En 2013, le photographe Reza a organisé un atelier à destination des enfants d’un camp de réfugiés au Kurdistan. Leurs photos sont présentées sur les quais de Seine à travers l’exposition “Rêves d’humanité”. Nous avons posé quelques questions au photographe.
Sur les berges de la rive droite, en face du quai d’Orsay, une gigantesque fresque de portraits s’étale sur 370 mètres. La plupart de ces clichés ont été réalisés par le photographe mondialement connu Reza au cours des trente dernières années.
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J’ai voulu montrer la variété qui existe dans notre monde, dans notre famille humaine. J’ai été dans 115 pays du monde, j’ai pu photographier des centaines de milliers de gens, le choix était donc très difficile ! J’ai choisi les photos de gens qui regardent directement l’appareil, je trouve que ça permet au spectateur de se retrouver directement en face de ces personnes.
Les ateliers avec les enfants, une expérience riche pour le photographe
En 1983, Reza organise sa première formation avec de jeunes réfugiés afghans. Depuis, il a continué ce travail des banlieues françaises au Kurdistan en passant par la Sicile, car pour lui “la photographie permet de créer des liens avec le monde, de s’exprimer et d’expliquer sa vision du monde“.
Alors, à chaque fois, Reza constitue un groupe d’une vingtaine d’enfants et d’adolescents motivés, explique aux parents le but de cet atelier, leur apprend comment utiliser un appareil photo, leur donne des devoirs à faire et récupère ensuite les photos pour les analyser avec eux.
“En un an, les enfants du camp Kawergosk ont fait des photos que j’aimerais bien faire après 40 ans !“, avoue le photographe. Durant cette riche expérience de 18 mois, une photo l’a particulièrement marqué, celle de Maya, jeune fille de 13 ans qui voulait absolument rejoindre le groupe de photographes en herbe :
Elle était vraiment enthousiaste à l’idée de participer à l’atelier, alors je lui ai donné un appareil photo le soir pour qu’elle puisse s’entraîner. Le lendemain à 9h, elle n’est pas venue. À 9h30, toujours aucun signe, les autres enfants commençaient à s’énerver “on n’a perdu un appareil photo à cause d’elle“.
Elle est finalement arrivée à 10h et lorsque je lui ai demandé pourquoi elle était en retard, elle m’a répondu : “j’ai photographié la raison de mon retard“. Quand elle m’a montré la photo de ses baskets gelées et qu’elle m’a expliqué qu’elle avait dû attendre qu’elles dégèlent, j’ai été tellement ému que j’ai commencé à pleurer devant mes élèves !
“Les réfugiés sont des gens comme nous”
Si Reza continue de photographier les réfugiés et de former les jeunes c’est surtout pour sensibiliser le monde entier à leur quotidien. D’ailleurs, quand on lui demande de nous raconter comment vivent les réfugiés, Reza en profite pour nous mettre à leur place afin de rappeler qu’ils sont, avant tout, des êtres humains comme nous.
Imaginez qu’un jour normal dans votre vie, vous entendez des bruits, des chars et des avions qui viennent bombarder votre ville. Vous savez que si vous ne fuyez pas, vous allez être tué ou fait prisonnier. La première réaction que vous aurez c’est de fuir, vous ne saurez surement pas où sont tous les membres de votre famille.
Pour vous sauver, il faut courir jusqu’en Belgique. Il n’y a plus de voiture, plus de train. En chemin, vous croisez plein de malades, de vieux qui tombent et qui meurent devant vos yeux. Vous continuez avec des ampoules, vos pieds sont gelés. Une fois arrivée là-bas, vous n’avez pas mangé pendant des jours, vous avez faim, vous cherchez les membres de votre famille, vous êtes accueillis par des militaires qui vous amènent sur un grand terrain rempli de tentes.
Vous êtes le réfugié n° 252. Vous dites que vous êtes journaliste chez Konbini, on s’en fout de ce que vous dites ou de qui vous êtes. Le lendemain vous faites la queue comme tout le monde pour manger du pain. Vous errez, vous pensez à vos proches, vous vous inquiétez. Vous êtes dans une ville entassée et encerclée par les barbelés. Il peut faire jusqu’à 46 degrés sous les tentes en été et moins 10 en hiver.
Sachez que le Liban qui compte 4 millions et demi d’habitants ose accueillir un million et demi de réfugiés, ce qui fait presque 35% de la population. En France nous sommes plus de 65 millions, si on accueillait autant de réfugiés, ça ferait environ 23 millions, alors qu’il y en a actuellement 200 000.
J’utilise cette comparaison pour vous dire que, selon moi, la France, qui compte parmi les cinq premières nations au monde, ne peut pas se vanter de sa grandeur si elle ferme les yeux sur les problèmes du monde. On ne peut pas prétendre être grand quand on ignore les petits.