Skyfall pour James Bond, The Dark Knight Rises pour Batman : ces deux films ne semblent avoir en commun que leur année de sortie. Il en est tout autre.
À voir aussi sur Konbini
A six mois d’intervalles, les troisièmes volets nouvelle génération de Batman et de James Bond sont sortis dans les salles du monde entier. Au mois de juillet pour la chauve-souris, au mois d’octobre pour l’agent secret. Un rapprochement qui n’est pas seulement d’ordre temporel.
L’un est dirigé par un cinéaste, Christopher Nolan, qui maîtrise l’univers de Gotham City depuis son premier opus, Batman Begins, en 2005. L’autre, Sam Mendes, plus habitué aux films indé (American Beauty, Les Noces Rebelles) qu’aux blockbusters, est arrivé sans grande pompe lorsqu’il a dû entreprendre une suite au génial Casino Royale et au décevant Quantum Of Solace.
Deux anti-héros malmenés
Des romans d’antan de Ian Fleming aux comics contemporains de Marvel ou DC Comics, l’origine des super-héros qui garnissent nos écrans en 2012 est diverse. Mais que ce soit Batman ou James Bond, et a l’inverse des Avengers et de The Amazing Spider-Man dans les salles obscures aussi cette année, ils ne sont pas dotés de pouvoirs ou de dons surhumains.
Seulement d’une force qui leur permet de sauter de grues en grues (Casino Royale) ou du haut d’un parking circulaire (The Dark Knight) sans trop de dégâts. Un critère anti-super-héros qui leur donne toute légitimité à ne jamais mourir mais à pouvoir défaillir.
Et Skyfall et The Dark Knight Rises posent la question de l’âge de leurs héros. On retrouve d’un côté un Bruce Wayne qui a pris huit ans dans les dents avec un teint caverneux et une barbe fournie. Sa jambe, elle, est mal en point. De l’autre, on a droit a un James Bond alcoolique option whisky. Revenu d’entre les morts, il n’arrive pas à passer un banal test physique et moral au MI6. Banal dans le sens que 007 a toujours été considéré comme le meilleur agent secret britannique. Ce n’est plus le cas ici.
C’est dans cette perspective que les trois derniers opus Batman et le dernier James Bond sont nés sous la même lune : celle de la résurrection. Le héros doit plus que jamais tomber pour mieux remonter. Et les caractères et les origines de James Bond et Batman sont, dans ces opus qui se concentrent plus (pour la première fois) sur leur psychologie que leurs aptitudes à défoncer du méchant, très proches. Leur identité est secrète, leur enfance chaotique, bercée par la mort de leurs parents.
La redistribution des cartes
Anne Athaway et 007 s’adressent aux spectateurs en choeur :
The storm is coming.
Une tempête particulière.
Car Skyfall et la trilogie Batman sont des productions transpercées par la thématique d’un monde post-11 septembre. Finis les russes endimanchés que tuait 007 sans voir sa coupe bouger d’un iota : la guerre froide ou les dictateurs ne sont plus de ce monde et les cartes et les murs ont été redistribuées. Finies les histoires de Catwoman et du pingouin à la Tim Burton : Batman ne résonne plus en terme d’affrontement mais en terme d’actualité historique. Soit un monde ou le plus fou peut commander.
Tout cela est à l’avantage, dans les scénarios, de profils atypiques, de méchants difficiles à appréhender : le Joker et Bane à ma droite pour leur propension à incarner l’anarchie la plus pure; Silva (Javier Bardem) à ma gauche et son idéal d’un MI6-fou qui fait monter les enchères de missions pour mieux faire descendre les cours de la bourse.
Le nihilisme du Joker et la dictature de Bane peuvent être mis au même niveau que la vengeance aveugle du personnage de Javier Bardem. Tous trois ont un visage bouffé par leur passé, tous trois se servent d’un système financier au bord de l’asphyxie pour mieux le tuer (Joker), l’utiliser (Bane) et le tromper (Silvia). Et quand Tom Hardy rentre a Wall Street, on pense tout de suite à Javier Bardem qui rentre le palais de justice pour régler ses comptes, remettre en cause les institutions.
Mais par dessus tout, le plus intéressant des Bane, Silvia et du Joker résident dans leurs profils : ils sont des terroristes extraordinaires. Ils emergent, comme un Nicholas Brody dans la série Homeland, d’un Occident malade. Du coeur de cette machine qu’il veulent faire exploser, ils en montrent les failles.
Par la métaphore de la prison dans The Dark Knight, Christopher Nolan parle du camp de Guantánamo : tout est bon pour que Batman frappe le Joker et on peut toujours s’asseoir sur la convention de Genève. Dans Skyfall, c’est le sacrifice de Silvia ordonné par sa fausse mère M. Et Sam Mendes, le type derrière la caméra, va même plus loin que Christopher Nolan : il met le MI6 devant une cour, dans un palais de justice face, honte absolue, à des responsables politiques. La remise en cause des agissements des officiers au service de la reine est totale, ses erreurs, graves et gravées.
Ajoutez à cela un humour pince sans rire, une réalisation carrée autour de laquelle est brodée une bande-son anxiogène et pesante ( Thomas Newman – Hanz Zimmer, même combat) : The Dark Knight Rises comme Skyfall se rejoignent. Dans le fond comme dans la forme, le héros bondien n’a jamais été aussi proche du milliardaire de Gotham City.