Marc de la Ménardière et Nathanaël Coste, deux amis d’enfance décident de prendre le large pour questionner le monde. “En Quête de Sens“, sorti en 2015, est le film documentaire fruit de leur voyage initiatique : six mois à travers trois continents et 29 interviews de personnalités engagées pour le changement.
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Quand Nathanaël retrouve Marc à New York en 2010, les deux amis ne se sont pas vus depuis 10 ans et leurs trajectoires les ont éloignés : Nathanaël vient de finir un film environnemental en Inde, Marc, lui, exporte de l’eau en bouteille pour une multinationale.
Oubliant ses plans de carrière, Marc rejoint Nathanaël en Inde où ils commencent une épopée improvisée. Équipés d’une petite caméra et d’un micro, ils cherchent à comprendre ce qui a conduit aux crises actuelles et d’où pourrait venir le changement. De l’Inde au Guatemala en passant par San Francisco et l’Ardèche, c’est toute leur vision du monde qui va être ébranlée…
À l’heure où les problèmes de notre époque semblent de plus en plus insolubles, leur film nous redonne confiance dans notre capacité à porter le changement en nous-même, et dans la société. Entretien inspirant de deux mecs motivés et motivants.
Konbini | Quand on part voyager et réaliser un film en quête de sens, on commence par où (ou par quoi) ?
Marc de la Ménardière | Pour moi ça a commencé par une chute à la con dans un couloir, une immobilisation, un shoot de documentaires déprimants qui m’ont réveillé brutalement pour me faire ressentir que ma vie de “business developper” à Manhattan, malgré tout le fun qu’elle comportait, n’avait pas trop de sens.
Je ne souhaitais plus être un robot qui court après l’argent, conscient que la définition du bonheur de cette société n’était plus la mienne. J’ai donc commencé par écouter cette petite voix qui me disait : “Es-tu vraiment libre ? … il est temps de sortir de ta zone de confort qui t’étouffe !”.
“Le voyage est un fantastique outil pour comprendre que nous sommes conditionnés par la société”
Quelles rencontres ou expériences vous ont le plus marqués durant votre voyage ?
MM | Pour moi c’est le séminaire en Inde à Navdanya avec les disciples modernes de Gandhi qui nous ont montré une nouvelle forme de résistance face à la marchandisation de la planète. Là-bas on a surtout fait l’expérience d’une vie pauvre matériellement mais tellement riche humainement, source d’apprentissage et d’une simplicité élégante.
Nathanaël Coste | Les plus belles rencontres se font parfois au gré du chemin comme la rencontre de Jose Tenoch Perez, un guérisseur de tradition Aztèque qui était sur les routes du Mexique. Sa rencontre nous a permis d’approcher une autre compréhension du monde.
Ces gardiens de la Terre considèrent la planète comme un être vivant où toutes les formes de vies sont interconnectées. Plus tard, nous avons découvert que des scientifiques en Californie trouvent une résonance avec cette vision d’un monde interconnecté.
Votre vision du monde a-t-elle littéralement changé depuis ce voyage ?
MM | Le voyage est un fantastique outil pour comprendre que nous sommes conditionnés par la société, nous intégrons des normes extérieures jamais choisies. C’est principalement notre éducation et le système économique ou le système médiatique qui déterminent notre vision du monde, notre imaginaire et donc nos comportements. Ce voyage nous a permis de comprendre que ces normes sont relatives d’une culture à une autre.
Ici nous vivons dans un monde où la norme est la compétition, l’accumulation de biens matériels, un rapport de prédation à la nature, on nie l’invisible et on est beaucoup dans le paraître, le faire et l’action. La nouvelle vision que nous avons adopté change les priorités, on pense plus à prendre le temps, à nourrir son âme, entretenir un rapport plus harmonieux avec la nature, prendre soin de son corps, de son esprit et surtout de recréer du lien social entre les humains.
Dans votre film, vous questionnez la société capitaliste, consumériste et productiviste : aujourd’hui vivez-vous en dehors de ce modèle ?
MM | La société capitaliste-consumériste est partout, si bien que l’on ne peut pas vraiment s’en extraire complètement. Il y a un équilibre à trouver entre ce consumérisme frénétique qui abrutit les esprits, pille la planète, frustre et malmène les humains, et tout quitter pour partir élever des chèvres (même si on y a songé).
À notre retour et pendant toute la durée du montage on a vécu avec peu : on a habité dans des fermes, en caravane, dans un hangar réaménagé. Ça nous a appris à connaitre nos vrais besoins. Au-delà des modes de vie, l’important c’est aussi de se changer soi-même.
NC | L’idée serait plutôt de construire un nouveau modèle en parallèle de celui-ci, et de faire certains compromis. De nombreux outils existent pour envisager un changement dans notre façon d’aborder le travail ou l’environnement. Par exemple, bâtir un autre système basé sur des monnaies complémentaires ou d’autres logiques de répartition des richesses.
L’intérêt est de faire preuve de résilience quand le système actuel s’effondrera, même s’il fait preuve jusqu’ici d’une impressionnante plasticité.
“La première des révolutions à mener est intérieure”
Quelles solutions s’offrent aujourd’hui à celles et ceux qui ne savent pas par où commencer ?
MM | Par des choses très simples comme manger moins de viande (pour la souffrance animale, et le gaz à effet de serre), soutenir les circuits courts “Amap”, changer de banque, de fournisseur d’énergie. C’est avant tout une posture : utiliser son pouvoir d’achat pour soutenir ce qui va dans le bon sens et boycotter tout ce qui nuit à l’humain et la planète.
Participer à la vie de son quartier, recréer des espaces de convivialité, mutualiser les choses avec ses voisins, etc. Arrêter de regarder les programmes débilitants et mettre en question les grands médias qui imposent cette vision consumériste du monde…
NC | Il n’y a bien sûr pas de solution clef en main, mais le mieux que l’on puisse faire est de trouver quel est notre champ d’épanouissement, l’endroit où l’on sera le plus utile à tous : comptable, lanceur d’alerte, clown, sportif. Tout le monde a un rôle à jouer.
Qui est le plus à même aujourd’hui d’entamer ce changement dont nous attendons tous qu’il advienne ?
MM | La première des révolutions à mener est intérieure. C’est par elle qu’on peut déconditionner nos esprits, retrouver le sens du bon du beau du juste, ainsi imaginer à quoi pourrait ressembler le monde de demain.
La deuxième étape est une pression des citoyens pour contrer les lobbies industriels. Les citoyens doivent aussi repenser et proposer des solutions sur l’argent, l’éducation, l’économie, l’agriculture, la démocratie, etc. Toutes ces solutions doivent commencer localement.
NC | Notre époque manque de grands leaders comme Martin Luther King ou Gandhi, alors il faut se raccrocher à ce dicton : “Nous sommes ceux que nous attendions.” Chacun est acteur du monde de demain, c’est encore plus vrai parmi les pays du Nord, où nous avons accès à une éducation, à Internet et à des financements publics pour réaliser nos projets.
“Nous sommes ceux que nous attendions”
Nous assistons à un effondrement du monde et de nos croyances. Est-ce une mauvaise nouvelle ou le début d’un renouveau dont il faut se réjouir ?
MM | Il faut s’en réjouir car beaucoup sont erronées. Les Grecs nous l’avais déjà dit, le progrès d’une société n’est pas un accroissement des richesses mais une connaissance de soi, il faut se connaitre pour mener une vie bonne.
Les bouddhistes, eux, nous ont prévenus : tout est interdépendant. Et les sociologues ont démontré dans de récentes études que l’être humain n’est pas cupide mais altruiste. Il faut donc déduire les conséquences philosophiques de ces découvertes comme fondement d’une nouvelle civilisation plus altruiste et empathique.
NC | Si le changement est en marche, les résistances sont fortes. Le système en place s’accroche, notamment parce qu’il est porté par les grandes firmes qui déterminent largement les règles du jeu financier, environnemental et social, au-dessus de la tête des États démocratiques. Ce système-là ne semble pas en voie de s’effondrer même si la bataille des idées est en train de leur échapper.
Quel est selon vous le truc le plus absurde aujourd’hui que nous continuons à faire et qui n’a pas de sens ?
MM et NC | Notre gestion des déchets. Nous sommes la seule espèce à avoir des déchets. Pour les peuples premiers le mot déchet n’existe pas, d’ailleurs tout était en cycle, rien ne se perdait, rien ne se créait, tout se transformait. Avec la découverte des dérivés du pétrole on a accéléré la pollution. Cette découverte nous a facilité la vie mais ça pourrait aussi la détruire.
Le problème est double car on pollue l’air et la terre. Il y a du plastique partout et il n’est pas assimilable par la terre. Il nous faut penser les produits du début jusqu’à fin de la chaîne en cycle avec des matériaux recyclables. Que tout retourne à la nature ainsi notre économie sera durable pour des siècles. C’est dans cette direction que doit aller l’innovation et l’économie symbiotique ouvre de belles perspectives.
Pouvez-vous suggérer à nos lectrices et lecteurs un corpus de films, de documentaires et de livres inspirants et accessibles pour qu’ils entament à leur tour leur propre quête de sens ?
MM | Pour moi les premiers films furent Le monde selon Monsanto, Les Alimenteurs, The Corporations, Notre pain quotidien, Chomsky et compagnie… Ceux-là parlent plus du problème mais c’est bien d’en prendre conscience.
NC | Le livre de Thomas d’Ansembourg Cessez d’être gentil, soyez vrai ! peut être une bonne porte d’entrée sur toute cette dimension du changement personnel. Vraiment à recommander. Sinon, les ouvrages de Bruce Lipton La biologie des croyances et Evolution spontanée sont assez visionnaires quant au destin de notre humanité. Pour les voyageurs, le livre de Satish Kumar No Destination retrace ses pérégrinations pédestres entre l’Inde et l’Angleterre sans argent pour protester contre l’arme atomique. Une leçon de lâcher prise.
Que répondez-vous à ceux qui vous qualifieraient d’utopistes ?
MM | Si ça vient des cyniques et des peureux ça nous encourage ! Tout part d’un rêve, toute notre aventure en est l’exemple ! Il est temps de sortir du cadre, d’ouvrir notre imaginaire. Les réalistes sont les vrais utopistes en pensant que l’on va pouvoir continuer ainsi… Il faut donc se méfier des réalistes et se rappeler qu’utopie veut dire “ce qui n’est pas encore advenu” !
NC | Soyons réalistes, exigeons l’impossible.
Beaucoup de jeunes aujourd’hui entament des road trips, avez-vous un conseil à leur donner pour que leur voyage ait le plus de sens possible ?
MM et NC | Surtout de ne pas chercher à collectionner les paysages, les aventures, sortir de la logique consumériste qui existe aussi dans le voyage. L’important ce sont les rencontres authentiques. Ne pas trop planifier, laisser la vie nous guider.
Ça peut être un plus d’avoir un objectif, une intention, un fil conducteur au voyage. Même si c’est dur de couper un peu le lien avec notre civilisation, ne pas trainer dans les cyber-cafés et sur Facebook pour raconter ce qu’on vit mais vraiment se déconnecter pour mieux se connecter à soi.
La COP21 vous parait-elle être un évènement déterminant?
MM et NC | C’est très complexe de trouver un accord par consensus c’est-à-dire à l’unanimité. Et c’est peu probable vu le nombre de pays aux différents stades de développement économique. De plus dans les acteurs économiques, de nombreuses multinationales sont juges et parties.
Je ne pense pas que les personnes qui gouvernent ni les lobbys soient en mesure d’imaginer un autre projet de société, c’est au peuple de le faire. C’est donc au peuple, aux artistes, aux entrepreneurs d’imaginer autre chose et de leur mettre la pression pour l’incarner.
Le DVD du film “En Quête de Sens” est désormais disponible en ligne.
Plus d’informations sur le site officiel du film, les pages Twitter, Facebook et YouTube.