Un Faux Graphiste a acquis en peu de temps une grande popularité sur le Web grâce à ses détournements hilarants des planches de Tintin. Mais qui est vraiment cet artiste qui vient de se faire rappeler à l’ordre par les ayants droit du plus célèbre des reporters de BD ?
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Avec une page Facebook qui, au bout d’un an seulement d’activité, regroupe plus de 30 000 fans, et une revue de presse qui s’allonge de jour en jour, Un Faux Graphiste fait beaucoup parler de lui en ce moment. Et notamment depuis que la société Moulinsart SA, dirigée par les descendants d’Hergé, l’a convoqué dans ses bureaux pour lui intimer cordialement l’ordre d’arrêter de détourner Les Aventures de Tintin. Un bon coup de pub qui le prive malheureusement de son terrain de jeu préféré.
Pourtant, Un Faux Graphiste n’est pas… graphiste. Ni même dessinateur. Jeune étudiant en langue et littérature moderne, ce Bruxellois pratique depuis toujours cet art si particulier qui consiste à décontextualiser une image afin d’en modifier son message ou sa signification. Jusqu’à devenir un maître du genre. Loin de se limiter à Tintin, sa créativité s’exprime librement sur d’autres supports, de Blake et Mortimer aux tableaux de la Renaissance en passant par de vieilles publicités. Rencontre avec un petit génie du détournement tous azimuts.
Konbini | Comment en es-tu venu à créer Un Faux Graphiste ?
Un Faux Graphiste | Tout a commencé quand j’ai voulu me créer une page Facebook, il y a un an. Au départ, je fais des jeux de mots débiles avec deux noms que je mélange et qui donnent un résultat improbable. Le nom “Un Faux Graphiste” est né comme ça. Je tenais à prendre un pseudonyme.
Pourquoi avoir choisi Tintin comme cible principale de tes détournements ?
J’ai toujours aimé détourner ce qui me tombait sous la main. Tintin, ça s’est fait facilement. C’est très universel et également très actuel ! Le dialogue fonctionnait bien entre Tintin et ce que je faisais. Cela a été très facile et très naturel à faire. Maintenant, je ne peux plus détourner Tintin, donc je vais continuer à pratiquer le détournement avec tout ce que je trouve. Mais c’est vrai qu’avec Tintin, il y avait une grande facilité. C’est peut-être aussi pour cela que ça a aussi bien marché.
“Critiquer les hipsters et les bobos n’était pas une attaque volontaire. Disons que tout ce petit milieu est assez drôle”
Tu sembles t’adresser à un public bien particulier : les hipsters et les bobos. C’est délibéré ?
C’est devenu hypercommun de critiquer les hipsters et les bobos. Mais ce n’était pas une attaque volontaire. Disons que tout ce petit milieu est assez drôle. Ce n’était pas calculé. C’est peut-être aussi parce que je viens d’un milieu proche de ce type de populations, je les connais bien. Mais, désormais, je suis un peu lassé et j’aimerais me moquer d’autre chose.
Après Tintin, tu t’es attaqué à Blake et Mortimer, dont la structure est plus rigide. Était-ce plus difficile ?
Je suis obligé de trouver d’autres personnages pour m’exprimer. J’essaye de détourner tout ce qui m’inspire. Ce n’est pas simple car, avec Tintin, on m’a retiré ma source principale d’inspiration. En effet, Blake et Mortimer, c’est moins universel et plus rigide. Mais je pense qu’il y a des choses à faire. Je ne les maîtrise pas encore totalement, c’est un nouveau terrain d’expression pour moi.
Je vais aussi continuer à détourner des tableaux, car c’est quelque chose qui marche bien. J’ai également découvert un site qui recense toutes les BD libres de droits. Ce sont plutôt des vieilles BD, mais je vais pouvoir les détourner sans qu’on puisse me mettre un stop. Pour l’instant, j’essaye un peu tout et je vais voir si je me fixe sur quelque chose de précis.
Tu as été convoqué dans les bureaux de Moulinsart SA, qui gère les droits de Tintin et ils t’ont demandé de cesser tes détournements. Pourtant, le droit de parodie existe ?
Avec Tintin, le droit de parodie ne pouvait pas s’appliquer car j’utilise les cases directement. Je ne redessine pas Tintin. La pratique du détournement fait qu’on reprend la bande dessinée telle quelle et, du coup, ce n’est pas considéré comme de la parodie ou de la caricature. Donc, je suis coincé.
“J’ai eu cette chance de pouvoir détourner Tintin pendant un an, ça leur a pris du temps pour me trouver !”
Tu veux dire que le droit du détournement n’existe pas et que ce que tu fais est forcément illégal ?
Dans cinquante ans, Tintin sera dans le domaine public et je pourrai recommencer. Si je m’obstine, ils vont engager une procédure judiciaire et je ne suis pas un martyr. J’ai eu cette chance de pouvoir détourner Tintin pendant un an, ça leur a pris du temps pour me trouver ! Je pensais de toute façon passer à autre chose. J’aurai pu continuer, mais il y a un moment où j’aurai de toute façon dû m’arrêter. C’est quand même un concept qui est limité. Je ne vais pas faire ça toute ma vie.
Je n’ai jamais gagné d’argent en détournant Tintin, même si ça m’a apporté une certaine notoriété. Je n’ai aucun intérêt à continuer. Si Moulinsart SA ne peut pas m’attaquer sur la question de l’argent, elle peut tout de même me reprocher une atteinte à l’image du personnage. Pourtant, j’y vais assez soft ! Je n’ai jamais rien fait de vraiment trash.
L’art du détournement reste assez méconnu. Tu as été influencé par d’autres artistes ?
Mozinor, ça a été un énorme choc pour moi ! Lui détourne des films, le principe n’est pas tout à fait le même. Mais c’est la même idée. Celle de prendre une scène et d’en faire quelque chose de tout à fait différent, de jouer avec ce qui nous est imposé… C’est un exercice qui est très agréable. J’ai du mal à trouver mes idées autrement qu’en regardant des images ou des BD, c’est une situation précise qui va m’inspirer. Dans mes références, il y a aussi le film de Michel Hazanavicius, La Classe américaine : le grand détournement, qui est un chef-d’œuvre du genre.
Outre Internet, comment diffuses-tu ton travail ?
Dernièrement, j’ai fait une expo à Charleroi, en Belgique, ou mes Tintin détournés étaient exposés, parce que je ne voulais pas m’arrêter trop brutalement. Mais ils n’étaient pas mis en vente, bien sûr ; ils étaient offerts via un concours. Ça m’a énormément plu de sortir d’Internet et de voir la réaction des gens. C’est vraiment génial, j’aimerais bien continuer les expos. Je pense aussi à des livres, mais cette activité de détournement a commencé il y a peu, il faut que je progresse encore et que je m’améliore pour pouvoir prétendre m’attaquer à un livre.
Il y a un côté punk, anti-establishment, dans ce que tu fais…
En fait, la critique, ce n’est pas trop mon truc. C’est purement l’humour qui m’intéresse. Mon objectif n’est pas de faire passer un message ou de tourner une BD en dérision. Mon seul but c’est de rigoler et de faire rigoler ! Peut-être que les punks font rigoler parfois, mais je n’ai pas dans l’idée de détruire des icônes.
“Je suis très proche de l’actualité française. Vous avez un monde politique hilarant, on dirait une téléréalité !”
Au tout début, beaucoup de gens pensaient que tu étais français, et même parisien. Pourtant, tu vis en Belgique ?
Les phénomènes dont je parle, qu’il s’agisse des hipsters ou des graffeurs, ont une dimension internationale. Paris est l’un des emblèmes de cette culture, tout comme Berlin… Le type de population qu’on retrouve dans mes détournements pullule dans ces grandes métropoles. Après, je suis très proche de l’actualité française. Vous avez un monde politique hilarant, on dirait une téléréalité ! En Belgique, on a des personnages politiques rigolos mais vous, vous battez tous les records ! On croit parfois regarder Les Anges de la téléréalité, mais en plus marrant. C’est peut-être parce que je suis au courant de votre actualité politique, culturelle et sociale que l’on m’a pris pour un Français.
As-tu de nouvelles cibles ? Quels sont tes prochains projets ?
C’est toujours très improvisé. Mais j’ai envie de sortir tout ça d’Internet, de faire d’autres expos. Et je pense à des cartes postales. Je n’ai pas de cible particulière, je vais voir si je me fixe sur quelque chose en particulier.