On n’y croyait pas spécialement, et pourtant, Trolls 2 est un succès. Pas en salles car, confinement oblige, ces dernières sont fermées. Mais la campagne marketing ayant déjà été lancée, Universal a décidé de sortir le film d’animation directement sur les plateformes de streaming, comme Apple TV pour la somme forfaitaire de 19,99 dollars. Une décision qui avait à l’époque été présentée par le studio comme une exception justifiée par la pandémie qui a provoqué la fermeture des cinémas.
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Mais le Wall Street Journal a révélé mardi que le film avait récolté la somme colossale de 95 millions de dollars en Amérique du Nord ces trois dernières semaines – il faut dire qu’il avait démarré très fort. Fort de ce succès inattendu, le patron d’Universal a déclaré au journal que ses studios allaient désormais sortir leurs films “dans les deux formats”, à la fois en salles et sur les plateformes de vidéo à la demande, même après la crise sanitaire.
AMC, la plus importante chaîne de salles de cinéma d’Amérique du Nord avec 8 000 écrans, a pris ces propos comme une déclaration de guerre. Elle a écrit à Universal pour l’avertir qu’elle “ne projettera plus aucun film Universal dans ses cinémas des États-Unis, d’Europe ou du Moyen-Orient”, une décision à effet immédiat. Le PDG d’AMC, Adam Aron, a publié une lettre dans laquelle il précise les raisons de sa décision, avant d’aller plus loin encore :
“AMC croit qu’en envisageant de diffuser simultanément en VOD et dans les cinémas, Universal rompt le modèle économique et les accords qui unissent nos deux sociétés. […]
Au passage, cette politique ne vise pas uniquement Universal et n’a pas vocation à être punitive de quelque manière que ce soit car elle concerne également tous les studios qui ne respecteraient pas les réglementations actuelles de chronologie des médias en l’absence de négociations de bonne foi entre nous. Le but est qu’eux, distributeurs, et nous, exploitants, puissent profiter unilatéralement des bénéfices et qu’aucun de nous ne soit endommagé par de tels changements.”
Avant la pandémie, les studios américains attendaient généralement 90 jours après la sortie en salles pour diffuser leurs œuvres sur un quelconque format numérique – on est loin du modèle de la chronologie des médias à la française donc, puisqu’il faut attendre chez nous six mois pour qu’un film soit accessible en VOD, huit mois pour qu’il soit diffusé sur Canal+ et trois ans pour qu’un service de streaming façon Netflix ou Disney+ puisse le diffuser.
La fin de la suprématie des salles de cinéma ?
L’an dernier, les cinémas ont engrangé des profits record, à hauteur de 42,5 milliards de dollars, à la faveur notamment d’une série de grosses productions Disney. Mais l’essentiel de leur croissance s’est fait hors d’Amérique du Nord (AMC détient beaucoup de complexes en Inde, Asie, et Amérique du Sud). Et les exploitants de salles voient depuis fort longtemps d’un mauvais œil l’engouement des spectateurs pour les services de streaming.
Les exploitants de salles se sont d’ailleurs alarmés du succès de Trolls 2 en vidéo à la demande, affirmant que cette performance exceptionnelle était la conséquence du confinement, qui empêche des centaines de millions de spectateurs de se rendre au cinéma. Le responsable de l’association américaine des exploitants de salles, John Fithian, a indiqué :
“Universal n’est pas fondé à utiliser ces circonstances inhabituelles pour court-circuiter les vraies sorties en salles.”
Le problème pour eux est que Trolls 2 n’est pas un cas isolé. De nombreux films sont sortis sur Internet directement (comme Bloodshot, par exemple), ou avec des délais raccourcis en raison de la fermeture des salles dans de nombreux pays (Disney en tête). Et ce n’est que le début. Prochainement, ce sera également le cas pour Scooby ! de Warner Bros. le mois prochain, mais aussi Artemis Fowl, qui ira directement sur la plateforme Disney+. Les studios Paramount diffuseront quant à eux le film The Lovebirds directement sur Netflix sans passer par les salles.
Reste qu’il semble peu probable qu’AMC se passe vraiment des films Universal indéfiniment. Cela voudrait dire ne pas diffuser le prochain James Bond, les futurs Fast & Furious, Halloween, Jurassic Park et autres franchises à succès. Pour une entreprise hautement endettée, on parle ici d’un gros (énorme) manque à gagner.
Cela ressemble plus à une démarche de négociation pour empêcher Universal de sortir ses films comme bon lui semble. La situation est tendue : d’un côté, Universal ne peut pas se passer de la plus grande chaîne de cinéma au monde. De l’autre, AMC perdrait énormément d’argent dans l’affaire. Il est probable qu’une discussion entre les deux entités soit en cours pour trouver un juste milieu. Une chose est certaine : le modèle économique des sorties en salles risque bien d’évoluer dans les prochains mois.