“Dès que je peux, j’y retourne”
“Si tout le monde était comme ça, y’aurait jamais de guerre !”
Je quitte la petite famille et poursuis mon bonhomme de chemin avant de rencontrer Patrice, route de la Dourie, parmi les pavillons de plain-pied de la banlieue résidentielle qui mène vers le centre-ville. Garé sur le terrain de son beau-frère, son bus de ville reconverti en cuisine ambulante fait de l’effet à tous les passants. “Tu peux prendre des photos si tu veux”, m’encourage-t-il.
Paisiblement attablés, quelques metalheads se délectent des produits frais “traités directement devant le client” que Patrice, gaillard du haut de ses “59 printemps”, prépare dans le bus. D’ailleurs, à son propos, il est intarissable : “Thermo-soudé jusqu’aux fenêtres”, “équipé en restauration complète”, “tu rentres là-d’dans c’est nickel”… Cet homme aime son bolide.
Mais que pense-t-il de ses client metalheads ?
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C’est un truc de fou ! Je suis étonné de cette convivialité, cette gentillesse… Si tout le monde était comme ça, y’aurait jamais de guerre ! C’est la première fois qu’on voit ça. Ils sont cool, les metalleux ! À refaire !
J’avais quand même une certaine image des metalleux… Je m’attendais à des gens un peu plus… sauvages. Plus bruts ! Et en fait on a découvert des gens super, on est très surpris ! Tout le monde devrait être comme eux. Ce sont les seuls qui se lèvent et débarrassent leur table. Ils sont courtois, polis, c’est vraiment des gens à découvrir… C’est très paradoxal, mais ce sont des anges !
Je laisse alors Patrice et Fabienne à leur “kebabs cuisinés au confit de poivrons, paëlla, omelettes aux épices et au fromage, pilons de poulet aux épices, écrasé de pommes de terre…”, avant d’entendre des metalleux de passage pointer le doigt et s’exclamer “Excellent le bus !”, au plus grand plaisir de Patrice, évidemment ravi.
“Ils mangent végétarien et boivent du Perrier”
Les villas derrière moi, j’arpente désormais la Grande rue de la Trinité, ruelle piétonne bordée de galeries d’art, d’agences immobilières et de petits cafés qui me rappellent l’existence du qualificatif “pittoresque”. Parmi les passants, on croise autant de “preneurs de glaces”, comme les appelle un commerçant, que de locaux.
Au snack “L’atelier de Laurence”, sis à un coin de rue, je rencontre la petite famille qui gère la boutique. Pascal, Laurence et Thomas, leur fils de 15 ans, me parlent de Benjamin Barbaud, co-fondateur et figure médiatique de la manifestation, comme d’un “gamin du quartier” – qu’ils appellent tout simplement “Benjamin”.
Si Pascal ne tourne pas longtemps en rond et admet rapidement que “en tant que commerçant, c’est évidemment positif…”, sa femme Laurence, derrière son comptoir, se montre plus enthousiaste quant au festival lui-même :
J’ai toujours trouvé ça génial d’avoir Clisson qui se transforme pour trois jours. Peu de villes en France ont la chance d’avoir ça, je suis super favorable et super fan !
D’ailleurs, la peur du metalleux, ils ne connaissent pas : t-shirt Hellfest sur la poitrine, leur fils Thomas faisait du headbanging la veille parmi les autres festivaliers et me parle d’un “rêve qui s’est réalisé” : il a vu ses idoles Slash, Airbourne et ZZ Top. Reste à savoir ce que mangent les metalleux du Hellfest ? “Végétarien. Et ils boivent du Perrier. Ils ne prennent pas tellement de bières ici…”.
“J’héberge 41 metalleux chez moi”
C’est dans cette boutique que je fais la connaissance de Violaine, qui habite “à 10 minutes à pied du site” depuis trois ans maintenant, mais est déjà bien intégrée à Clisson Rock City :
J’héberge 41 metalleux chez moi. J’en ai 17 dans la maison et 24 dans le jardin. Quand je suis arrivée, tous les Clissonnais m’ont parlé en bien du festival, m’ont encouragé à participer, à être bénévole…
Des tas d’hommes viennent ici sans leur femme leur acheter des petits cadeaux pour quand ils seront de retour du festival. Leurs épouses ne sont pas forcément metalleuses alors ils prennent des choses qui n’ont rien à voir : des bandeaux, des bijoux en argent, des bavoirs à tête de mort pour les enfants…
Hélène n’avait aucun a priori sur les metalheads avant de les connaître, et maintenant que c’est chose faite les trouve “tous adorables”. L’an passé, un client est venu acheter un cadeau à sa fiancée, il est revenu faire ses amitiés à Hélène avec sa femme cette année : ils se sont mariés la semaine précédente. Pas très metal, mais tellement romantique qu’elle a posté une photo sur le Facebook de sa boutique :
Ils étaient la l année dernièreSont revenus cette année nous faire un Coucou.Merci les jeunes mariés !
Posted by L'atelier d'hélène Vertou on samedi 20 juin 2015
“Ils sont venus pour le Hellfest et reviennent pour Clisson”
Je reprends ma route, traverse le Pont de la Ville et monte une sacrée volée de marche qui me conduit sous les remparts du vénérable château de Clisson. À l’entrée, quelques médiateurs culturels qui cuisent sous le soleil sont formels : les vieilles pierres, ça intéresse les metalleux, quand bien même c’est parfois un peu la Tour de Babel : “Ils adorent le château ! Il y a beaucoup d’étrangers comme des Américains, des Australiens, des Allemands, beaucoup de Russes… Ils nous disent qu’ils sont venus pour le Hellfest et qu’ils reviennent pour Clisson”, m’explique Amandine, 28 ans, qui pense sincèrement qu’il y a un lien entre passion du metal et intérêt pour le patrimoine. Ce n’est pas Lemmy qui lui donnerait tort.
Médiatrice également, Kim habite Clisson depuis 30 ans. Elle a 59 ans, et ce qu’elle aime dans le Hellfest, c’est “le côté spectacle” : “ça fait un bien fou, ça donne un peu de vie à la ville. Au début, des Clissonnais étaient contre mais en général, maintenant, les Clissonnais adorent ça”. D’ailleurs, elle trouve les festivaliers encore plus sympathiques que les touristes habituels. Mais que leur reprochent les anti-Hellfest alors ? Selon elle, aujourd’hui, ils sont très largement minoritaires et leur unique argument “c’est la religion”.
Kim regrette que ces opposants ne se penchent pas plus précisément sur les paroles des chansons de metal, elle qui ne les juge pas si “sataniques” que cela. Mais elle reste philosophe :
Ça a toujours été pareil : quand j’étais ado, les morceaux des Rolling Stones, c’était un appel à prendre du LSD, etc. Ça choquait déjà. Alors dans 50 ans, ce sera la même chose.
Je me pose à la terrasse du bar tabac des Halles pour un Picon bière bien mérité. Les Halles, c’est le cœur de la vie du village, là où habitants, touristes et festivaliers se croisent. Jean-Loup, le compagnon de la gérante de l’établissement, admet qu’au début, l’invasion de metalheads de la troisième semaine de juin l’impressionnait un peu…
Mais cette période est révolue :
En fait ils agissent très bien, ils ont un comportement exemplaire, on n’a jamais eu de problèmes ! Même si y’a un peu de boisson, aucun souci.
“Une très belle preuve de vivre-ensemble”
Il fallait en avoir le cœur net. Je descends la rue Bertou, puis la rue du Minage avant d’arriver sur la place de l’Eglise Notre-Dame, auguste clocher qui domine Clisson et monument historique classé depuis 2006. À l’intérieur, pas de croisés sur le pied de guerre, pas de croyants en prière pour purger l’âme hérétique des festivaliers… je découvre un lieu de culte au dépouillement apaisant.
Alors que trois femmes d’âge mur en sortent discrètement, je les interpelle pour aborder le sujet du festival. Marie-Françoise, 53 ans, mère de quatre enfants et dirigeante d’entreprise, se fait un plaisir de me répondre… et ce n’est pas ce à quoi je m’attendais :
Je suis ravie de l’existence du festival : je ne pense pas qu’il entre en opposition avec la foi. Les chrétiens qui voient dans le Hellfest un côté “opposition satanique” se trompent, ce n’est pas l’âme du festival. Il est important pour chacun d’accueillir la culture de l’autre.
Elle qui se déclare ouvertement “chrétienne”, Marie-Françoise a participé au festival de l’Enfer l’édition précédente, “pour comprendre”. Et ce qu’elle y a trouvé a dépassé ses espérances :
J’ai trouvé qu’il y avait énormément de respect et d’ouverture d’esprit parmi les festivaliers. La communauté que rassemble le Hellfest est une très belle preuve de vivre-ensemble, comme doivent l’être nos communautés religieuses : je n’ai pas du tout le look d’une festivalière et je m’y suis trouvée tout à fait à ma place.
A la fin de son témoignage, les deux amies avec qui elle était venue se recueillir à Notre-Dame de Clisson l’ont applaudie. Moi j’ai repris ma route vers le Hellfest sous le soleil radieux du solstice d’été, parmi les petits vieux qui se promènent et les metalleux en goguette. Aujourd’hui j’en suis plus que jamais convaincu : Clisson aime son Hellfest.