Chaque premier vendredi du mois, une vingtaine de catcheurs indépendants de la côte ouest des États-Unis se retrouve à Oakland, de l’autre côté de la baie de San Francisco, pour des combats de catchs totalement insensés, alcoolisés, weedés, sans règles, sans censure, sûrement pas fait pour un jeune public, ni même pour un public tout court. Bienvenue à Hoodslam !
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“Fuck the fans”
Il est 20 heures 30 à West Oakland, patrie du mouvement des Black Panthers et des multiples minorités de la baie de San Francisco, aujourd’hui devenu quartier underground en pleine gentrification. Dans une demie heure commence l’évènement que tous les geeks, les punks, les metalleux, les gros durs, les hipsters et les étudiants de Berkeley et d’ailleurs attendent chaque mois.
La file d’attente est tellement longue qu’il faut marcher sur trois blocs d’une rue insalubre pour atteindre le bout de la queue. Dix minutes plus tard, alors que la file a avancé d’un bloc, un membre du staff vient annoncer que l’événement est complet. Depuis peu, il est possible d’acheter les billets en ligne pour éviter ce genre de situation, mais Hoodslam étant Hoodslam, beaucoup se sont ramenés à l’arrache et doivent maintenant se disperser par centaines dans le quartier. La capacité de la salle est pourtant de plus de mille personnes.
L’idée de ce rassemblement est née il y a sept ans tout juste. Sam Khandaghabadi, catcheur professionnel d’origine perse, en avait marre de devoir bien se comporter lors des tournois de la WWE, la World Wrestling Entertainment, souvent regardée par des familles et des enfants, alors il a décidé de créer un show juste pour l’amour du catch et d’une bonne baston, où les mecs feraient littéralement ce qu’ils voudraient. Dans une interview tout aussi dingue que les shows, il explique :
“Hoodslam a été lancé parce que je sentais que je travaillais avec les gens les plus talentueux que j’aie jamais rencontré, sauf que personne ne les connaissait, et leur talent mourait. Ça, combiné à l’apathie lancinante envers le vide artistique proposé par le format de lutte traditionnel, m’ont poussé à créer un show plus adapté. Mon but était de présenter ces artistes sous un nouveau format. Un schisme de la lutte professionnelle qui récompenserait les fans de catch, mais qui serait aussi accessible aux personnes qui n’aiment pas ça. Aujourd’hui je suis vraiment heureux de pouvoir dire que nous avons été en mesure de séduire le public que nous cherchions, et que celui-ci ne cesse d’augmenter.”
C’est leur passion pour le catch et le côté underground, sale et rebelle qui a fait le succès du show monté par Sam. Pourtant l’événement et le staff sont loin d’être tendres avec leurs fans, n’en témoignent les slogans. Le site officiel, les flyers, les événements en ligne et même la billetterie le répètent : “Fuck the fans” et “DON’T BRING YOUR FUCKING KIDS”. Bien en majuscules, toujours. On est loin du sensationnalisme, des punchlines recherchées et autres stratégies de communication de l’entertainment américain. Même la description officielle sur Facebook est… :
“On a commencé en faisant des spectacles gratuits juste pour s’amuser. Puis les gens ont commencé à venir. Maintenant on est au Metro et on a des ego surdimensionnés. Et on fait payer !”
Le “Metro”, c’est le Oakland Metro Operahouse. Le patron des lieux, Jamie DeWolf y avait invité Sam et sa bande pour une seule représentation. Tellement emballé par le concept de Hoodslam, il les a invités à prendre possession des lieux de façon permanente chaque premier vendredi du mois.
Métal, bière et baston
Vers 21 heures le show commence. C’est le dernier avant de fêter les sept ans de Hoodslam le mois prochain. Un groupe appelé AnroCorp balance du gros métal, chauffant la salle déjà alcoolisée et embrumée par la fumée des joints de marijuana, désormais légale. Le chanteur a le visage tatoué et le guitariste porte un casque militaire. Puis arrive le commentateur et les premiers “wrestlers”. Tous hurlent aux fans d’aller se faire foutre, qui se font une joie de leur répondre avec des doigts d’honneur et toujours plus de “fuck you”. Le commentateur/chauffeur de salle, Broseph Joe Brody, descend une bouteille de whisky et s’amuse à en cracher la moitié sur la foule.
Il est 21 heures 30, le sol est déjà collant, tout le monde a un verre de bière à la main et un nuage a même commencé à se former au-dessus de la foule et du ring à force de tirer sur des pétards plus chargés à mesure que le temps passe. Quand on demande à Sam s’ils ont déjà eu des problèmes, il répond :
“On a eu des problèmes. Notre show de juin 2013 à Sacramento a été annulé par la police avant même de commencer. Apparemment ils avaient reçu un appel disant qu’on vendait de la drogue et qu’on était suspecté de prostitution. N’importe qui nous connaissant sait que tout ça, c’est des conneries, parce qu’on partage pas la drogue et on baise gratuitement.”
Alors que Pizza Cat affronte Brittany Wonder, on essaie de voir quelle genre de personnes peuplent la masse éclectique de Hoodslam. À gauche il y a Justin, un étudiant de Berkeley, qui vient souvent à l’événement “parce que c’est le truc le plus barré à faire à San Francisco”.
À droite, une fille d’une trentaine d’années aux cheveux bleus explique qu’elle est cuisinière mais fait toujours en sorte de ne pas bosser les samedis suivant Hoodslam. Plus loin un couple : lui bosse pour une compagnie de logiciels dans la Silicon Valley et vient souvent. Elle, est là pour la première fois et n’est pas trop sûre encore d’aimer l’ambiance. Au moment où je me focalise à nouveau sur le ring, je vois qu’un catcheur tient une prothèse de jambe et est en train de verser du Whisky dedans. Il rend la prothèse à son propriétaire qui boit d’une traite le très long shot qu’on lui a offert. La foule est en délire, le catcheur continue de verser le contenu de sa bouteille de Jack Daniel’s dans les bouches grandes ouvertes du premier rang. L’Instagram de Hoodslam dira le lendemain que le coup de la prothèse était une première dans l’histoire du show. Une raison de plus de se dire qu’il n’y a jamais deux événements identiques et que même le staff hallucine un peu parfois.
This is real
Chaque show compte entre trente et quarante catcheurs. À chaque fois qu’un combat devient vraiment violent, la foule crie : “This is real”. Steven, un Irlandais installé à San Francisco explique : “C’est vrai que le catch a une grosse partie théâtrale, tous les wrestlers jouent la comédie. Mais pour avoir fait un peu de catch moi-même, je peux vous dire que quand il s’agit de se battre, de se faire soulever dans les airs par un mec qui fait deux fois sa taille, c’est plus du tout de la comédie. Les blessures sont réelles, les combats aussi, on est pas au cinéma, aucune doublure vient se faire taper à votre place. C’est pour ça que quand ça devient sale comme ça, la foule crie “This Is Real”, parce que c’est le moment où le catch prend tout son sens et se détache du show.”
Les catcheurs de Hoodslam, comme dans l’univers du catch en général, sont tous déguisés. Mais les costumes sont tous des satires de personnages de jeux vidéo ou de personnages de Comic Books. Il y a même un homme habillé mi Donald Trump, mi lézard. On comprend pas tout mais chacun est à fond dans son rôle. La soirée finit vers minuit, dans un chaos total. Les combats se terminent dans la foule, la scène crache des flammes et tout le monde crie. Personne à part les catcheurs n’est blessé, les gens partent tous en after sans trop d’encombre. Avec la station de police à quelques blocs, personne ne veut donner une raison d’arrêter Hoodslam. On a demandé à Sam s’il avait l’intention d’exporter le concept dans d’autres villes. Sa réponse est aussi poétique qu’Hoodslam est cru :
“On adorerait exporter Hoodslam vers d’autres villes, d’autres États, d’autres pays, d’autres dimensions. Mais notre cœur est à Oakland en Californie. C’est notre essence. Ça ne changera jamais, mais Hoodslam n’est pas un simple coffre à jouets que l’on vide sur le plancher du salon. C’est un voile qui illumine. On fait battre le cœur de la ville et sa lumière brille à travers nous, d’une manière unique et vibrante”.
Il nous laisse sur ces mots et confie espérer voir des Français se joindre au public totalement fou de Hoodslam.
Hoodslam se tient chaque premier vendredi du mois au Oakland Metro Operahouse. Entrée : 20 dollars (environ 18,50 euros). Majorité américaine obligatoire.