Jonas, Yûnus, “colombe”
Ainsi cette mosquée abritant une tombe ancestrale qu’on attribue à Jonas, un prophète de la Bible. La construction de cet édifice plus-que-millénaire remonte au IVè siècle. Jonas est également un personnage important du Coran, connu comme Yûnus (arabe : يونس), ainsi, en plus d’être un haut-lieu d’archéologie, cette mosquée était un site de pèlerinage. Selon le Guardian, Daech aurait justifié cette destruction car elle était devenue un lieu d’apostasie (renoncement à la foi) et non de prière. Le plus ironique reste sans doute qu’en arabe, “Yûnus” signifie “colombe”.
Ci-dessous, la destruction de ce monument historique en vidéo :
Quelques jours plus tôt, selon un rapport de Human Rights Watch, le groupe qu’on appelait alors EIIL détruisait sept lieux de culte chiites à Tal Afar, à 50 kilomètres de Mossoul.
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Plastiquer des bâtiments, ce n’est pas la seule spécialité de l’organisation. Elle pratique la purification par les flammes. Mossoul, cité maudite depuis l’invasion américaine de 2003, c’est la même ville à laquelle on attribue au moins deux autodafés d’envergure. L’un rapporté par Associated Press (AP) et datant de fin janvier, l’autre par le Fiscal Times (qui relaye une source en arabe). Personne ne veut y croire : en moins d’un mois, 10 000 ouvrages seraient partis en cendres. Et c’est sans compter d’autres incendies de livres plus récents rapportés depuis juillet 2014 par des médias irakiens.
Les djihadistes auraient examiné le fonds de la bibliothèque centrale et de la bibliothèque de l’université et jeté au feu les pièces qu’ils jugeaient non conformes à leur vision de l’islam. Toujours selon des témoignages anonymes recueillis par AP, leurs cibles privilégiées étaient les ouvrages de philosophie, de sciences, de poésie, mais aussi les albums jeunesse. Tous ces incendies auraient été publics, or il semble ne pas exister d’image le témoignant.
Apparemment, contrairement à ce qu’annonçait AP, Daech n’aurait pas détruit d’exemplaires aussi irremplaçables que cela. Archéologue affiliée à l’École des études orientales et africaines de Londres, Lamia Al-Gailani rassure : le Musée de Mossoul, transformé en bureau de collecte de taxes, ne contiendrait plus de pièces d’importance depuis 1991.
Un témoignage corroboré par le Père Najeeb, dominicain, chassé de la ville au printemps 2014 et qui travaillait à la préservation des manuscrits ancien : “Les manuscrits syriaques sont en sécurité à Erbil et ne sont plus à Mossoul depuis des années”. Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan, n’a toujours pas été touchée par la guerre. Mais la ville accueille de nombreux réfugiés, notamment chrétiens ou yazidis.
Cela ne minimise pas l’inquiétante négation culturelle menée avec brutalité par l’organisation. Un reporter du Monde a recueilli le témoignage de Dara Sinjari, professeur de l’université de Mossoul, aujourd’hui réfugié au Kurdistan irakien. Selon lui, des saisies de livres ont bel et bien eu lieu le 30 janvier auprès “des librairies et des bouquinistes de la ville”. Aujourd’hui lui aussi réfugié au Kurdistan irakien, il assure à nos confrères : “Il n’est plus autorisé de vendre autre chose que des ouvrages islamiques, et encore, uniquement ceux qui correspondent à leur vision de l’islam”.
Les punks criaient “no future”, Daech hurle “no passé”
Voilà une semaine, un peu plus loin qu’à Mossoul, Daech en Libye postait les images d’un autre autodafé : celui d’un tas d’instruments de musique. Comme la cerise sur le gâteau après la mise à mort arbitraire de 21 citoyens égyptiens de confession copte à la mi-février. Parmi les images postées par le groupe sur Twitter, on reconnaissait des grosses caisses et des toms de batterie, des tambours, des saxophones et… des darboukas.
Selon l’Encyclopedia Universalis, le mot “darbouka” vient sans doute de daraba, qui signifie “frapper” en arabe. Les ancêtres de cet instrument proviendraient de l’Égypte antique, dès le Moyen Empire (IIe millénaire), de Babylone, aux alentours de 1100 avant J.-C. et même des cultures sumériennes. Pas un instrument de musique très catholique, donc.
Plus que les livres, plus que les lieux de culte, moins insolite que les instruments de musique, Daech s’est illustré le 26 février avec le saccage d’anciennes statues assyriennes du musée de Ninive à Mossoul. À coups de masse et de marteau-piqueur, une vidéo émanant de l’organisation prouve la dévastation de plusieurs œuvres sculptées par cette antique communauté chrétienne au Moyen-Orient.
La propagande du califat de la terreur ne laisse planer aucun doute : tout ce qui n’est pas sunnite, tout ce qui appartient aux cultures juive, chrétienne, chiite ou qui atteste d’une ère de l’humanité antérieure mérite de disparaître. Devant les ruines de ces icônes de l’ère pré-islamique, face caméra, un porte-parole du soi-disant État islamique déclare :
Ces statues derrière moi sont des idoles pour les peuples d’autrefois qui les vénéraient au lieu d’adorer Dieu.
14 ans plus tôt, les talibans
En mars 2001, le choc s’emparait du monde entier lors de la pulvérisation des Bouddhas de Bâmiyân par les talibans d’Afghanistan. Ces trois hauts-reliefs monumentaux de bouddhas debout, à 230 kilomètres au nord-ouest de Kaboul, auraient complètement cédé après un mois de tirs d’artillerie et d’explosifs. Ils auraient été construits entre 300 et 700 après J.C.
En janvier 2015, un choc plus grand encore s’emparait de la communauté internationale lorsqu’un commando décimait le journal satirique français Charlie Hebdo, faisant 11 morts, dont huit de la rédaction. Leur crime : avoir dessiné le prophète Mahomet. Les auteurs de la tuerie, Chérif et Saïd Kouachi, se sont réclamés d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), organisation islamique qui revendique ensuite officiellement l’attentat.
La tolérance, le vivre-ensemble, la culture sont des concepts qui échappent aux extrémistes musulmans. Face à ce qui leur est étranger, il n’existe que le déni, la destruction, la disparition. Dernier né de ces courants et plus inquiétant pour le moment, Daech asseoit petit à petit sa dictature sur une base qui a fait ses preuves comme clé du succès des régimes totalitaires dans notre Histoire : l’ignorance.