui ai écrit les paroles. C’est un clin d’œil. Après je vais pas être “le mec qui fait des albums sur le temps”, mais t’es obligé d’en parler parce que c’est la principale substance de la musique. Ce qui définit avant tout un morceau, c’est sa durée. Maintenant, on peut même écouter des morceaux en accéléré ou au ralenti. C’est génial.
Comment s’est passée cette collaboration ?
Très simplement, ce sont des amis, on se voit souvent. Ils sont allés finir leur album chez Jacques au Maroc donc je les ai rejoints là-bas. Au début, je suis venu comme une paire d’oreilles pour vivre ce moment avec eux. Puis il y avait quand même cette volonté à demi-mot que je chante sur ce morceau-là. C’est vraiment une histoire d’amitié.
Est-ce que t’abordes la création comme l’envie d’apporter telle ou telle touche ?
Pas du tout ! Pendant la création, je ne laisse pas trop de place au doute. C’est des matières que tu façonnes, presque inconsciemment, et t’as un résultat (ou non). Finalement, le doute survient plutôt dans les moments où je ne fais pas de la musique. C’est plutôt un endroit réconfortant pour moi, la musique. Je ne sais pas ce que je vais faire à l’avance. Si un jour ça arrivait, j’arrêterais tout. Je ne compte pas faire de la musique toute ma vie de toute façon. Il n’y a aucun déterminisme à faire de la musique. Le jour où tu commences à le faire parce qu’il faut le faire, c’est fini. Les choses doivent apparaître hyper naturellement. Le plus important, c’est d’avoir des choses à raconter. Il faut de l’excitation, de la curiosité.
Cette curiosité doit-elle se retrouver sur scène ?
La scène c’est différent, il y a plus d’adrénaline, de stress. C’est de l’énergie pure. Tout ce que j’essaie de faire, c’est de ne pas être là où on m’attend. Le show est un peu bricolé. Comme Quentin Dupieux qui disait que l’amateurisme était la clé de la création, je crois que la réussite d’un show se base sur la sincérité. Le jour où le show est trop préparé, calculé, je pense que ça se ressent. Ça peut être génial, mais en tant qu’amateur de musique, je ne vois pas trop l’intérêt. T’es spectateur pour vivre un moment de musique, pas pour le regarder.
Tu fais beaucoup de dates…
Oui c’est vrai, mais ça c’est subjectif. Beaucoup ne me connaissent pas. Tant mieux, je préfère ça. Tous les soirs, j’ai quelque chose à prouver. Mes dates sont fatigantes aussi. Je sais jamais ce que je veux faire, il y a toujours un moment où je me pose et je me demande comment je vais innover ce soir.
Et dans dix ans, tu feras quoi ?
Je serai végétarien. C’est plus possible de manger des animaux, c’est n’importe quoi. Ça commence à être assez évident. Le reste, je n’en sais rien. Faut rester flex, souple et gainé. Comme le saut en parachute : rester sur mes appuis et épouser la forme de l’air. C’est hyper important !
Interview réalisée avec Arthur Cios et Louis Lepron