Dans les coulisses de la sthénolagnie, ou quand les muscles deviennent érotiques

Dans les coulisses de la sthénolagnie, ou quand les muscles deviennent érotiques

Image :

© MuscleMatt

À la rencontre de ces hommes au physique de dieu grec qui ont fait de leur corps un objet d’érotisme.

À voir aussi sur Konbini

Ils sont grands, débordent de testostérone et possèdent un ego aussi démesuré que leurs pectoraux turgescents. Non, on ne parle pas des acteurs du prochain volet de Fast and Furious (quoi que, ça aurait pu), mais des adeptes du muscle worship. Comprendre vénération des muscles. Entre deux séances de musculation intensives, ces fervents abonnés à la salle de sport contractent leurs biceps pour le plaisir de leurs adorateurs. Aussi bien devant la webcam qu’une caméra professionnelle, ils exhibent leurs corps d’esthètes sans aucun complexe, hormis peut-être un léger complexe de supériorité.

En plus d’être un mot-clé populaire de PornHub et autres sites réservés aux adultes, le muscle worship est une pratique érotique assez particulière. Sur le papier, l’idée est simple : des bodybuilders aux formes titanesques se donnent en spectacle devant d’autres hommes (rarement des femmes), généralement de gabarit moindre, et imposent leur virilité de diverses manières. Certains se contentent d’un massage détente à l’huile d’argan, d’autres préfèrent s’adonner à des mouvements de lutte, plaquant le dominé au sol en clé de bras. D’autres, encore, n’hésitent pas à transgresser et vont jusqu’à pratiquer le coït.

Entre fétichisme et business

Dans son sens clinique, le muscle worship est appelé sthénolagnie. D’après la sexologue Brenda Love à travers son ouvrage The Encyclopedia of Unusual Sex Practices, la sthénolagnie remplit tous les critères d’une paraphilie, autrement dit d’une pratique sexuelle qui détonne de l’acte considéré comme “normal”. On pourrait communément qualifier cela de fétichisme, bien qu’aucune étude poussée n’ait encore vu le jour. Cela n’a pas empêché Carlo d’en faire un business tout ce qu’il y a de plus légal.

Depuis 2002, Carlo et sa bande de culturistes libidineux sont présents sur la Toile, prêts à dégainer leurs quadriceps pour émoustiller leurs admirateurs. À fréquence relativement régulière, le site Musclematt.com, dont Carlo est le fondateur, poste des clips vidéo en tout genre. On peut y voir, entre autres, de jeunes athlètes en train de se faire lécher les tétons, ou encore un trentenaire colossal en train de contracter ses abdos tout en lâchant quelques jurons à l’attention de son soumis. En bref, de l’éclate entre adultes consentants !

“J’ai souvent dit que si moi et mes potes de sport pouvions chanter, on aurait formé un groupe ou une chorale. Si on savait dessiner ou peindre, on aurait pu devenir des artistes et exposer nos œuvres dans une galerie. Malheureusement, on ne sait pas chanter, ni dessiner, mais nos corps sont une forme d’art qui a de la valeur pour certains. C’est ça qui est devenu notre business.”

Entre deux tournages qu’on imagine muy caliente, le tout-puissant Carlo a bien voulu nous éclairer sur la réalité de la sthénolagnie :

“Le muscle worship, comme on le fait chez nous, commence avant tout dans l’ego. Le plaisir se déroule en deux temps. D’une part, cette pratique satisfait l’ego d’un vrai mâle alpha qui a conscience d’avoir quelque chose d’unique et d’exceptionnel à offrir. En même temps, cela comble ses pulsions sexuelles qui ne sont pas satisfaites par le sexe hétérosexuel basique. Pour moi, séduire une femme est un jeu d’enfant, mais pouvoir séduire un homme, même un qui se qualifie de mâle alpha, c’est le summum du pouvoir et de l’excitation sexuelle.”

Car oui, bien qu’il prenne son pied à pavaner ses pectoraux striés devant la gent masculine, Carlo aime aussi et surtout les femmes. “Je ne me préoccupe pas des étiquettes autres que celles qu’il y a sur mes vêtements et ma nourriture, nous confie-t-il. Je ne me limite pas à hétéro, bi ou gay. Je profite simplement de la chasse, de la conquête et du sexe… masculin comme féminin.” En revanche, bon nombre de ses collègues, les autres modèles de Musclematt.com, mènent des vies tout ce qu’il y a de plus hétérosexuelles derrière la caméra. Une chance, alors, que leur anonymat soit garanti. Dans la majorité des vidéos, ils masquent leur visage grâce à une cagoule, mettant plutôt en lumière leur physique musculeux.

Bodybuilders incognito

Ils s’appellent Mark, Joey, Antonio, Derek… Tous collaborent, ponctuellement ou régulièrement, avec Carlo pour faire vivre ce business testostéroné. Il est possible de les croiser en train de soulever de la fonte dans une salle de sport. C’est d’ailleurs là que le fondateur de la Muscle Mafia (c’est comme ça qu’ils aiment être reconnus) en a déniché certains. Mais attention, il ne suffit pas d’avoir des abdos apparents et des trapèzes longs comme une autoroute pour rejoindre l’équipe, comme nous l’atteste Carlo :

“La majorité me contacte, cela dit, je reconnais avoir approché certains gars aussi. Pour la plupart, ce sont des mecs que je rencontre à la salle de sport. J’ai une sorte de sixième sens aiguisé : à travers une certaine attitude, je peux sentir si un mec hétéro veut essayer le muscle worship. Beaucoup ne savent même pas que ça existe. […]

Ils ne veulent pas que leur identité soit dévoilée. Mais la façon dont est conçue mon organisation, ces types peuvent se faire un maximum d’argent et avoir l’esprit tranquille. Par contre, ce n’est pas juste à propos du corps ici. Je préfère des gars qui font preuve d’intelligence, en qui je peux avoir confiance et qui ont quelque chose au-delà de leur corps. Tu dois être capable d’offrir quelque chose de différent.”

Le muscle worship, obligé d’inclure un acte de pénétration ? Pas forcément. “Concernant le rapport anal, ce n’est plus vraiment de la vénération mais plutôt de la domination, précise Carlo. Parfois, les deux partis sont à l’aise et passent à ce niveau supérieur mais ça reste quelque chose de personnel. Je n’exige jamais ça ici. Si ça arrive, c’est naturellement.”

Un point sur lequel Gabriel, 30 ans, est d’accord. Adepte ponctuel de sthénolagnie, il admet faire la distinction entre cette pratique et un simple rapport dominant/dominé. “Je trouve qu’il y a quelque chose de noble, non pas à jouer l’esclave face à un maître […] mais de célébrer le corps de l’autre par des massages, des caresses, des compliments…”, reconnaît-il.

Vénération vs domination

A priori, on pourrait croire que seule la bête de muscles est gagnante dans l’affaire. Pourtant, comme nous l’affirme Gabriel, le “vénérateur” profite presque autant du muscle worship :

“C’est parfois presque intellectuel. En discutant avec le mec, j’essaie de comprendre son objectif, qui est généralement de devenir un monstre de muscles. Le pouvoir de l’imagination joue donc un rôle crucial dans le plaisir du muscle worship. Je suis tellement passionné par les muscles des autres que je suis capable de masser pendant des heures. Il n’y a pas de plan type, chaque plan est unique. On va dire que le point commun à chaque rencontre, c’est le massage et l’huile. Ensuite, le mec demande parfois une fellation, parfois une pénétration, parfois un corps-à-corps… Il n’y a rien de systématique, et c’est ça, la beauté du muscle worship.”

Quant aux origines de cette fascination pour les physiques de culturiste, Gabriel ne saurait donner une réponse exacte mais y va de sa propre hypothèse :

“Je dirais que j’ai été marqué par la culture du muscle qu’on retrouve dans bon nombre de références de la pop culture : Dragon Ball Z, Arnold Schwarzenegger… Très tôt donc, j’ai senti que ce goût pour le muscle, je l’avais en moi. J’ai passé la majeure partie de mon enfance dans les livres, avec assez peu de contact avec des jeunes de mon âge, et assez peu d’activité physique. Tout cela explique sans doute le besoin que j’ai de pallier une frustration en établissant des contacts avec des mecs musclés.”

Outre-Atlantique, la pratique de la sthénolagnie semble se démocratiser depuis plusieurs années. Si Carlo et sa clique aux biceps veinés ont a priori le monopole du business, nombreux sont les mecs baraqués à s’être lancés en autodidacte. Sur le site de ces hommes-là, généralement dans la vingtaine, on retrouve le même schéma : des photos d’eux adoptant des poses à la Schwarzy, des mensurations (impressionnantes, on s’en doute), mais également un texte de présentation détaillé.

On l’aura compris, le muscle worship repose avant tout sur le mental, sur la personnalité. Il ne suffit pas d’un torse bombé et dur comme la roche. Le point commun de ces autoentrepreneurs atypiques ? Tous semblent avoir participé, ou participent encore, à des compétitions de bodybuilding. Pour certains, le muscle worship apparaît alors comme un moyen d’arrondir ses fins de mois et, qui sait, investir dans des offres promotionnelles de pots de whey. Ou comment allier l’utile à l’agréable.