Coke, teuf et touristes : le récit surréaliste d’un ex-taulard en Bolivie

Coke, teuf et touristes : le récit surréaliste d’un ex-taulard en Bolivie

Il s’appelle Dave, mais appelez-le “Crazy Dave”, il insiste. Cet Américain a passé quatorze ans pour trafic de stupéfiants dans une prison bolivienne vraiment particulière. À quelques mois de son retour chez l’Oncle Sam, il raconte.

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Du haut de ses 52 ans, nu-pieds, la peau cramée par le soleil, il débite ses phrases à toute vitesse avec un accent new-yorkais impossible à camoufler et parfois difficile à déchiffrer. Après seize ans ans de taule, voilà un an qu’il est dehors. Forcément, il en a des choses à dire. Il a passé quatorze ans dans la très particulière prison de San Pedro à La Paz, dans cette grande hacienda blanche qui se trouve derrière lui. Alors, tous les jours, à 13 heures pétantes, il est sur la place du même nom à raconter son histoire à qui veut bien l’entendre. Tendre l’oreille pour écouter ce qu’il baragouine vaut le coup. Dave a des vrais talents de conteur et son histoire se suffit à elle-même.

De Central Park à la prison-bordel de La Paz

Des dealers colombiens qu’il connaît lui proposent un plan bien rôdé : des allers-retours avec la Bolivie pour importer de la poudre. C’est tentant. Tu parles, ça résout tous les problèmes, la blanche est tellement peu chère là-bas. Il y a de quoi se faire des billets et s’amuser bien comme il faut avec ça. Il se rappelle :

Je me tapais 7 à 9 grammes de poudre par jour, c’était insensé. Au niveau psychologique, je vrillais totalement !”

La combine fonctionne pendant un temps mais en 1998, il se fait arrêter à l’aéroport de La Paz avec une belle quantité de coke dans ses bagages. Il prend 16 ans de prison. Façon Midnight Express. Il pense finir dans un trou de type Alcatraz (San Francisco) ou Rikers Island (New York) comme à la maison – avec combinaison orange et menottes aux pieds. C’est mal connaître la Bolivie. Direction San Pedro, au cœur de La Paz.

La première prison où l’on fabrique et l’on vend de la coke

À l’intérieur, le lieu se révèle bien moins effrayant qu’il n’y paraît. Pas de caméra, pas de cellules – mais des chambres –, les détenus circulent librement, gèrent leur propres restaurants et magasins et vivent même avec leur famille à l’intérieur de la prison. Tu parles d’Alcatraz !

Le seul truc, c’est qu’il te faut c’est du fric, beaucoup de fric. Tout se paye là-dedans : ta chambre, ton lit, ta bouffe et ton droit d’entrée dans la prison !, se marre-t-il. Tu peux même te taper des putes, 10 dollars pour les plus laides et 100 dollars pour des Brésiliennes aux culs énormes”.

La corruption est généralisée, institutionnalisée. Les gardiens ne sont pas enquiquinants si l’on a un bon billet à leur glisser. Pendant notre entretien, Dave s’absentera pour aller filer son petit billet quotidien aux flics, qui le laissent ainsi raconter son histoire chaque jour sur la place. “Bon, les droits de l’homme, tu les oublies aussi”, ajoute-t-il en me montrant son coude de la taille d’une boule de billard.

Mais le principal attrait de la prison est ailleurs : on y fabrique la meilleure cocaïne du continent ! Touristes, locaux ou malfrats, tout le monde s’y approvisionne. La méthode est connue : le client passe commande et paye à l’accueil de la prison. Il viendra ensuite chercher son paquet miraculeusement lancé par-dessus les murs de la prison au beau milieu de la nuit.
Pendant trois ans, Dave a lui même cuisiné de la coke dans un labo spécialement aménagé dans la prison.

“Huit heures par jour, je piétinais des kilos de feuilles de coke arrosées de toutes sortes de produits chimiques, mime t-il en sautillant sur place aujourd’hui. J’ai commencé à muter mec, comme un putain de Toxic Avenger !”, crie t-il.

Comme le technicien de surface aspergé de déchets toxiques dans le film, sa peau change d’aspect, de couleur, il décide d’arrêter et de retourner faire le ménage des chambres. Un taff moins bien payé mais moins risqué. Ça ne durera qu’un temps. Très vite, on lui propose de devenir guide de la prison pour les touristes !

Les touristes payent une quarantaine de dollars pour s’offrir le frisson de vivre avec les prisonniers le temps d’une journée ou d’une soirée (voilà par exemple le récit de l’un d’eux sur son blog, en anglais). Pendant un temps, même le Lonely Planet recommandait la visite du site ! L’histoire de Thomas McFadden, un ex-taulard anglais, a été racontée dans Marching Powder, un bouquin de l’écrivain australien Rusty Young dont Brad Pitt avait acquis les droits. Après la publication du livre, le gouvernement a réagi et fait interdire les visites.

“Back to the future now”

Et maintenant ? Dave se refait, petit à petit. Il va chaque jour aux “addicts anonymes”. Pas de chance, il a rechuté la veille, me dit-il. Il ne faut pas qu’il déconne trop, il est en période de probation pour deux ans depuis sa sortie. “Mais dans 10 mois, je rentre à la maison, back to the future !”, se réjouit-il. En homme libre ? Pas vraiment. Il va se faire rapatrier menotté, encadré par deux militaires. “Oncle Sam est énervé, tu sais”, sourit-il. L’ancien junkie est persuadé qu’il sera libéré très vite, après quelques mois de prison. Et ensuite ? Le néant. En seize ans, son pays, ses gosses, ses potes ont dû bien changer. Le 11 Septembre, il l’a vu à la télé, de sa chambre-cellule. C’est un autre monde qui l’attend. Il le sait. Il verra. L’essentiel, c’est d’abord de rentrer.

Après un tel récit, une question me brûle les lèvres : “Dave, tu ne regrettes rien ?”  “Tu sais quoi ? Si je devais refaire ma vie, je changerais pas un truc”, me lâche-t-il en me quittant, un sourire éclatant sur le visage.