Ne pas accepter le Brexit, manifester contre Donald Trump ou être jeune, tout simplement : il n’en faut pas plus pour se faire traiter de “flocon de neige” au Royaume-Uni et aux États-Unis.
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Un flocon de neige, c’est délicat, gracieux, féérique. Ça fait penser à la magie de Noël, au vin chaud dégusté au pied des pistes et à La Reine des Neiges. C’est un terme aux sonorités douces qui renvoie à des images positives, réconfortantes. Mais au Royaume-Uni et aux États-Unis, “flocon de neige” (“snowflake” en VO) est devenu une étiquette péjorative, voire une insulte, qui s’est largement répandue en 2016.
Le mois dernier, Chuck Palahniuk, l’auteur du best-seller Fight Club (1996), s’en octroyait la paternité. Interrogé par l’Evening Standard, il rappelait que son anti-héros Tyler Durden, un anticonformiste qui encourage des hommes à retrouver leur virilité en se battant, dit à ses disciples : “Vous n’êtes pas spécial. Vous n’êtes pas un flocon de neige, beau et unique.” Une réplique reprise nonchalamment par Brad Pitt dans le film de David Fincher (1999) :
Après la victoire du Brexit le 23 juin 2016 et celle de Donald Trump le 8 novembre dernier, le “flocon de neige” s’est répandu telle une trainée de poudre. Dans le discours politique, dans les médias, sur les réseaux sociaux, les grands gagnants utilisent ce mot innocent pour se moquer des pro-européens et des anti-Trump qui n’acceptent pas le nouveau paysage politique. Pour clouer le bec aux manifestants, aux journalistes (comme le site phare de l’alt-right américaine Breitbart), à ceux qui ne pensent pas comme eux… ou tout simplement à ceux qui ne comprennent pas leur humour. Le mois dernier, Michael Gove, l’une des grandes figures de la campagne pro-Brexit, s’en servait pour défendre Boris Johnson, critiqué pour avoir comparé François Hollande à un bourreau de la Seconde Guerre mondiale.
“Les personnes ‘offensées’ par les commentaires du ministre des Affaire étrangères sont des flocons de neige qui manquent d’humour et délibérément obtus. C’est une métaphore pleine d’esprit.”
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Le jeune, ce punching ball
Offenser. Ce mot rime désormais avec flocon de neige. Pour les amateurs de cette insulte, les manifestants pro-européens et anti-Trump pleurent, geignent et sont colériques comme des enfants pourris gâtés. D’ailleurs, ce sont souvent les jeunes adultes qui sont visés. Pas étonnant vu que 75 % des 18-24 ans britanniques ont voté pour rester dans l’UE et que 55 % des 18-29 ans américains ont donné leur voix à Hillary Clinton (37 % ont soutenu Donald Trump).
Un mois après le référendum du Brexit, dans une tribune publiée sur le Huffington Post, Janice Atkinson – une députée européenne indépendante (virée du UKIP pour des soupçons de fraude) et membre du groupe coprésidé par Marine Le Pen L’Europe des nations et des libertés – tournait en dérision cette génération “dont les études médiatiques, de cinéma, de chant et de danse sont des pertes de temps” qui “coûtent de l’argent aux contribuables”. Outre-Atlantique, Kellyanne Conway, conseillère du nouveau président américain, se désolait sur Fox News : “Nous traitons les adolescents et les millennials comme des précieux flocons de neige.” Ah, le fameux mythe d’une génération à prendre avec des pincettes !
“Moins résilients, plus susceptibles”
Tous les ans, le Collins English Dictionary dresse la liste des 10 mots ou expressions qui ont marqué l’année. Entre le “Brexit”, qui est sans surprise le grand gagnant de 2016, et le “hygge”, la recette danoise du bonheur, l’expression “generation snowflake” s’est glissée dans ce top 10. Selon le prestigieux dico britannique, elle désigne “les jeunes adultes des années 2010, qui sont perçus comme moins résilients et plus susceptibles que les générations précédentes”.
En un mot, c’est une énième expression pour qualifier les millennials, les personnes nées dans les années 1980-1990, que les médias anglophones adorent opposer à leurs parents, les baby boomers. Mais si le terme “millennial” est parfois utilisé pour simplement souligner les spécificités du mode de vie des jeunes adultes (par exemple, ils investissent moins dans l’immobilier que leurs parents), l’expression “generation snowflake” ne leur laisse aucune chance. Éditorialistes et écrivains ont trouvé une nouvelle variante lexicale pour leur taper dessus.
Panique sur les campus
De la version britannique de GQ au conservateur The Spectator, en passant par le tabloid très à droite (et très limite) The Daily Mail, un profil se dessine : le millennial de base se plaint et aime se plaindre, ne supporte pas les critiques et est facilement outragé. La Britannique Claire Fox a probablement contribué à sa généralisation au Royaume-Uni en publiant en mai 2016 l’ouvrage (de 200 pages tout de même) I Find That Offensive qui définit, en quelque sorte, la generation snowflake. En prenant un ton volontairement provocateur, et un poil moralisateur, la directrice du think tank Institute of Ideas déplore pêle-mêle que :
- Dans des universités américaines, “des étudiants demandent des ‘trigger warnings’ [le fait de prévenir qu’un contenu peut s’avérer choquant, ndlr] pour des textes classiques divers comme Mrs Dalloway de Virginia Woolf, en raison de ses ‘tendances suicidaires’, ou Les Métamorphoses d’Ovide, en raison de ses ‘agressions sexuelles’.” ;
- “les safe spaces [espaces mis en place sur des campus réservés à des groupes spécifiques (femmes, LGBT…), pour que ses membres puissent discuter sans être confrontés à des discours de haine, ndlr] sont devenus une indéniable menace à la liberté d’expression” ;
- “les étudiants souffrent réellement d’anxiété à cause de désagréments mineurs et d’une pression académique tout à fait normale“.
Les concepts de “trigger warning”, “safe space” ou encore de “no-platforming” – le fait d’empêcher une personnalité controversée de participer à un débat public – sont intrinsèquement liés à la generation snowflake. Ils englobent des initiatives qui se sont multipliées sur les campus américains puis britanniques ces dernières années. Au point que certains universitaires et intellectuels, outre-Manche et outre-Atlantique, craignent qu’elles portent atteinte à la liberté d’expression. Il faut reconnaître que certains exemples extrêmes desservent ces concepts facilement tournés en dérision, comme dans cet épisode de South Park.
Frankenstein des temps modernes
“Nous avons, en résumé, créé notre propre monstre de Frankenstein [sic] extrêmement anxieux mais arrogant, facilement offensé mais qui s’en réserve le droit, et très susceptible”, conclut Claire Fox, qui insiste sur la responsabilité des baby boomers et leur mode d’éducation trop protecteur. “Il y a eu un changement culturel à la fin du XXe siècle. La société est devenue plus individualiste, les parents plus préoccupés par leurs enfants, ce qui a certainement eu un impact sur leur manière de se sociabiliser”, reconnaît Jennie Bristow, professeure de sociologie à l’université de Canterbury.
Pour autant, et c’est toujours le problème avec ce genre d’expression généraliste, la generation snowflake est un gros fourre-tout qui n’est certainement pas représentatif de toute une classe d’âge. Et même s’il y a un fond de vérité, on ne peut pas dire que les millennials, les anti-Brexit et les anti-Trump ont le monopole de la susceptibilité. Après tout, c’est le Donald qui geint sur Twitter quand Alec Baldwin l’imite sur le plateau du Saturday Night Live. C’est qui le flocon de neige maintenant ?