Sous l’égide du rappeur Killer Mike, moitié de Run the Jewels, de nombreux rappeurs comme Chance The Rapper, 21 Savage ou Meek Mill ont monté un dossier auprès de la Cour Suprême des États-Unis pour défendre le cas de Jamal Knox, condamné à six ans de prison. En 2014, ce jeune artiste de Pittsburgh, alors âgé de 19 ans seulement, avait été accusé de menaces terroristes et intimidations de témoin, uniquement sur la base des paroles de son morceau “Fuck The Police” sous l’alias Mayhem Mal.
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À l’époque, Jamal Knox s’en prenait à des agents spécifiques de la police et des fédéraux qui l’avaient arrêté dans le passé pour possession d’arme illégale et trafic de drogue. Dans ce morceau, Knox était aussi très explicite dans les descriptions de meurtres violents et autres exactions. Ce n’est pourtant pas le premier morceau à taper ouvertement sur les forces de l’ordre, mais en étant très détaillé et nominatif, il pose beaucoup plus problème en termes de droit.
Après plusieurs appels, le cas se retrouve devant la Cour Suprême. Killer Mike, rappeur très engagé, est un habitué des causes qui font débat, voire polémique, comme dans sa très bonne série Trigger Warning sur Netflix. Son but, faire réfléchir le public par lui-même avec des questions bien agencées, entre discours politique et divertissement.
Avec l’appui de Chance The Rapper, Meek Mill, Styles P., Fat Joe ou 21 Savage, Killer Mike a monté un dossier d’experts du rap, en collaboration avec le professeur universitaire Erik Nielson. L’objectif, prouver que les paroles d’une chanson ne peuvent être retenues de manière pénale contre un rappeur. Le tout est étayé par des témoignages d’universitaires, de sociologues et d’acteurs de l’industrie.
La défense prend comme argument principal la liberté d’expression et le premier amendement, et stipule que si toutes les personnes citées dans des morceaux de rap étaient réellement mortes, il n’y aurait plus personne dans le pays. En même temps, le dossier met en avant la frustration et la colère des minorités vis-à-vis de la police, exprimée en grande partie dans la musique rap.
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Ce débat est plus que jamais d’actualité, à une époque où des rappeurs comme Boosie Badazz, Drakeo The Ruler ou Bobby Shmurda ont été inculpés sur la base de leurs paroles. Comme pour stigmatiser le rap, chaque parole est prise comme un témoignage, un aveu de crime ou d’association de malfaiteurs.
Pourtant, ces mêmes paroles ont rarement été à charge pour des artistes country, rock ou metal, utilisant parfois les mêmes images violentes. Killer Mike prend l’exemple de Johnny Cash et Ice Cube qui parle tous deux de meurtres dans leur musique et la différence de vision qu’en ont les gens. Cette réflexion à deux vitesses fait écho au traitement des afro-américains par la justice, ainsi qu’à tous les préjugés qui stigmatisent les Noirs, repris récemment dans la campagne 56 Black Men.
Une vision archaïque du rap qui perdure
Cela témoigne aussi du manque de connaissance du rap dans son ensemble et les écarts de génération, voire les divergences au sein de la société, entre les rappeurs, ceux qui les écoutent et le reste de la population. Dans l’inconscient collectif, le rappeur-type reste un modèle violent, hors la loi, misogyne et matérialiste.
Il manque souvent beaucoup de clefs aux observateurs extérieurs pour décrypter une autre façon de voir la vie, une lutte pour survivre quotidiennement, des altercations régulières avec la police et des rêves, des visions forcément différentes. Ce décalage social se transforme souvent en lutte des classes qui mène finalement à des différences de traitement entre les styles musicaux et les communautés.
Avec ce dossier, Killer Mike et ses pairs se placent politiquement dans le débat. Après les incarcérations de 21 Savage et Meek Mill, de nombreuses voix s’unissent pour rendre ce discours plus solide et cohérent. Jusqu’à sortir peut-être Jamal Know du piège dans lequel il est tombé.