Nous avons discuté avec Matti Sandberg aka Senju, qui réalise de splendides illustrations érotiques d’influence japonaise.
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“Matti, tu es un Japonais dans l’âme, issu de la vieille école. Tu es juste né au mauvais endroit et au mauvais moment.” C’est par ces mots qu’un vieil homme japonais a un jour justement résumé l’artiste Matti Sandberg. Des propos qui ont une résonance particulière pour lui cet artiste suédois de 49 ans qui, sous le nom de Senju, signe des illustrations inspirées du pays du Soleil-Levant. Matti a été bercé par le mouvement punk et hardcore des années 1980, et il en a retiré comme valeur principale de ne jamais attendre l’approbation de quiconque pour se construire et s’exprimer. Le “do it yourself”, telle est sa devise, et il n’a pas attendu que ça revienne à la mode pour vivre de la sorte. Passionné par l’histoire, la religion et la culture de ce pays, Matti s’est rendu au Japon plus d’une dizaine de fois. Des voyages qui ont été pour lui comme une révélation : “C’est étrange ce sentiment, mais lorsque je suis allé au Japon, j’avais l’impression d’être sur ma terre natale, je me suis senti chez moi plus que nulle part ailleurs auparavant”, nous dit-il.
Tout commence en 1991, lorsque Matti s’initie au tatouage. En 2000, il décide de consacrer totalement sa pratique à l’irezumi, une forme de tatouage traditionnel japonais couvrant une large partie ou l’intégralité du corps. Matti nous confie cependant avoir éprouvé de la frustration au bout d’un certain temps, ayant du mal à réellement exprimer et partager ses émotions car le tatouage est un art restant finalement, selon lui, trop en surface. Il ajoute qu’il est difficile d’affirmer un art tel que le sien dans la société occidentale où, pour la plupart, les gens ont une connaissance limitée de la culture japonaise.
Une pornographie romantique et sensuelle
Selon Matti, notre société contemporaine “dévore l’âme humaine” en prônant des idées patriarcales et inculquant des valeurs régressives telles que l’agression et le mépris. C’est notamment le cas selon lui dans le domaine de la pornographie, un milieu dont il souligne le comportement “idiot” des hommes qui se comportent comme des “abrutis” envers les femmes qui, quant à elles, passent pour des potiches prétendant aimer être traitées de la sorte. C’est pourquoi, dans son art il a souhaité mêler sexualité, sensualité et pornographie. Il y a cinq ans, il a commencé à créer ses propres shunga. Sa vision de l’érotisme est en constante évolution, ce qui lui permet de réaliser des images à la fois pornographiques, romantiques et sensuelles :
“Je veux peindre des relations réelles, douces et passionnées, je veux que l’on ressente l’amour à travers mes œuvres. J’explore constamment ma vision de l’érotisme.”
Matti nous confie que selon lui notre société appose trop d’étiquettes à l’être humain. Aujourd’hui, tout doit être bien défini, et chaque personne doit entrer dans une case. Pourquoi déterminer autant les limites ? “Un homme qui aime romantiquement un homme, il est facile de comprendre que celui-ci est homosexuel, mais si un homme a une relation sexuelle avec un autre homme, est-il pour autant homosexuel ?” Selon lui, ces idées devraient être en constante évolution et sans cesse repensées. Matti se revendique fièrement féministe, un engagement qui se perçoit à travers ses œuvres. Si les hommes commençaient à bien vouloir écouter et comprendre ce que ressentent intrinsèquement les femmes, soit un sentiment d’insécurité constante et de faiblesse, le monde pourrait alors commencer à s’orienter vers la bonne direction, pense-t-il.
Un engagement, une vision de la vie, qu’il souhaite transmettre à travers son art. Ce qui le stimule, c’est d’affronter les idées reçues sur le sexe, flirter avec le politiquement correct, la provocation et la passion.“C’est de l’érotisme et de la pornographie à la fois, ce sont des images de relations sexuelles à travers lesquelles, je l’espère, un grand nombre de personnes peuvent se retrouver”, conclut-il.
Des œuvres numériques minutieuses
C’est avec beaucoup de surprise que nous apprenons que Senju élabore principalement des “peintures numériques”. En effet, la plupart de ses œuvres érotiques sont réalisées à l’ordinateur, car les nuances de couleurs ne le satisfaisaient pas lorsqu’il utilisait de la peinture à l’eau ou des marqueurs. Cependant, Matti précise que sa technique correspond étroitement à celle des gravures sur bois de l’époque d’Edo au Japon, emblématique des shunga. Il nous explique que la palette de couleurs occidentale ne lui fournissait pas les bonnes teintes et températures pour retranscrire l’ambiance “ukiyo-e”, indispensable à son art. Des couleurs s’inspirant de l’art japonais en général ou des travaux d’artistes tels que Van Gogh, Klimt ou encore Toulouse-Lautrec.
Les fleurs apportent beaucoup de poésie et sont minutieusement choisies car chacune d’entre elles possède une signification particulière au Japon. Par exemple, les chrysanthèmes symbolisent les rapports anaux, nous explique-t-il, ce qui est assez cocasse car il s’agit aussi de… la fleur impériale. Chacune de ses réalisations lui prend en moyenne 50 heures de travail, rien de très surprenant lorsqu’on découvre tous les détails et motifs qu’elles comportent. Il nous précise pouvoir parfois passer jusqu’à six mois sur un projet avant d’arriver à un résultat final qui le satisfasse.
Un amour inconditionnel pour les femmes
Si Matti peint principalement des femmes, c’est parce qu’il les trouve plus intéressantes que les hommes. Non seulement par leur caractère érotique, mais aussi par leur comportement, car il trouve généralement les hommes stupides. Et puis “les hommes c’est vraiment ennuyant à dessiner, rajoute-t-il. J’aime beaucoup dessiner des pénis, mais les courbes qu’il y a autour, rarement”.
De plus, pour lui, les femmes représentent l’essence même de l’univers, car elles sont celles qui donnent naissance. Matti n’utilise pas de modèles, il s’inspire d’images piochées dans la photographie artistique et érotique comme dans la pornographie “hard”. Il précise que c’est un choix personnel, car il préfère travailler dans la solitude et le silence absolu. D’autant que sa muse principale n’est autre que sa femme, mère de ses trois enfants. Et son public ? Ce sont surtout les femmes qui achètent ses œuvres, même s’il commence à avoir des retours positifs de la part de la gent masculine.
Si Matti n’a pas encore eu l’occasion de réaliser des illustrations pour des livres, il a pour projet de démarrer cet automne un projet éditorial avec sa femme. Dans un premier temps, leur maison d’édition se concentrera sur leurs travaux respectifs avant d’explorer l’aspect sensuel et érotique de l’art. En attendant, vous pouvez découvrir une majeure partie du travail de Matti sur son compte Instagram.