En invitant Bigflo et Oli, Jul a changé l’image des deux frères de Toulouse. Ou bien est-ce l’inverse ? La collaboration la plus surprenante de l’année est sortie vendredi 19 juin sur La Machine, le treizième album de l’artiste marseillais au succès inégalé. Et les réseaux sociaux ont pris feu, surpris d’aimer ce titre que tout le monde voulait répudier.
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“Que ça dure” est un titre à mi-chemin entre les univers de Jul et Bigflo et Oli. Plutôt boom bap, ce morceau permet à Jul de proposer ses rimes efficaces et introspectives comme ses meilleurs freestyles. Mais ce titre emporte aussi Bigflo et Oli sur le terrain plus rugueux et mélancolique de leur hôte.
“T’es dégoûté de dire que ça tue”
Tout dans cette formule oriente vers la catastrophe. Et pourtant, ce featuring fonctionne parfaitement, notamment parce qu’il est un hommage réussi au rap du sud de la France. Oli les cite dans son couplet : “Que ça dure” évoque les meilleures heures de KDD et la Fonky Family, deux groupes entre Marseille et Toulouse qui ont marqué la fin des années 1990.
Le refrain semble être amené par Dadoo et Don Choa tellement il est rythmique et chanté en chœur. Au bout de quelques secondes, on a oublié que ce featuring est censé être improbable.
Le premier couplet signé Oli est à la fois technique et piquant reprenant le gimmick de “Art de rue” de la FF. Ensuite, Jul se livre à l’introspection très rapidement sur sa partie dans un style proche du Rat Luciano, pendant que Bigflo termine avec un texte fédérateur sur le rap du sud de la France, ses différentes origines et l’évolution de son rap.
“C’est la vengeance des provinciaux”
Car si la collaboration fonctionne, c’est que les artistes ont finalement beaucoup de similitudes, notamment venant du sud et de la province. Comme Bigflo l’assène à la fin de son couplet : “C’est la vengeance des provinciaux.” Marseille et Toulouse sont des villes de rap et ce morceau fait honneur à leur histoire.
Au final, “Que ça dure” est un morceau produit et réalisé par Bigflo et Oli et leur collaborateur habituel Clément Libes. Jul y semble totalement à son aise et, quand on y pense vraiment, cela n’a rien d’étonnant : ils viennent du même monde artistique. Jul comme Bigflo et Oli se sont construits sur un modèle de fan bases souvent décriées par la critique ou le public rap.
En effet, bien avant les éloges critiques tardifs, Jul était extrêmement mal jugé par la scène rap au début de sa carrière, ses détracteurs trouvant sa musique trop synthétique ou commerciale. Comme souvent, Oli revient aussi sur ce point dans ce morceau, car son frère et lui ont régulièrement reçu la même attaque.
Les critiques fusaient à propos d’un rap orienté “pour les enfants”. Au final, presque une décennie plus tard, les trois artistes se sont construits sur ces quolibets pour atteindre une sincérité devenue rare dans le rap en France.
“Les journalistes rap vont faire une crise cardiaque”
C’est intéressant d’ailleurs de noter que chacun des artistes sur ce morceau parle de sincérité sur une ou plusieurs rimes, comme si leur accord tacite venait de là. Être totalement sincère face à son public, la clé de cette longévité est sûrement logée dans cette ligne de conduite pour Jul et Bigflo et Oli. Avec aussi une pointe de dérision et d’humour pour la franchir.
Jul comme le duo parlent souvent dans leurs textes de leur rapport très dur à la critique, mais aussi à l’intérêt de leur entourage face à leur succès. Tous les trois vivent les mêmes tensions, les mêmes épreuves face à la célébrité et la vie d’artiste.
Alors qu’ils ont toujours été classés dans un rap à étiquette commerciale, les trois rappeurs détournent cette image avec leur passion pour le rap, le hip-hop dirait-on même, ce mot devenu insulte au fur et à mesure des années. Bigflo et Oli ont déjà démontré cette explosion des étiquettes en travaillant avec Guizmo ou Kalash Criminel. Jul, de son côté, a toujours été multi-styles, s’offrant même sur La Machine le retour de Nessbeal, rappeur mythique aux textes d’orfèvre.
Le grand public est volatil, les modes passent et les rappeurs ne tiennent pas toujours la rampe. Le fait que Jul et Bigflo et Oli restent dans les meilleurs artistes dix ans après leurs débuts de carrière signifie beaucoup sur leur personnalité et leur talent malgré les relations ambiguës avec la profession.
Jul n’a pas rendu cool Bigflo et Oli. Bigflo et Oli n’ont pas rendu cool Jul. Ils sont juste restés honnêtes avec leur musique et leur personnalité, droits dans leurs baskets, évoluant avec leurs publics. Au fil des années, ils ont fait changer d’avis nombreux de leurs détracteurs. Et encore un peu plus ce 19 juin 2020 avec “Que ça dure”. Donc oui, “ça va tourner dans les voitures”.