Une étude publiée le 7 janvier prétend pouvoir rendre les tomates épicées grâce à la méthode du “ciseau génétique” CRISPR, capable d’activer des gènes.
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Au rythme où avance l’édition génétique, les OGM devraient nous offrir de sacrées surprises gustatives dans le futur. Le 8 janvier, rapporte The Guardian, des chercheurs brésiliens et irlandais publiaient une étude dans la revue Trends in Plant Science pour présenter leurs travaux sur l’édition génétique des tomates. Selon eux, grâce à la méthode CRISPR, aussi efficace que controversée, nos bonnes vieilles tomates pourraient bientôt évoluer en une version… épicée.
Comment ? En activant chez la tomate un composant présent dans le piment, les capsaïcinoïdes. Lorsque vous mangez un piment rouge, par exemple, c’est la molécule de capsaïcine qui active les récepteurs de chaleur de votre bouche, sans pour autant provoquer de réelle brûlure. D’autres capsaïcinoïdes sont, par exemple, le gingerol et le shogaol (présents dans le gingembre) ou la pipérine (présente dans le poivre).
La capsaïcine, substance multi-usages
Au-delà d’une simple coquetterie gustative, la saveur épicée présente certains avantages pour la santé : les capsaïcinoïdes provoquent la sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline, qui ont pour effet d’accélérer la destruction des graisses. Et croyez-le ou non, mais consommer cette molécule provoque aussi une sécrétion d’endorphines – concrètement, oui, le piment vous rend (un peu) euphorique.
Question subsidiaire : pourquoi utiliser une méthode aussi complexe que CRISPR – Cas9 pour créer des tomates épicées alors qu’il semble plus simple et moins coûteux de continuer à assaisonner nos plats avec le piment transformé en poudre ? Car l’intérêt lucratif de la capsaïcine, la molécule la plus puissante de la famille des capsaïcinoïdes, ne se limite pas à la gastronomie.
La substance a notamment plusieurs applications dans le domaine médical : elle est présente dans des crèmes et patches contre les démangeaisons, en huile pour soulager les douleurs musculaires, dans un médicament contre l’arthrite, en spray nasal contre la rhinite, et aurait un certain potentiel dans le marché de la diététique. Elle est aussi considérée comme un produit dopant en hippisme (en désensibilisant les pattes de chevaux, elle leur permet de sauter plus haut), et utilisé par vos fabricants d’armes préférés pour concocter certains sprays lacrymogènes pour particuliers. Bref, la capsaïcine se vend bien.
Tomate et piment, le même arbre généalogique
A contrario, le piment, lui, est loin d’être le légume le plus facile à cultiver. Selon les chercheurs, la culture est difficile et nécessite beaucoup de main-d’œuvre pour parvenir à maintenir un taux de piquant acceptable sur l’échelle de Scoville (l’échelle qui mesure la puissance des piments). À l’inverse, la tomate est peut-être le fruit le plus étudié et modifié de toute l’histoire de l’agriculture, à tel point que son goût originel avait totalement disparu avant d’être finalement “retrouvé” en 2017.
Le voilà, l’intérêt des tomates pimentées : produire des capsaïcinoïdes en grande quantité, de manière économique, explique au Guardian Agustin Zsögön, coauteur de l’étude. Argument ultime, la tomate et le piment partagent un ancêtre commun, il y a 19 millions d’années. Les gènes qui produisent la capsaïcine existent donc toujours dans la tomate, ils sont simplement inactifs. Grâce à CRISPR-Cas9, les activer est largement envisageable.
(Photo by Nicolas Armer/picture alliance via Getty Images)
OGM, eugénisme et évolution
Le problème, désormais, reste de faire accepter au grand public et aux régulateurs ce qui n’est rien de moins qu’une nouvelle manière, encore plus invasive, de produire des OGM – la technique intéresse d’ailleurs particulièrement le géant de l’agroalimentaire Monsanto. CRISPR-Cas9 peut potentiellement révolutionner des pans entiers de la recherche, de la science… et de nos vies quotidiennes, puisqu’elle permet d’éditer le génome de la manière dont on le souhaite.
Un immense pouvoir qui, évidemment, vient avec d’immenses responsabilités et une cohorte de questions éthiques : doit-on, par exemple, lâcher un moustique génétiquement modifié dans la nature capable d’éradiquer le moustique de la Terre ? Doit-on éditer le génome d’embryons pour les guérir du virus VIH, comme l’annonçait en novembre le chercheur chinois He Jiankiu? Eugénisme, catastrophes écologiques, mutation des fruits et légumes… CRISPR – Cas9 nous permet de manipuler des forces naturelles immenses, qui pourraient tout autant accélérer l’évolution de notre espèce que se retourner contre elle. Pour le moment, la précaution reste de mise. Y compris pour la tomate pimentée.