Les éditions de Varly ont décidé de rééditer Les Aventures de Bamboula, sans anticiper la polémique qui en a découlé. Jugée raciste, la parution du recueil va peut-être être annulée.
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En début de semaine, Manix et H&M étaient critiquées à cause de publicités jugées racistes. Ces deux polémiques ont montré pour beaucoup le racisme systémique à l’œuvre dans notre société.
Preuve supplémentaire s’il en fallait, ce 8 janvier, le site ActuaLitté a épinglé les éditions de Varly, spécialisées dans la réédition d’anciens albums, qui ont jugé intéressant de faire redécouvrir au public Les Aventures de Bamboula, dans un recueil rassemblant quatre histoires.
C’est le 1er février prochain que ce personnage créé en 1951 doit trouver une nouvelle vie, alors que ses albums n’avaient pas connu beaucoup de succès à leur sortie. Dessinée par Marcel Turlin, dit “Mat” (1895-1982), la bande dessinée voulait “prendre à contresens les idées de son époque”, selon son nouvel éditeur, Georges Fernandes.
“Il est le petit garçon que tous les parents rêvent d’avoir”
La description du premier tome qu’il fait sur Amazon défend son choix éditorial. Celle-ci dépeint l’illustrateur comme “un homme de cœur” : “Il aimait faire rire les enfants et il détestait l’injustice. Il souhaitait la fraternité entre les hommes…”
Georges Fernandes reconnaît bien le racisme du nom de l’album et de son héros, puisqu’il rappelle que le terme de “Bamboula” est une “insulte en France”. Mais il défend un personnage différent des clichés racistes.
L’enfant quitte “son pays d’Afrique noire pour venir vivre en France“, où il est adopté par une famille blanche “sans préjugés”. Pour l’éditeur, il est un personnage positif et valorisant :
“Il va faire preuve de pertinence, d’intelligence, d’honnêteté, de courage et d’une grande envie d’apprendre. Il est le petit garçon que tous les parents rêvent d’avoir.”
Comme ActuaLitté le rapporte, loin de véhiculer des idées racistes, l’album serait pour l’éditeur “le contraire de la connotation raciste”. Il en aurait même souffert à sa sortie : le succès n’aurait pas été au rendez-vous parce qu’à l’époque il “n’était pas logique de dire du bien des hommes de couleur”.
Et c’est ce que le personnage aurait permis de dénoncer, en mettant en avant “la bêtise humaine de la société moderne. Bamboula rencontre toutes sortes de personnages, des adultes, des Blancs, qui vont être voleurs, fainéants, menteurs…”
Mais pourquoi choisir de rééditer cette BD maintenant ? Pour l’éditeur, “c’est le bon moment pour republier ces aventures, dans une société française toujours raciste”, en plus de l’intérêt historique de l’œuvre :
“Je pense qu’il est bon de replacer des mots dans un contexte historique pour savoir pourquoi ils sont interdits et ne doivent plus être utilisés.”
Une “atteinte à la dignité humaine”
La vision de Georges Fernandes est toutefois loin de faire l’unanimité, comme de nombreuses réactions indignées l’ont montré. Sur les réseaux sociaux, puis sur le site d’ActuaLitté, beaucoup ont jugé l’album profondément raciste et fustigé le choix de le rééditer. L’animateur et militant Claudy Siar s’en est ainsi violemment indigné sur Facebook.
JeuneAfrique, qui a pu consulter l’ouvrage, est parvenu au même constat, jugeant que le petit personnage y est ridiculisé, puisqu’il “s’exprime dans un français très approximatif (‘Toi y en a pouvoir m’y donner un pitit renseignement ?’)”, et est mis dans “des situations grotesques” qui vont jusqu’à l’animaliser.
Et si certains personnages blancs sont également caricaturés selon le site, l’effet comique repose principalement sur “l’inadéquation de Bamboula au monde moderne”, ce qui “peut être [jugé] insupportable aujourd’hui” – comme en témoigne la polémique qui a “bouleversé” l’éditeur, qui a avoué à JeuneAfrique “ne plus dormir”.
Après avoir reçu des menaces de mort le visant lui et sa famille par téléphone, il réfléchit donc à l’annulation de la publication de l’ouvrage, après avoir déjà décidé de ne pas publier un tome 2. Il s’étonne notamment de la violence des réactions, alors que les pamphlets antisémites et les “appels au meurtre” de Céline devaient être réédités par Gallimard avec la validation du Premier ministre Édouard Philippe.
Ce 11 janvier, la maison d’édition a toutefois annoncé qu’elle suspendait ce projet, après la vague d’indignation qu’il a suscité, “jugeant que les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies”, comme le rapporte Le Monde.
Guillaume Gouffier-Cha et Jean-François MBaye, deux députés La République en marche du Val-de-Marne, dénonçaient encore ce projet ce mercredi :
“N’oublions pas ce que le passé nous a appris et ne laissons pas des enjeux commerciaux faciliter l’enracinement d’une telle pensée et l’affaiblissement de notre vivre-ensemble.”