La rédaction revient sur l’année 2018 au cinéma. Après nos déceptions et avant nos coups de cœur, place aux surprises.
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Le Grand Bain © Studiocanal
La surprise devrait être l’antithèse de la déception. Des sentiments que nous ont inspirés les dizaines de productions cinématographiques sorties au cours de l’année, celui de “surprise” est l’un des plus agréables. Il vient contredire un préjugé, pas forcément négatif, mais souvent mou du genou, propre à nous amener à reculons dans la salle obscure.
À cause d’un précédent film du même réalisateur, à cause d’un trailer de piètre qualité, à cause d’un trop grand enthousiasme de la part de nos collègues critiques ou, à l’inverse, d’une avalanche de positions péjoratives : tout autant d’informations qui provoquent chez nous un beau bordel cérébral avant même que la porte battante de la salle de projection ne s’ouvre.
Ici, la difficulté, c’était 10 surprises et pas une de plus. Comme chaque année, les classements font des journalistes cinéma des machines à souvenirs. Pendant des heures, on tente de se remémorer une scène, une ambiance chopée à la sortie de la salle, un plan qui nous a marqués, une actrice qu’on a trouvée formidable. Autant de critères qui, tant bien que mal, nous ont progressivement aidés à formuler nos choix.
Pour les 10 surprises, il a fallu revenir sur ces douze derniers mois en prenant en compte un élément indispensable : le fameux “Je ne m’attendais pas à ça” ou le “Bordel, c’était bien”, à même d’illustrer la manière dont on a été pris aux tripes. Allez, place aux tops.
Louis Lepron
En 2018, ma journée a commencé avec une fille. Il faisait beau, les lumières matinales imprégnaient la salle à manger et l’on y percevait déjà les prémices d’un talent, celui de Lukas Dhont, pour raconter une transformation psychique et physique, celle de Lara, 15 ans, au beau milieu de Bruxelles et dans le temple parfois fébrile et difficile de la danse. Avec Girl, le cinéma belge a vu éclore au Festival de Cannes un nouveau cinéaste et deux nouveaux acteurs, Victor Poster et Arieh Worthalter. La fille et le père.
J’ai poursuivi avec Pio Marmaï, que j’attendais en fin de matinée devant les grilles d’une prison. Chargé d’un énorme sac à dos, il est rentré chez lui retrouver sa compagne, Audrey Tautou. Pour faire meilleur effet et trouver l’émotion adéquate, elle l’a fait retourner à la grille de l’entrée du jardin. Il a accepté. Y est retourné. Est revenu par deux fois, jusqu’à trouver le ton de son retour, à l’image d’un Pierre Salvadori qui a requinqué la comédie française, utilisant l’énergie de Pio Marmaï et la solidité comique inattendue d’Adèle Haenel pour nous emmener dans un bordel et une rage sans nom mais, surtout, En liberté.
À quelques centaines de kilomètres, par-delà la Manche, j’ai croisé Chris Pine, dans la boue comme dans la merde. Dans Outlaw King : Le Roi hors-la-loi, la lumière, l’acteur américain incarne un roi d’Écosse qui a décidé de s’affranchir de l’Angleterre. Cette histoire vous dit quelque chose ? Oui, Braveheart, le kitsch en moins, l’horreur en plus, le sang partout. Réalisé par David Mackenzie (Comancheria), distribué en France par Netflix, Outlaw King est foutrement une bonne surprise tant il prend l’angle du réalisme guerrier le plus total sans se faire bouffer par un exotisme écossais futile. Ça fait mal, mais qu’est-ce que ça marque.
Fin de journée. Le soleil a repris ses marques mais les couleurs ont été remplacées par un doux noir et blanc. On retrouve Alfonso Cuarón et son Roma, soit le meilleur investissement cinématographique de Netflix cette année en termes de légitimité. Passé et récompensé au festival international du film de Venise, le long-métrage inspire par une formule magique nous transportant au début des années 1970.
Si le cinéaste mexicain raconte son enfance et son milieu social, j’ai vu se détacher le personnage de Cléo, incarnée par Yalitza Aparicio, d’un quartier de Mexico jusqu’aux plages de Paraiso. Élaborant sa fin comme dans Gravity, Alfonso Cuarón ne cesse de se tourner vers l’eau, métaphore de la naissance et de la mère, pour se renouveler. Et la surprise n’aurait pas été totale si Netflix n’avait pas été la seule manière de voir ce film de plus de deux heures tourné en noir et blanc.
Roma © Netflix
En fin d’après-midi, j’ai laissé les géniaux héros du Monde est à toi dans un petit pavillon aux abords de Barcelone et j’ai retrouvé une partie des super-héros qui trustent les écrans de cinéma depuis une dizaine d’années. Gueules défaites, costumes déchirés, sang séché sur certains visages, c’était ce qu’il restait des Avengers après leur bataille contre Thanos dans Avengers : Infinity War. 2 heures et 30 minutes d’un combat incessant d’images pyromanes, de scènes coupées à la machette et de plans envoyés en pleine tête façon marteau Mjöllnir trouvé chez le Bricorama d’Asgard. Oui, le troisième Avengers, cette fois-ci guidé par les frères Russo, a été une surprise, au regard de ma tête déprimée lorsque je suis entré dans la salle obscure.
Au final, la magie Marvel opère, réussissant l’impossible : donner une consistance à la plus importante réunion de super-héros jamais organisée sans jamais oublier Thanos, le grand méchant de l’histoire, qu’on vient à prendre en pitié tant les dommages collatéraux sont à compter des deux côtés. Si les incohérences scénaristiques et les explosions à tout-va peuvent lasser, jamais un crépuscule cerné par des super-héros endeuillés n’aura été aussi beau. Place, désormais, à la nuit.
Elle a d’abord débuté en bohème : dans les rues de Paris, entre trois cigarettes, un bar de jazz de Saint-Germain et deux immigrés polonais ayant fui le stalinisme. Soit Cold War, une magnifique histoire d’amour en noir et blanc signée Pawel Pawlikowski (Ida) contrecarrant les affres d’une guerre froide, enrobant la pellicule d’une chaleur bienvenue. Puis, plus un bruit.
Surprise, me voilà en compagnie d’un John Krasinski dans un film où l’horreur est le moindre bruit, la moindre note de musique, le plus faible des murmures peut être fatal. Dans Sans un bruit avec la géniale Emily Blunt, le jeune réalisateur acteur prouve que le cinéma de genre peut réussir à sortir du cercle infernal des franchises convenues et bankables (d’Insidious à American Nightmare) sans perdre de son efficacité.
Plus loin dans la nuit, vers 4 heures du matin, c’était une autre terreur que j’ai croisée : celle de Léa Drucker en mère de famille, soumise à un mari violent et mortifère, dans Jusqu’à la garde. Impossible de fermer l’œil après le long-métrage coup de poing servi par Xavier Legrand, me laissant en PLS. Il était temps pour moi de sortir prendre l’air.
Le lendemain, au réveil, une vision ensanglantée m’a foutu une énième et dernière claque : La nuit a dévoré le monde et ses milliers de zombies avaient envahi les rues de Paris et de Navarre, semant des cadavres, une terreur et un film qui dit qu’en France, on n’a pas de pétrole, mais que parfois on y fait de bons films de genre.
Girl
Le monde est à toi
Sans un bruit
En liberté
Outlaw King
Roma
La nuit a dévoré le monde
Cold War
Avengers 3
Arthur Cios
Les surprises ciné ont bien des formes. Il y a des films que l’on va voir sans trop savoir à quoi s’attendre. Il y a celui que tu vois après t’être inscrit à la dernière minute à une projection tardive, ce long-métrage d’horreur indé pour lequel tu as zéro attente et duquel tu tombes complètement amoureux, grâce notamment à l’innovation du traitement de la figure zombiesque [La nuit a dévoré le monde].
Il y a, à l’inverse, le film que tu attends depuis plusieurs mois. Tu avais adoré le dernier bébé du réalisateur, que tu avais regardé avec tes potes dans ton salon. Tu sais, ce truc où tu t’attends à une espèce de blockbuster d’action et où tu te retrouves avec une véritable claque psychosensorielle ahurissante [Annihilation]. Il y a aussi celui que tu vas voir au ciné, et là, bim, t’adhères à 100 %, notamment pour son côté pop labyrinthique parfaitement dosé [Under the Silver Lake].
Il y a aussi le blockbuster que tu imaginais bête et méchant, mais qui reste l’un des plus malins du genre, et qui te procure un plaisir assez jouissif, surtout quand tu vois Tom Cruise écraser son hélicoptère [Mission Impossible : Fallout] en toute décontraction. Ou celui qui te fait peur au regard de ses trailers à moitié en 3D chelou (eh oui, même si c’est de Steven Spielberg), mais qui, in fine, se trouve être une sacrée partie de plaisir en hommage à la culture geek que tu aimes tant [Ready Player One].
Dans un registre différent, tu as le film au petit budget qui a trusté le box-office américain, film d’horreur de l’année selon la plupart des spectateurs, que tu redoutes de voir tant il a été encensé, par peur d’être déçu. Celui-ci se trouve être, au final, malin, subtil, beau et intelligent [Sans un bruit]. Ou ce film italien que toute la Croisette a adoré, que tu as peur de ne pas assez aimer tant “il est brillant”, mais qui au final te fait frissonner, rire, et pleurer tant il est… brillant [Dogman].
The House That Jack Built © Les Films du Losange
Il y a aussi ce genre de film dont tu adores le réalisateur, mais avec lequel, choquée par la violence et le propos, la critique a été très dure. Tu es sceptique quand tu vas le voir et, au final, tu y décèles une création poétique et intéressante [The House that Jack Built].
Il y a enfin le film qui définit la notion du “long-métrage hype par nature” parce que son auteur l’est, et que tu penses débecter. Face à toi, de bout en bout, c’est en réalité un film audacieux, au casting parfait, qui sait parfaitement lier l’humour au sérieux [Le monde est à toi]. Pareil pour le film discret que tout Sundance a adoré mais qui n’est jamais sorti en salles françaises, alors qu’il était pourtant l’un des biopics les plus originaux, autant sur la forme que sur le fond [American Animals].
La nuit a dévoré le monde
Annihilation
Under the Silver Lake
Mission Impossible : Fallout
Ready Player One
Sans un bruit
Dogman
The House that Jack Built
Le monde est à toi
American Animals
Lucille Bion
La plus grande surprise de l’année est incontestablement le film de Gilles Lellouche. Le cinéaste a touché les cœurs à Cannes lors de la première mondiale du Grand Bain. Loin des comédies françaises bidons et parfois beaufs dans lesquelles il avait tendance à s’enliser, il signe ici un véritable feel good movie moderne avec sa bande de copains habituelle.
Abdellatif Kechiche a aussi réussi un coup de maître avec son Mektoub My Love : Canto Uno. Pendant trois heures sulfureuses uniquement construites sur du bavardage, le réalisateur capte la jeunesse solaire, brûlante, fascinante et apporte au cinéma français de nouveaux talents prometteurs. Bluffants de fluidité et de sensualité, ils nous transportent sur la plage et nous balancent entre le vent salé et l’ivresse nocturne.
Under the Silver Lake © Le Pacte
David Robert Mitchell choisira, lui, de nous envoyer dans une autre dimension. Avec Under the Silver Lake il ôte le costume de Spider-Man – ou presque, à un magazine près – à Andrew Garfield et rend hommage à la pop culture tout en déclarant son amour au cinéma. Ça a pimenté le Festival de Cannes et ça fait du bien. À l’instar d’El Angel, l’autre film pop qui a redonné du peps au festival.
Si Crazy Rich Asians et À tous les garçons que j’ai aimés ont fait couler beaucoup d’encre cette année, notamment pour leur casting qui met en avant des héros asiatiques, ces deux rom-coms ont aussi fait couler beaucoup de larmes. Parfaites pour les petits coups de mou, ces deux merveilles vont en plus avoir droit à une suite. En ce qui concerne Crazy Rich Asians, je suis à deux doigts de lancer une pétition pour un spin-off sur Oliver T’sien, le designer de mode qui pourrait être l’enfant spirituel de Cristina Cordula et Loïc Prigent.
Le Grand Bain
En eaux troubles
Sans un bruit
À tous les garçons que j’ai aimés
El Angel
Mes provinciales
Mektoub My Love
Under the Silver Lake
Crazy Rich Asians
Love Simon