Lundi 11 juin, la Federal Commission of Communications (FCC) a fait entrer en vigueur l’abolition du principe de neutralité du Web américain.
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Voilà, c’est fait. Conformément à la décision prise le 14 décembre dernier par le régulateur américain des télécommunications, la FCC, le principe fondamental de neutralité du Net a bel et bien disparu aux États-Unis. Dans un communiqué titré – on appréciera l’ironie – “loi de restauration de la liberté d’Internet”, le président de la FCC Ajit Pai réaffirme les grandes lignes du nouveau dispositif et promet, entre autres, une fermeté accrue vis-à-vis de la concurrence et de la transparence des pratiques.
Si tout cela semble encore un peu flou, c’est normal : les conséquences de la disparition de la neutralité du Net ne se feront pas sentir du jour au lendemain, mais la mutation de l’Internet américain a bel et bien débuté hier. Débarrassés de ce principe fondateur, qui obligeait jusqu’alors les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à proposer la même disponibilité et la même vitesse d’accès à tous les services Internet sans distinction de plateforme ou d’utilisateur, les géants des télécoms américains vont désormais avoir toute latitude pour créer des offres à la carte, ce qui devrait se traduire par la mise en place d’un Internet à plusieurs “voies”, plus ou moins rapides et complètes selon leur coût.
Quant aux grands fournisseurs de services du Web, ils pourraient par exemple mettre en place des partenariats financiers avec les FAI pour voir leurs plateformes suggérées en priorité aux internautes.
Vers un second round législatif ?
Si les grandes entreprises des télécoms se réjouissent évidemment de ce nouveau degré de libéralisation du Net, arguant qu’il leur permettra d’ajuster leurs infrastructures pour mieux intégrer certains des services les plus populaires du Web, comme Netflix et YouTube, le camp d’en face – celui des défenseurs des libertés numériques — met évidemment en garde contre les dérives à venir, entre censure et ralentissement de contenu et échelonnage des prix des forfaits internet.
La coalition Battle for the Net, principale force d’opposition à la décision de la FCC qui regroupe à la fois les grandes ONG du secteur (la Electronic Frontier Foundation, l’ACLU, la Free Software Foundation) et certains des plus importants fournisseurs de services du Web (Twitter, Netflix, Spotify, Imgur ou Pornhub), actait ce 11 juin sa défaite tout en se voulant encourageante pour l’avenir proche :
“L’Internet tel que nous le connaissons ne va pas s’arrêter soudainement. Mais à chaque seconde qui passe jusqu’à ce que la neutralité soit restaurée, il mourra lentement. Les gens vont être énervés. À raison. Nous devons transformer cette colère en force productive et noyer les députés sous un flot d’appels et de mails pour réclamer l’utilisation du Congressional Review Act (CRA) afin d’outrepasser la décision de la FCC.”
Pour le moment, les prières de la coalition ont été partiellement entendues, puisque la contre-attaque législative a débuté : le 9 mai, 33 sénateurs déposaient une pétition de retrait demandant à leurs collègues de voter en faveur du rétablissement de la neutralité du Net.
Le 16 mai, à 52 voix contre 47, le Sénat votait dans ce sens, “retournant” au passage quatre sénateurs républicains. Suffisant pour entretenir l’espoir d’un retournement de situation législatif, mais à peine. Car il faudrait désormais que la Chambre des représentants se prononce. Or, non seulement aucun vote sur la question n’est pour le moment prévu à l’agenda et, si jamais le vote devait avoir lieu, il faudrait que 218 députés votent en faveur de l’annulation des nouvelles directives de la FCC. Soit une cinquantaine de plus que le nombre de députés démocrates. Peu de chances, donc, de voir la question sur le tapis avant un éventuel changement d’administration.
Et maintenant ?
Si, en décembre dernier, nous vous expliquions qu’une disparition de la neutralité du Net américain aurait inévitablement des conséquences sur notre manière d’envisager la navigation Internet en Europe, rappelons que notre neutralité à nous (et particulièrement en France) est protégée plus solidement que jamais depuis un décret européen signé au printemps 2016. Si la marge de manœuvre accordée à Comcast & Co outre-Altantique peut donner faim à des opérateurs comme Orange, pour le moment, difficile d’imaginer comment les FAI continentaux pourraient retourner l’Union européenne, même en déployant une intense campagne de lobbying. Rien à craindre (ou presque, touchons du bois) de ce côté-là, donc.
Alors, que risque-t-il de se produire? Dans un premier temps, rien, comme l’explique l’ONG Fight for the Future. Selon toute probabilité, les FAI ne changeront rien, conscients de l’état de tension qui règne autour de la question. En revanche, d’ici quelques mois, les premières offres fragmentées pourraient débarquer sur le marché, modifiant profondément l’écosystème du Web américain. Certaines plateformes, reléguées au fond de la file des priorités par les FAI, deviendraient moins accessibles, plus lentes à s’ouvrir, et perdraient donc une partie de leur trafic. À terme, certains services communautaires (Reddit, Imgur, etc.) pourraient peut-être fermer, incapables de rentrer dans leurs frais de fonctionnement, faute de trafic.
Voilà pourquoi les différentes ONG continuent de se battre pour l’annulation des nouvelles directives de la FCC, malgré leur entrée en vigueur ; voilà pourquoi 22 États ligués en action de groupe ont porté la question devant les tribunaux ; voilà pourquoi, enfin, les États de Washington, de l’Oregon et bientôt de Californie ont récemment fait passer leurs propres textes de loi pour garantir cette neutralité, malgré l’interdiction expresse de la FCC. Si rien n’est fait, avant même les prochaines élections présidentielles américaines, l’Internet sous sa forme actuelle aura peut-être disparu pour de bon.