D’après le rapport du Défenseur des droits, 2015 fut une année de régression pour les libertés fondamentales en France.
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Chaque année, le Défenseur des droits, une institution indépendante de l’État, publie un rapport détaillant son activité. En 2015, 79 592 dossiers de réclamations ont été déposés auprès de cette institution, soit 8,3 % de plus que l’année précédente.
Ces réclamations concernent aussi bien la protection des personnes (santé, mariage, demande d’asile, éducation, déontologie des forces de police) que la protection sociale (chômage, retraite, assurance maladie), mais aussi celle du travail et de l’emploi. Pour l’année 2015, une rubrique spéciale a été créée pour toutes les réclamations résultant des dérives éventuelles de l’état d’urgence.
À ce propos, Jacques Toubon, Défenseur des droits depuis juillet 2014, argumente dans un éditorial :
“Les tragédies qui ont frappé la France n’ont pas manqué d’avoir de profondes conséquences sur le rapport des Français aux institutions. La demande de protection a pris le pas sur le souci des libertés et de l’égalité. Le Défenseur des droits, dans ces circonstances tragiques, s’est efforcé d’appeler à l’équilibre entre les exigences légitimes de la sécurité et le respect des droits et des libertés fondamentales.”
État d’urgence : perquisitions violentes et licenciements pour port de la barbe
Entre le 26 novembre et le 15 janvier 2016, le Défenseur des droits a reçu 42 réclamations dont 18 en raison de perquisitions ayant causé des dégâts matériels et entraîné des violences physiques. Dans ce bilan, quatre réclamations sont déposées pour des perquisitions qui auraient eu lieu en présence d’enfants en bas âge, braqués à main armée par les policiers et gravement traumatisés depuis.
Onze autres de ces réclamations concernent des assignations à résidence, le refus d’accès à des lieux publics (dont l’exclusion d’une salle de cinéma, le refus d’accès à un collège d’une mère voilée ou encore le refus d’accès à un commissariat pour port de voile) ou encore deux licenciements pour port de barbe.
Par ailleurs, quatre personnes arrêtées lors de la manifestation du 29 novembre, durant l’ouverture de la COP21, ont dénoncé les conditions de leur garde à vue auprès du Défenseur des droit. Violences policières et manquements déontologiques des forces de l’ordre occupent une place de taille au sein de ce rapport du Défenseur des droits, qui tire la sonnette d’alarme en soulignant que les réclamations à ce sujet ont augmenté de presque 30 % en un an.
Contrôles au faciès des fonctionnaires de police
En matière d’interpellation, le rapport met en cause le comportement de certains gardiens de la paix, à travers par exemple “le contrôle d’identité opéré sur des motifs discriminatoires fondés notamment sur l’origine ou la simple apparence […] dont la loi ne permet aucune traçabilité”. À la lecture de ce rapport, la pratique de contrôles identitaires au faciès ne laisse pas de doute, comme l’indique cette réclamation d’un homme contrôlé par trois fonctionnaires de police, alors qu’il était en train de donner de l’argent de poche à ses enfants qui ont, eux aussi, de ce fait, été fouillés.
Au-delà de cas de stigmatisations et d’humiliations sur la place publique, des directives encourageant ces discriminations semblent être véhiculées au sein-même des commissariats. Le Défenseur des droits a notamment été saisi au sujet d’une note rédigée par le chef d’une police municipale intimant de relever systématiquement l’identité des personnes suspectes “type gens du voyage”. Après enquête, le Défenseur a déploré “que la note, manifestement discriminatoire, n’ait suscité aucune réaction de la part des différents services qui en ont été destinataires pour validation ou information, et plus particulièrement [le] silence du maire”.
Des refus de scolarisation d’enfants étrangers ou handicapés
Ces Roms, ou dits de “type gens du voyage”, sont discriminés à d’autres égards, notamment concernant l’accès à l’éducation. Ainsi ce rapport relate nombre de refus de scolarisation pour les enfants roms. On peut y lire que cinq enfants, âgés de 12 à 15 ans et arrivés en France en cours d’année se sont vu refuser toute affectation par les services départementaux de l’Éducation nationale et ont dû attendre la rentrée 2015 pour intégrer un établissement scolaire.
L’école républicaine, censée être accessible à tous, reste encore à la traîne en matière de droits à l’autonomie des personnes handicapées et de mise en place de structures adaptées pour les jeunes souffrant d’un handicap. Les auxiliaires de vie scolaire tenus d’accompagner ces enfants répondent souvent absents à l’appel et les établissements spécialisés et médicalisés n’ont que très peu de place pour les accueillir.
Homosexuels et femmes enceintes discriminés
Et la liste des défaillances ne s’arrête pas là. Dans ce rapport, on peut trouver une réclamation relative à la décision d’un procureur de la République de s’opposer la célébration d’un mariage homosexuel entre un Français et un Marocain. Après saisine du Défenseur des droits, le tribunal de grande instance et la cour d’appel ont fait droit à la demande des requérants.
Après le mariage, la famille, et plus précisément les femmes enceintes, qui, à en croire certains employeurs, sembleraient moins aptes à exercer leur métier après neuf mois de gestation et un bref congé maternité. Il faut savoir que sur la totalité de ces plaintes pour discrimination, 54,1 % touchent des femmes.
Le service public comptabilise à lui seul plus de la moitié des dossiers traités en 2015. Pour la petite anecdote (et toujours d’après ce rapport), une officière de police judiciaire aurait saisi le Défenseur des droits pour “harcèlement moral en lien avec sa grossesse et son état de santé”, ce qui est constitutif d’une discrimination :
“La réclamante s’est heurtée à un comportement inhabituel de son supérieur hiérarchique à son retour de congé de maternité, celui-ci étant distant et l’excluant des circuits d’informations internes.”
Le rapport 2015 du Défenseur des droits souligne donc une inquiétante dégradation des droits et des libertés en France, alors même que l’exécutif se réfère régulièrement aux grands principes républicains. Et il y a fort à craindre qu’avec l’état d’urgence, en passe d’être prolongé de quatre mois renouvelables, la tendance ne se confirme en 2016.