“Avec Zidane, on échange une ou deux heures avant les matches par SMS”
À force, avez-vous noué des liens très forts avec certains joueurs ?
La chose la plus forte en tant qu’homme sur toute ma carrière, ce sont toutes ces relations que j’ai pu avoir, même dans les sélections de jeunes. Tous ces joueurs internationaux que j’ai connus au début de ma carrière, je les retrouve toujours avec un grand plaisir. Par exemple, je suis allé en Guyane au mariage de Bernard Lama, j’ai été invité mais je n’ai pas pu venir à celui de Robert Pirès.
J’ai fait du conseil pour certains par rapport à leur après-carrière, pour des études d’entraîneur ou de manager avec la fac de droit et d’économie du sport de Limoges. Je leur ai toujours montré que s’ils coupaient, ce serait dur de faire une formation car ils seraient décalés par rapport à ce qu’ils venaient de vivre. Je suis content que la plupart m’ait écouté car aujourd’hui, je les vois dans les structures du plus haut niveau et ça me fait plaisir.
Vous parlez de Zinédine Zidane notamment ?
Je ne vais pas vous donner de noms mais vous les citez vous-même (rires). Ce qui est fort, c’est qu’on reste en relation. Vous parliez de Zidane, avec lui on échange une ou deux heures avant les matches par SMS. Après le match, il est pris mais le lendemain matin, on échange également. Il y a un lien aujourd’hui qui existe, qui provient de tout ce qu’on a vécu ensemble et de la confiance qu’ils ont en moi.
Les considérez-vous comme vos enfants ?
Il y a en a qui m’appelait toujours tard. Il me disait : “C’est ton fils qui t’appelle”. Une fois, il a rencontré ma fille à Lille et il lui a dit : “Je suis ton frère”. Cet homme, c’est Lilian Thuram. Il fallait toujours qu’il m’appelle avant un rassemblement de l’Équipe de France car il voulait être rassuré par rapport à pas mal de choses. Et c’était pareil en stage lorsqu’il y avait des billets à acheter ou des invitations, il passait toujours un temps fou avec moi. Il y a quelques jours, quand on s’est vus à Paris, il m’a dit “Salut Papa” en me faisant la bise.
Pendant les compétitions, notamment en France, aviez-vous des astuces pour faire passer le temps aux joueurs ?
Le plus important restait le planning des entraînements. En dehors de ça, je cherchais toujours à ce qu’ils aient à disposition le maximum de cassettes vidéo. Il y avait aussi Bernard Pivot qui me donnait 200 ou 300 bouquins pour toutes nos phases finales de compétition avec des choix très variés qu’il faisait lui-même. Il y avait les boules Obut qui me donnaient une trentaine de triplettes également. Je les sollicitais et ils nous les offraient sans contre-partie publicitaire, simplement pour le plaisir d’accompagner les joueurs.
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“Bernard Pivot me donnait 200 ou 300 bouquins pour toutes nos phases finales”
Avec ces jeux, on se retrouvait dans un autre contexte que le football. Les joueurs se lançaient des défis entre eux, c’était la rigolade, ça devenait un spectacle. Robert Pirès par exemple était pas mal au ping-pong. Mais il n’y avait rien d’organisé. Les seules choses qui ont pu l’être, c’est quand on a fait venir l’équipe d’un film pour le voir en avant-première à Clairefontaine. On a également été à plusieurs reprises chez Canal + ou TF1 pour assister à des projections lorsqu’ils étaient nos partenaires. C’était rien que pour nous, sans publicité. Ni médias ni quoi que ce soit. Je me souviens avoir été au théâtre pour une pièce de Robert Lamoureux, ou au cinéma pour le film Le Prénom avec Patrick Bruel.
Ambiance tres detendue avec Philippe Tournon, Fabrice Bryand, medecin des #Bleus et Henri Emile. #Bleus#euro2012 pic.twitter.com/gsd9RMDc
— Olivier Le Foll (@OlivierLeFoll) 8 juin 2012
Certains joueurs avaient des rituels avant un match. Certains vous ont-ils marqué ?
Je restais toujours très discret, je n’étais pas curieux par rapport à ça. En revanche, il y a certaines choses que l’on faisait. Par exemple Didier Deschamps, c’était toujours moi qui lui mettais le brassard. Je gardais le fanion jusqu’au moment où il entrait sur le terrain. À la mi-temps, comme il changeait de maillot, il attendait que je sois là pour lui remettre le brassard. Il y avait beaucoup de joueurs qui avaient une photo de leurs enfants dans leur sac. Ce n’était pas forcément un rituel mais Pirès avait une quinzaine de paires de chaussures. Et il pouvait vous dire combien de buts il avait marqués avec telle ou telle paire. Hormis cela, j’étais respectueux de tous les rituels car je ne voulais pas que ce soit considéré comme du voyeurisme.
“Pirès avait une quinzaine de paires de chaussures. Et il pouvait vous dire combien de buts il avait marqués avec telle ou telle paire”
Avez-vous le souvenir d’une demande assez insolite à laquelle vous avez dû répondre ?
Pour tout ce qui concerne les menus, c’est avec le docteur qu’il fallait voir. Mais par exemple, Cantona voulait manger un coquelet le jour de match.
Vous est-il arrivé d’être réveillé en pleine nuit par un joueur ?
Oui. Il y en a un qui me vient tout de suite à l’esprit car c’était pour un super truc. Nous étions à Tignes en stage et David Trezeguet m’a réveillé à 3h du matin pour me dire qu’il venait tout juste d’être papa d’un petit garçon. Il m’a dit : “Riton, il faut que tu descendes, on prend un verre ensemble maintenant”. Puis on a appelé Roger Lemerre qui est venu nous rejoindre. Tout ça à 3h du matin car sa joie, il voulait la faire partager sans déranger les joueurs. Il voulait la partager avec quelqu’un qui accepterait d’être réveillé pour ça. En revanche, j’ai souvent été réveillé par Gérard Houiller. Quand il était sélectionneur, il lui arrivait de gamberger la nuit. C’est quelqu’un qui dort peu, suivant ce qu’il lui passait par la tête il m’appelait pour savoir ce que j’en pensais. Je lui disais : “Tu ne peux pas attendre trois ou quatre heures, quand on se retrouvera toute à l’heure ?”. C’était Gérard, un fou de boulot et d’observation.
“On était noyés sous les fax d’encouragement”
Y a-t-il un soir qui restera à jamais gravé dans votre mémoire ?
Dans la victoire, ce que je garde en mémoire c’est notre départ de Clairefontaine pour la finale en 98, où on a mis une demie-heure pour quitter le château et arriver en centre-ville de Clairefontaine. Aimé me disait : “Riton, on n’est pas parti assez tôt, on ne va jamais être au Stade de France à l’heure”. Je me rappelle de ce moment mais aussi du retour. On était bloqué sur le périphérique, on voyait des gens qui sortaient des voitures, qui jouaient au ballon et qui criaient. Et quand ils ont aperçu le bus de l’équipe, ils sont devenus fous. Quand on voit aujourd’hui les gens qui sont toujours stressés quand ils sont sur le périph’… alors que ce soir là tout le monde souriait et acceptait d’être bloqué, c’était quelque chose de fort.
Je me souviens aussi de la déception de 93. Ma fille était trois rangs derrière nous au stade lorsque nous avons été éliminés face à la Bulgarie. Avant l’élimination, j’avais passé un mois aux USA pour tout préparer et imaginer en vue du tirage au sort. Non pas parce que j’étais sûr qu’on allait se qualifier, même si on le pensait tous, mais parce que toutes les compétitions se préparent un an avant. Donc on y était allé avec Henri Michel pour faire des repérages, avec les effets d’altitude, de température. Ce fut une grande déception, car les joueurs en fin de carrière sentaient la fin arriver et se voyaient terminer aux États-Unis. Ce pays était en train de se lancer dans le professionnalisme en plus. Donc cela a été un moment très dur à vivre.
Vous souvenez-vous de la veille de la finale en 98 ?
On était noyés sous les fax d’encouragement à l’époque car il n’y avait pas encore les SMS. On les avait affichés sur les murs mais on n’avait plus de place dans les couloirs. Ce qui a été fantastique, et cela y est pour beaucoup dans notre réussite, c’est d’avoir été protégé à Clairefontaine. On était chez nous et personne ne pouvait entrer. Cela a été une force importante. Et la veille de la finale, comme les médias nous cherchaient, on est allé juste à côté de Clairefontaine, au Château Ricard, en descendant à pied par l’arrière de Clairefontaine. Non pas pour se cacher mais parce que cela faisait une balade en même temps. Certains joueurs ont fait du cheval, même si à la veille d’une finale ce n’était pas évident. On avait aussi organisé un tournoi de pétanque. Joël Bats lui, pêchait sur le plan d’eau. On a aussi eu de grands échanges avec l’Équipe de France de rugby en stage. Ils étaient venus chez nous car ils n’avaient pas assez de chambres.
Et le jour de la finale, ce qui a surpris un peu les joueurs, alors qu’on n’avait jamais d’entraînement le matin, on a mis en place une séance légère et décontractée avec un travail sur les coups de pied arrêtés en particulier. Aimé Jacquet avait repéré que les Brésiliens ne suivaient pas leurs adversaires dans la zone dans laquelle ils étaient. Il y avait un bon coup à jouer et le hasard a voulu qu’on marque deux buts sur coup de pied arrêté. Alors je ne sais pas si c’est parce qu’on les avait travaillés le matin, mais c’est quelque chose qui nous est resté après.
“Philippe Tournon pouvait facilement pousser la chansonnette”
Dans Les Yeux dans les Bleus, on vous voit heureux lorsque la patrouille aérienne passe au dessus de vos têtes, mais ce n’est pas pour le 14 juillet…
Oui, c’était pour notre premier match à Marseille (face à l’Afrique du Sud, victoire 3-0, ndlr). C’était une surprise que j’avais voulu faire aux joueurs. Je m’étais entendu avec le commandant de la patrouille qui m’avait appelé pour savoir si cela nous plairait qu’ils fassent un passage au-dessus de nos têtes pendant leur entraînement. C’était entre Aix-en-Provence et Salon-de-Provence, où ils sont basés. Je leur avais dit que ce serait fabuleux. Il m’a alors répondu qu’ils allaient dessiner le drapeau tricolore. Il ne restait plus qu’à se mettre d’accord sur l’heure. Je leur avais dit que notre promenade était prévue entre 11h et 11h30 et les joueurs ont eu la surprise de voir les avions passer.
Parmi tous les joueurs que vous avez connus, qui était le plus chambreur ?
Les chambreurs, il y en avait un wagon. Il y avait Fernandez, Platini et surtout Bruno Bellone qui n’arrêtait pas de raconter des blagues dans le car. Didier Deschamps aussi aimait bien chambrer, mais avec tout le monde, que ce soit les joueurs ou le staff. C’est quelqu’un qui a un esprit très vif. Philippe Tournon (attaché de presse des Bleus, ndlr) pouvait facilement pousser la chansonnette. On lui faisait surtout chanter Mexico quand on est parti là-bas au Mondial 86. Pratiquement tous les jours, il y avait le droit. Il chante très bien d’ailleurs. Sinon, Ginola, lui, était toujours bien sapé. Boumsong aussi. Il était toujours en costume.
Qu’est ce qui sera le plus important pour les Bleus durant cet Euro (interview réalisée avant l’Euro 2016, ndlr) ?
La cohésion sera nécessaire. Ce groupe a la chance d’avoir un entraîneur qui a toujours misé sur la gagne, en refusant toujours la défaite. Donc il y a un état d’esprit. Et il faut que les joueurs l’entretiennent eux-mêmes de l’intérieur. Il faut que les joueurs aient envie d’écrire leur page, car ils vont sans arrêt avoir la référence à 84 et à 98. Il ne faut pas qu’ils boudent par rapport à ces souvenirs mais qu’ils se disent : “Nous aussi on veut écrire notre page”. Pour l’instant, ils n’ont rien gagné. C’est un groupe individuellement talentueux, qui donne l’impression de bien vivre ensemble. Mais j’espère que lors des premiers matches, ils auront de bons résultats. Pour l’instant ils ont peut être un statut de grand joueur mais ils n’ont rien gagné au niveau international. Et ça, c’est primordial.
Un prono pour cet Euro 2016 ?
Je leur souhaite de tout cœur de soulever le trophée. Ce que j’espère aussi, c’est que la France retrouve la joie à travers cette compétition, comme on a pu le faire dans le passé, où le contact humain est quelque chose de fantastique.