Le chef triplement étoilé vient d’ouvrir un nouveau “Refettorio” à Paris.
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On vous a récemment présenté Le pain est d’or, l’ouvrage de Massimo Bottura sur l’aventure de son premier réfectoire solidaire, où les meilleurs chefs de la planète se sont succédé pour nourrir les laissés-pour-compte pendant l’Exposition universelle de Milan courant 2015. Aujourd’hui, le chef remet le couvert à Paris et nous parle de sa fondation Food for Soul, de ses préceptes, et nous donne des clés pour mettre fin au gaspillage, tous ensemble.
Club Sandwich | Bonjour Massimo, dis-nous, comment a démarré l’aventure Food for Soul ?
Massimo Bottura | Food for Soul est né au dénouement de la première session du Refettorio à Milan pendant l’Expo universelle de 2015. Le thème de l’exposition était “Feed the planet”, une question à laquelle on a répondu à notre façon en analysant ces chiffres : 860 millions d’individus n’ont rien à manger dans le monde, mais 1,3 milliard de tonnes de produits alimentaires sont jetées chaque année, ça fait plus de 33 % du total ! Nous produisons à manger pour 12 milliards de personnes, donc la réponse était simple pour nous : il faut combattre le gaspillage.
Traduction : “Refettorio #milano : plus beau que jamais.”
On a donc utilisé à Milan la créativité des chefs les plus influents du monde, en donnant l’exemple pour les nouvelles générations, et nous avons eu un vrai impact. Très rapidement, avec le succès de ce qui se passait à Milan, nous avons été contactés par le maire de Rio au Brésil pour importer notre cantine pendant les Jeux olympiques de 2016. Avec ma femme Lara, on a donc créé la fondation Food for Soul afin de financer ces incroyables soupes populaires dans des endroits magnifiques, pour aider les gens à reconstruire leur dignité en leur proposant des beaux et bons repas. L’idée est que ces Refettorio influencent aussi les quartiers difficiles autour d’eux. Food for Soul est là pour apporter un faisceau de lumière dans ces endroits trop souvent négligés.
Tu installes un de ces Reffetorio à Paris, comment as-tu choisi notre capitale ?
En fait, je n’ai pas choisi Paris, Paris m’a choisi. La ville regorge d’énergie, celle des chefs français. Alain Ducasse, Yannick Alléno, Michel Troisgros, ce sont ces chefs qui m’ont amené ici. Je suis donc arrivé avec Christina, mon bras droit, à la recherche du bon endroit. C’est à ce moment-là que mon ami, l’artiste JR, m’a mis en contact avec Jean-François [Rial, ndlr] de Voyageurs du Monde, qui montait un projet similaire.
Traduction : “#refettorio #paris est prêt, les tables sont prêtes et la cuisine aussi.”
Et ça se déroule comment un repas au Refetterio ?
Chaque jour, nous les chefs laissons toujours la porte ouverte à l’imprévu. Au Refettorio, c’est exactement pareil : on attend le camion du matin, on l’ouvre, on décharge, et on cuisine. On ne sait jamais quels ingrédients nous allons recevoir. Mais on utilise notre créativité, notre temps et nos connaissances pour proposer quelque chose de bon, de simple, qui touche directement le cœur des gens qui vont déguster nos plats.
“C’est vraiment très important, avec l’expérience acquise depuis Milan, on sait que le meilleur outil pour être créatif est ce que les chefs ont dans le cœur, dans leurs souvenirs ; cuisiner est un acte d’amour”
Ton livre, Le pain est d’or, tire son nom d’un plat simple, souvenir de ton enfance. Tu penses que l’émulation créée par l’expérience à Milan a changé ta façon de cuisiner ?
Je pense vraiment que sans mon resto [L’Osteria Francescana à Modène, ndlr], nous n’en serions pas arrivés là. Nous servons seulement 50 clients par jour, mais le staff comprend 60 personnes, et nous devons nourrir ces gens, midi et soir. On a besoin de faire appel à toute notre créativité pour transmettre aux apprentis, aux stagiaires, eux qui préparent les “repas de brigade”, et leur inculquer comment cuisiner avec les restes des ingrédients du menu que l’on sert aux clients.
C’est un processus à 360°, et à L’Osteria, nous arrivons à un impact zéro, nous utilisons absolument tout. Quand on donne ce genre d’habitudes aux jeunes qui travaillent en cuisine, ils deviennent des ambassadeurs de ce projet, à travers le monde entier. Moi, Massimo, je suis juste une seule voix, mais si j’arrive à impliquer tous les chefs du monde, on deviendra un “tsunami éthique”. On en est encore aux prémices, mais nous allons continuer pendant des années, et “demain” existera.
Et nous, on fait comment pour participer à ce mouvement et moins gaspiller ?
Tu vois, en faisant passer le mot, on voit bien que nous ne sommes pas un projet caritatif, nous sommes un projet culturel. Évidemment, les associations qui nous accompagnent sont les vraies héroïnes de ce projet. Gastromotiva au Brésil, Caritas à Milan, etc. Si on continue sur ce chemin, on changera durablement les esprits et la façon dont les gens appréhendent la nourriture. On a besoin de communiquer un maximum pour propager ce message et faire bouger les mentalités.
Traduction : “#pasdegaspillage en cuisine : 2 pommes après les préparatifs pour #autumninnewyork, n’est-ce pas JR ?”
Pour moi, c’est naturel, parce que c’est mon éducation, ne pas gâcher était primordial pour ma grand-mère, idem pour ma maman. Mais pour plein de gens, c’est moins évident, il faut leur apprendre à moins gaspiller, avec des exemples concrets. Dans la campagne italienne, quand on avait besoin de tuer un cochon pour nourrir la famille, ma grand-mère disait toujours : “C’est important que tu comprennes qu’il y a un élément spirituel à prendre en compte ; le cochon donne sa vie pour nourrir notre famille, il faut donc être extrêmement respectueux et ne rien gâcher.” Du sang aux testicules, du nez à la queue. Cette culture du “nose to tail”, cette culture du pain rassis, c’est celle qu’on doit communiquer au monde et au futur. Mon plat préféré, le soir, quand j’étais jeune, c’était un bol de lait chaud avec des miettes de pain, le reste de café du jour, et un petit peu de sucre. La simplicité peut aussi devenir votre plat préféré.