Effet papillon
Réflexion sur l’Amérique actuelle, cancérisée par un racisme systémique et diffus, Monsters and Men raconte l’inquiétude d’une communauté – celle du mouvement Black Lives Matter –, traumatisé sur son territoire, entre ses murs, par ses propres forces de l’ordre. Le scénario, direct et sans fioritures, se goupille autour d’un fait divers comme on en voit chaque semaine, ou presque, à la télévision ou sur nos smartphones : un homme noir, tenancier d’une épicerie de Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn, est tué lors d’un contrôle nocturne. Manny, un jeune père de famille, sur le point de retrouver un boulot, tombe sur la scène et la filme avec son téléphone portable. Sa vidéo prouve que la victime, interpellée arbitrairement, ne montrait aucun signe de violence. Les images attestent d’un crime, sans aucune ambiguïté.
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Déboussolé et intimidé par des flics qui ne veulent pas que l’affaire s’ébruite, Manny hésite à publier les images sur le net. Il pense à sa femme, à son job à venir, aux conséquences que cela pourrait avoir sur sa destinée et à la vengeance potentielle de la New York Police Department (NYPD). Manny pèse le pour et le contre avant finalement de lâcher la bombe sur les réseaux sociaux, enclenchant ainsi une onde de choc chez les Afro-Américains, écœurés par ces dérives à outrance.
Au poste, Manny croise Dennis, lequel vacille bientôt. Comment se positionner par rapport aux faits rapportés ? Être solidaire de sa communauté ou rester groupé au sein de sa corporation ? Le réalisateur Reinaldo Marcus Green, diplômé de la Tisch School of the Arts de New York et assistant réalisateur pour Todd Solondz, fait de son point de départ une boule réflexive qui ricoche de personnage en personnage. Son scénario, imprégné de nuances, prend le temps de donner la parole à toutes les parties en présence : de la jeunesse jusqu’aux gradés.
Quelle Amérique pour demain ?
Au fil d’un récit à la fois ténu et dense, Monsters and Men ouvre des pistes de réflexion sans donner de réponse définitive. Green, lui-même fils de policier, s’inquiète du sort de son pays et de ses compatriotes mais prend garde à ne jamais jeter l’anathème sur les autorités, évitant ainsi tout manichéisme. « Une personne qui fait une erreur, fait de nous tous des pourris ? », lâche par exemple Dennis, au milieu du film. La multiplicité des regards confère justement à cette œuvre chorale une véritable puissance et permet au spectateur de se poser de nombreuses questions.
La mise en scène, soignée et percutante, participe par ailleurs d’une immersion totale dans New York, immortalisée ici par un cinéaste qui en maîtrise parfaitement les recoins, les battements et les souffles. Une ville arpentée au pas de course par le jeune Zyrick (génial Kelvin Harrison Jr.), le troisième héros passionnant, dévoilé au dernier tiers, lequel incarne toute une jeunesse qui se demande comment composer, vivre et survivre dans cette Amérique. Faire profil bat pour limiter les dégâts (psychologiques et physiques) ou faire front en affûtant et en affirmant ses convictions ? Réponse en salles très bientôt – la date de sortie n’est pas encore arrêtée.
Notez que, galvanisé par ce succès, Reinaldo Marcus Green tourne, actuellement en Jamaïque, Top Boy, une série dramatique pour Netflix dont Drake est le producteur exécutif. Rien que ça !