Rendez-vous à Nation, dans le sud de Paris. Il est deux heures du matin. Une petite foule est déjà réunie devant les colonnes de la place, en attendant les bus qui nous emmèneront quelques heures plus tard aux Pays-Bas. “Hey, mais je te connais toi, t’étais dans le bus avec moi l’année dernière !” Mon pote Vincent, qui m’accompagne dans cette aventure, ne tarde pas à retrouver des compères de ses précédents voyages.
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Je fais alors connaissance avec Rudy et Jimbo – comme son homonyme dans Les Simpson, ce dernier est un mec adorable. Ils viennent de Vendée et ont déjà fait plusieurs heures de voiture pour rejoindre la capitale. Ensemble, on boit du rhum à la vanille, en attendant le départ. Ils trépignent d’impatience, tout comme les autres teufeurs présents, qui laissent aisément transparaître leur excitation à l’idée de rejoindre le festival Harmony of Hardcore.
(© Guillaume Narduzzi/Konbini)
Une fois tout le monde réuni, on embarque à bord du véhicule numéro 3, un car qui tient davantage du van, malgré ses sièges en cuir et ses néons bleus. À l’intérieur, on a un gros caisson et des platines pour assurer l’ambiance tout au long du trajet. Les premières notes du tube “Cold As Ice” de F. Noize se font entendre. Le moteur démarre, la fête aussi. C’est parti pour une grosse dizaine d’heures de route.
Pourtant, le programme du jour est très chargé. Les habitués sont d’ailleurs ceux qui peuvent dormir après une bonne heure de trajet. Ils savent à quel point il est important d’être en forme pour profiter pleinement de l’événement. Dans le bus, on retrouve des festivaliers d’âges variés, d’à peine 18 ans à une grosse quarantaine d’années. Le hardcore n’a pas d’âge, semble-t-il.
Pourtant, avec le caisson qui crache du son à quelques mètres de moi, je n’arrive pas à fermer l’œil. Trois heures, quatre heures. Pas sommeil. Première pause. Jimbo est déjà ivre mort et s’écroule dans les toilettes de l’aire d’autoroute. Il faut dire qu’il vient de s’enfiler deux bouteilles de rhum en hurlant “apéroooooo” dans l’allée du bus. C’est son premier festival de techno hardcore aux Pays-Bas. Une fois raccompagné par un Rudy bienveillant à l’arrière du véhicule, il s’endort pour plusieurs heures. À mi-chemin entre le sommeil et le coma.
“C’est long…”
Cinq heures, six heures. Rien à faire. La nuit sera très courte, alors que mon bro assis côté fenêtre profite, lui, d’une bonne nuit de sommeil de plusieurs heures. Je n’arrive à fermer l’œil que quelques dizaines de minute, à plusieurs reprises tout de même. Le lever du jour est difficile, et la musique repart de plus belle. “Merde, j’aurais mieux fait de pioncer avant”, me dis-je.
D’autant plus que derrière moi une certaine Anaïs vient de se réveiller et est bien déterminée à mettre l’ambiance dans le car. Après avoir enchaîné les shots, elle prend le contrôle de la musique et décide de mettre du terror. Quelques nouvelles heures de route plus tard, nous nous arrêtons dans un McDonald’s hollandais. Anaïs, proche du black-out, vomit ses tripes sur le parking. Elle demande à ses copines qu’on ne l’appelle pas “vomito” dans le car. Peine perdue.
On avait deux heures d’avance, mais à cause de cet ultime arrêt nous arrivons en retard. Les festivités débutent à 13 heures. Les embouteillages commencent, et les conditions météorologiques sont assez inquiétantes. Nous sommes littéralement suivis par la tempête. À chaque pause sur une aire de repos, il y a un vent à décorner les bœufs. Les teufeurs peinent à allumer leurs cigarettes. Mon voisin de siège me demande si je vais “proder” (c’est-à-dire prendre de la drogue dure). Je lui réponds que non : même si la consommation de drogues est souvent inhérente à ce courant musical, elle est tout sauf nécessaire et indispensable.
Le We Love Green du hardcore
Après presque douze heures de route, nous voilà enfin arrivés sur le parking du Harmony of Hardcore, l’un des plus gros festivals outdoor de techno hardcore au monde, qui peut se permettre de regarder droit dans les yeux le tout aussi fameux Dominator. Il ne s’agit pas d’une free party comme la Rave on the Dead où nous nous étions rendus en novembre dernier, mais bel et bien d’un véritable festival encadré. C’est un peu le We Love Green du hardcore, en somme. Il nous faudra 20 grosses minutes de marche pour rejoindre l’entrée, où l’on va également attendre un bon quart d’heure avant de se faire fouiller minutieusement. Il est presque 15 heures, et nous voilà au cœur de la tempête.
À peine l’entrée dépassée, nous faisons un tour du site avant de profiter. Une stratégie absolument primordiale, tant il est facile de se perdre dans la foule par la suite. Pourtant, il y a peu de monde à cette heure-ci : on accède facilement aux barrières des scènes où les DJ ne mixent que devant quelques dizaines de spectateurs plus ou moins investis.
On découvre alors l’envers du décor : des stands de bouffe à foison, des attractions en tous genres, une grande roue, des hamacs, des manèges, un bar à chicha et même un barbier – et j’en passe. Il y a absolument tout ce que l’on peut imaginer. Le merchandising tant convoité, quant à lui, est épuisé en quelques dizaines de minutes. Tant pis, on repartira sans babiole qui aurait fait office de souvenir.
(© Guillaume Narduzzi/Konbini)
On s’aventure alors vers la première scène à notre portée, sobrement baptisée “Extreme Darkness”. Nous sommes en milieu d’après-midi et le terror résonne de toutes parts. C’est le seul endroit quasiment rempli aussi tôt. “Plus c’est violent, plus il y a du monde”, me glisse à l’oreille Vincent, contraint de gueuler pour que je l’entende. Un adage qui va souvent se vérifier par la suite.
#HarmonyOfHardcore pic.twitter.com/VpxIcY3lrT
— Guillaume Narduzzi (@guillaume_nrdz) 11 juin 2019
On troque quelques euros en échange de tokens, des coupons en plastique qui serviront de monnaie locale pour nous offrir des bières, des casse-dalles et du flügel, une spécialité locale qui est un mélange d’alcool et de caféine (de quoi revigorer les teufeurs). À la suite de notre petit tour, on recompte les scènes, pour être sûrs :
– “Il y en a neuf !”
– “Mais non, t’as oublié celle-là.”
– “Et celle-là aussi.”
– “Ah ouais. Putain, il y a onze scènes !”
La religion des Pays-Bas
Les moyens mis à disposition des festivaliers sont considérables. Il faut dire qu’aux Pays-Bas la techno hardcore est une véritable religion. Au Harmony of Hardcore, des skinheads de la première heure croisent les couples les plus instagramables qui soient. Un exutoire parfaitement orchestré et très bien sécurisé, d’autant plus avec les risques que présentait la tempête.
Les gens sont hyper respectueux et l’après-midi se déroule dans une très bonne ambiance générale. On se rend alors devant la scène principale, haute de plusieurs dizaines de mètres et absolument sublime, jusque dans ses moindres détails, une sorte de cathédrale du hardcore, où le légendaire DJ Paul Elstak assure le show, aidé par un MC.
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Puis on fonce vers le chapiteau de la scène du label PRSPCT pour s’abriter de ce qui sera la seule averse de la journée. On se retrouve alors devant Lucy Furr, une jeune artiste qui mêle drum and bass et hardcore avec brio, tandis que NSD, très apprécié dans les teufs françaises, distille son uptempo ultra-violent sur la scène Terrordrang.
On retourne ensuite devant la scène principale, alors que la foule s’amasse vitesse grand V, pour apprécier le set de D-Fence, autre figure bien connue du hardcore néerlandais. Puis vient le moment d’écouter F. Noize, mais en vrai cette fois-ci. L’artiste alterne à la perfection entre frenchcore et uptempo sur la scène Footworxx, au milieu du festival. C’est d’ailleurs là qu’on retrouve les meilleurs pas de hakken, cette danse caractéristique de la techno hardcore (voir ci-dessous).
Il y a tellement de scènes que les choix en deviennent presque cornéliens. Au milieu des décibels, on s’offre un moment de répit bienvenu avec la scène Boomshakalak, qui passe du reggae et du dancehall en haut d’une colline cachée dans les sous-bois. Les festivaliers sont d’ailleurs quelques dizaines à venir profiter du son, même si on lit sur les visages l’étonnement de découvrir une telle musique ici.
Du gabber au terror
Puis on retourne écouter du bon vieux gabber à l’ancienne avec Neophyte, l’un des précurseurs du genre dans les années 1990, qui a réussi à relancer le mouvement grâce à différentes initiatives, dont un label qui s’est imposé comme une référence dans le milieu. On se rend ensuite sur la bien nommée scène Extreme Darkness voir DRS, que l’on avait déjà pu apercevoir au Masters of Hardcore l’année dernière. Les kicks sont tellement violents que l’on peine à rester plus d’une demi-heure.
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On s’accorde de nouveau un petit peu de repos. Le temps d’aller manger un bout et c’est reparti pour la beuverie auditive. Sur la même scène, The Sickest Squad a pris le relai. Un petit peu de full frenchcore, ça fait clairement du bien, vu l’intensité de la journée. D’autant plus que le summum du hardcore est à venir, avec Greazy Puzzy Fuckerz.
Lui aussi porte bien son nom. Depuis un an, il révolutionne le monde de la techno bien vénère – d’abord en duo, maintenant en solo – avec des morceaux ultra violents, mais pourvus d’un second degré à toute épreuve et de références plus ou moins pointues. Un véritable phénomène musical, qui fait se déplacer les foules. On ne peut même pas rentrer sous le chapiteau de la “Ravezone” prévu à cet effet. Le show est tout bonnement phénoménal : avec une montée en BPM continue (littéralement), les fans se déchaînent un peu plus à chaque nouvelle track.
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Un final exceptionnel
C’est alors que l’on se rend à nouveau vers la scène PRSPCT pour apprécier le set diabolique de The Satan, probablement le meilleur de la journée. Un show avec un vrai concept : du décor de la scène au costume du bonhomme, tout y est. On fait toutefois un crochet pour aller voir la sensation Sefa, jeune DJ de 18 ans (!) et prodige du frenchcore. L’endroit est blindé de monde, et malheureusement c’est bien la seule fois de la journée où l’on n’entendra pas grand-chose, à cause du vent.
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Une grande scène que l’on ne quittera plus, quitte à rater le taulier de l’uptempo, Partyraiser. Arrive enfin la superstar, le Néerlandais Angerfist. Véritable pilier du hardcore – son masque blanc est devenu l’emblème de ce courant musical –, il offre un show digne de cette journée d’anthologie. Les tubes s’enchaînent, les flammes jaillissent de la scène et les faisceaux lumineux scintillent dans le ciel.
On croise alors deux compagnons de notre bus, juste le temps d’apprécier tous ensemble le closing tout simplement dantesque offert par l’organisation. Sur les hymnes du festival, dont l’excellent “Harmony of Fuck” du fameux Greazy Puzzy Fuckerz, les feux d’artifice éclairent la nuit qui est tombée depuis bien longtemps maintenant. Les effets pyrotechniques partent par dizaines, c’est une vraie orgie visuelle. Bouche bée, même les plus gros danseurs s’autorisent quelques secondes de repos pour profiter du spectacle. Il est une heure du matin, nous sommes déjà dimanche. Il est temps de rentrer.
L’édition “la plus réussie de tous les temps”
D’après la presse locale, on parle déjà du Harmony of Hardcore “le plus réussi de tous les temps”. Rien que ça. Cette quatorzième édition a réuni plus de 35 000 spectateurs à Erp, et on ne peut que saluer l’organisation quasi irréprochable. Seul bémol : la gestion des déchets. Les poubelles sont quasiment inexistantes – ou du moins pas assez nombreuses – et le sol est recouvert d’une couche de verres en plastique de 20 cl écrasés.
Le retour est difficile tant on s’est servi de nos pieds toute la journée. Les corps sont fatigués par cette escapade hollandaise, et une fois que le chauffeur s’est assuré d’avoir bien récupéré tout le monde en chemin, c’est le grand retour direction Paris. Cette fois-ci, tout le monde dort, y compris moi. Le lendemain matin, une fois arrivés à Nation, on se salue à peine avant de se quitter. Jimbo va mieux et Rudy est toujours prêt pour “l’apérooooo”. Le Harmony of Hardcore ferme ses portes pour cette année, mais on sera probablement de retour en 2020 tant le show en valait la chandelle.