“Dans ce grand royaume du tout-lisse”, Christine and the Queens a parfaitement répondu au triste mépris du “mélange”.
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Au lieu d’être saluées ou du moins respectées, certaines initiatives naturelles et sincères sont blâmées, déconsidérées, fusillées dans leur envol. Avec un degré d’ouverture d’esprit moindre. C’est ce dont a été victime Christine and the Queens, qui dévoilait mardi 9 février le clip de sa collaboration inédite avec un autre grand nom de la scène musicale française : Booba. Un mélange homogène de deux univers qui n’a pas été du goût d’un groupe plus petit mais qui a fait plus de bruit, discréditant une démarche simplement passionnée.
La chanteuse a ainsi écrit, pour mieux répondre à des articles, comme celui du Figaro qui faisait d’elle une “féministe” face à Booba le “misogyne” :
“Si je ne suis brusquement plus respectable après l’avoir invité lui, alors je préfère attendre de gagner le respect en continuant à faire bouger les lignes. Pourquoi si différents, sur la même bagnole ? La réponse est ouverte comme mes textes. Je suis collectionneuse de questions.”
Et de préciser :
“C’est une féministe qui a écouté Temps Mort, c’est un rappeur qui a sorti un titre zouk l’année dernière. Ces informations ne s’annulent pas, elles dessinent simplement des espaces plus complexes que prévu. Il y a surprise, contradiction ; j’accueille ces contradictions car elles font aussi partie de moi. Elles ne m’empêchent pas d’avoir des convictions profondes. J’aimais déjà les textes de Kanye et Booba quand j’ai écrit Chaleur Humaine ; et c’est pour l’amour de la punchline que j’ai fait mon make-up au mercurochrome.”
Temps mort, le premier album solo de Booba, sorti en 2002
“Je m’assois avec mon pantalon masculin, ma chemise ouverte sur mes petits os de jeune fille blanche, queer et féministe, je suis chez moi dans la chanson que j’ai écrite,
Il me rejoint entièrement vêtu de sa marque, il s’est vengé en se construisant un empire, il a la métaphore crue qui déverrouille. Je nous aime bien ensemble, sans renoncer à rien, en un espace, un sentiment particulier : la colère, le verbe.”
Et Christine and The Queens d’indiquer qu’elle ne compte pas en rester là :
“Je vais continuer de provoquer des rencontres inattendues, justement parce que je considère que la production musicale française devrait être un territoire plus accueillant que le nôtre. Je ne crains pas l’impureté du mélange – justement parce que je suis de culture queer. Ce qui m’effraie, en revanche, c’est que la culture du rap soit encore aussi méconnue en France, et qu’une collaboration comme la nôtre puisse encore paraître absurde. Ce n’est pas une rencontre absurde. C’est une rencontre surréaliste. Nos deux voix se marient curieusement pour finalement se répondre, comme un cadavre exquis.”
La chanteuse conclut alors :
“Voilà deux survivants, très différents sur la même bagnole, à l’heure même où l’on choisit de voter sur qui faire partir d’ici, et qui tolérer encore. Plaira, plaira pas, c’est l’affaire de chacun et je le respecte. Mais que ceux qui m’accusent (violemment, et sans nuances) de renoncer à tout ce qui fait la force et le courage de mon personnage regardent une nouvelle fois le clip : il n’y a ici que Christine, qui lutte et lutte encore. Je vais continuer à être cette présence rugueuse et imparfaite, je vais continuer d’aller exactement où j’ai envie”
Deux routes bien différentes
En France, on aime par dessus tout les étiquettes. Un syndrome, que ce triste mépris de la volonté de créer, d’innover, de s’ouvrir à d’autres mondes et non s’enfermer dans une cage de confort. Une bulle certes prudente, mais morose. Un cercle, aux traits lisses, mais qui se mord la queue et se prive de toute rencontre avec d’autres formes ; des segments qui, eux, n’ont pas peur de tracer vers d’autres horizons.
Les routes de Christine et Booba, venues de deux univers différents et bien ancrés, se rejoignent sur plusieurs points. Tout en préservant leur authenticité, les deux plumes se sont avancées l’une vers l’autre pour aujourd’hui se rencontrer. Avancer engendre plus de risques que de stagner prudemment ; la prise de risques fait avancer. Laissons-la s’exprimer.