Mineo, le bout du monde
Carlos a passé quelque temps au centre de réfugiés de Mineo, en Sicile. Ce n’étaient que quelques heures, mais c’était assez pour se rendre compte de l’atmosphère de dévastation laissée comme conséquence de cette tragédie. Plus vaste camp de réfugiés en Europe, Mineo est la destination où atterrissent ceux qui ont été sauvés, parfois pour des mois, parfois pour des années :
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Je n’ai pas été autorisé à pénétrer la maison de qui que ce soit. En gros, j’ai vu des gens ne rien faire du tout. Ils attendaient, ils traînaient dans les rues et surtout ils s’ennuyaient beaucoup. Lorsqu’ils arrivent au centre, ils se sentent reconnaissants, parce que leur vie est à nouveau en sécurité. Ils ont un toit, de la nourriture et un lit… Ils se sentent bien accueillis, comparé à l’endroit d’où ils viennent. Mais au bout de quelques mois, ils sont toujours autant désœuvrés et n’ont aucune perspective.
Une fois que leurs besoins vitaux sont assurés, ils ont naturellement envie d’autre chose. Un travail, des plans d’avenir… Ils doivent penser au futur, ils ont forcément des projets. Je n’en ai pas été témoin, mais on m’a raconté que la prostitution, le deal de drogue et d’autres problèmes criminels avaient cours ici – des soucis normaux qu’on peut associer à l’inactivité et au manque d’horizon.
Je ne suis pas un analyste politique, mais il m’apparaît évident que nous ne ciblons pas ce qu’il faut. On ne résout pas les problèmes des réfugiés simplement en conduisant une opération d’envergure. Tant que les inégalités, la pauvreté, les guerres, la famine et la terreur existera dans leurs pays d’origine, des gens continueront de fuir leurs propres maisons afin de trouver une meilleure vie – même quelque part où on leur fait bien comprendre qu’ils ne sont pas les bienvenus.
Si je puis me permettre, l’UE et le reste du monde dit “développé” doit arrêter d’encourager les économies coloniales. Nous devons arrêter de vendre des armes aux dictateurs, arrêter de les soutenir, arrêter de leur offrir des abris et de la place dans des paradis fiscaux.
Nous devons arrêter de faire comme si nous ne savions pas que tous les groupes armés en Afrique bénéficient du soutien indéfectible des entreprises multinationales et des gouvernements occidentaux. Il me semble que les États-Unis ne peuvent plus envahir des pays, envoyer des drones militaires partout où ça leur chante et espérer que personne ne réagira.
À qui la faute ?
Pour Carlos, ce projet est le fruit d’années de travail et de dévouement. Le résultat est un livre de photos saisissant et un documentaire primé (à voir ci-dessous). Vous vous en doutez, c’est poignant, c’est bouleversant et c’est difficile à regarder. Quand on lui demande qui est à blâmer, la colère de Carlos est palpable :
Oui, c’est ça, continuons de rejeter la faute sur les individus et les militaires au lieu de demander aux politiciens d’utiliser les leviers des institutions ! Ces problèmes ne peuvent pas se résoudre à l’échelle de l’individu. Mais continuons d’être les témoins de ces gens qui périssent ou meurent de faim aux portes de l’Europe, en espérant que d’un coup de baguette magique, tout disparaisse et que les pauvres se rappellent de leur place dans ce bas monde…
Et il est injuste de blâmer la police des frontières qui reçoit des ordres contradictoires de la part de l’Union : d’un côté, on lui ordonne de fermer les portes au continent, d’un autre côté on leur demande de le faire “proprement” – ce qui n’est pas toujours possible. L’agent de police aux frontières locales n’est que le bouc émissaire de la politique d’immigration absurde de l’Union Européenne.
L’intégralité du travail photographique de Carlos Spottorno, ainsi qu’un autre montage de son film, est à voir sur son site Internet.
Article de Jordan Gold traduit de l’anglais par Théo Chapuis.