Sur l’archipel, Apo Whang-Od est considérée comme la gardienne du tatouage selon la tradition Kalinga. Un art menacé puisque l’artiste, désormais âgée de 97 ans, pourrait bientôt s’éteindre.
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Le visage d’Apo Whang-Od (parfois aussi appelée Fang-Od) était encore récemment encadré en format géant sur les murs du musée du Quai Branly, au cœur de l’exposition “Tatoueurs, Tatoués”. Et pour cause : à 97 ans, cette femme est considérée comme la dernière mambabatok des Philippines, soit la dernière “maître-tatoueuse” de l’archipel qui opère selon la tradition de Kalinga, une province située dans les montagnes de la région administrative de la Cordillère, au nord du pays.
Depuis soixante-dix ans, cette dame aux yeux bienveillants trace à l’encre, sur la peau de qui le souhaite, des dessins tribaux aussi ravissants que symboliques, et dont elle est elle-même également parée.
Selon la tradition en effet, les femmes kalinga en âge d’être mariées se recouvrent le corps de ces symboles géométriques, inspirés de la nature, pour séduire leurs prétendants. Les hommes n’y échappent pas non plus. “Quand les chasseurs se préparaient à la bataille, ils pouvaient se tatouer un mille-pattes en guise de talisman ; quand ils rentraient avec une proie, un aigle pouvait commémorer leur victoire“, expliquait Anne Collins Howard dans un récent article pour la BBC.
Il y a trois ans, cette journaliste anglaise a rencontré Apo Whang-Od, qui lui a alors affirmé :
“Les tatouages sont l’un de nos plus grands trésors. Contrairement aux choses matérielles, personne ne pourra nous les enlever lorsque nous mourrons.”
Les touristes au rendez-vous
Mais depuis quelques décennies, ce tatouage traditionnel n’est plus (à l’instar de nombreux autres arts traditionnels tels que l’irezumi), l’apanage des Philippins. En effet, après son apparition en 2013 dans Tattoo Hunter, une émission dédiée aux tatouages tribaux diffusée par Discovery Channel et présentée par Lars Krutak (véritable anthropologue du tatouage), l’intérêt pour l’artiste n’a cessé de grandir.
Depuis, ce sont des dizaines de touristes qui se pressent chaque année à la petite porte de son village haut perché, bien décidés à inscrire sur leur corps un souvenir de leur voyage – et, de façon peut-être inconsciente, à conserver un bout de l’histoire culturelle des Philippines.
Il faut cependant une certaine résistance à la douleur pour passer sous les mains expertes d’Apo Whang-Od. La technique traditionnelle qu’elle pratique, appelée batok, consiste à faire pénétrer l’encre sous la peau par le biais d’une imposante épine, en tapotant cette dernière sur la partie du corps souhaitée à une vitesse assez impressionnante (environ 100 coups par minute).
Cette technique dite du batok, née il y a un millénaire, est en ce sens aussi ancestrale que douloureuse – à côté, les machines modernes sont semblables à des jouets.
La relève assurée ?
En raison de son statut de dernière mambabatok, Apo Whang-Od a plus d’une fois été soutenue aux Philippines, notamment par la sénatrice Miriam Defensor Santiago, qui estime que l’on devrait attribuer à l’artiste un National Living Treasures Award (ou Gawad sa Manlilikha ng Bayan), sorte de médaille de la culture aux Philippines.
L’enjeu n’est pas tant qu’Apo Whang-Od soit reconnue comme une contributrice indispensable au patrimoine culturel des Philippines, mais surtout qu’elle puisse transmettre son savoir-faire. “Les mambabatoks ne peuvent enseigner leur art qu’à l’un de leurs descendants, poursuit Anne Collins Howard dans son article pour la BBC, et puisqu’elle n’a pas d’enfants, Whang-Od pourrait être la dernière mambabatok dans la province Kalinga.” Et d’ajouter, optimiste :
“Mais il y a une dizaine d’années, elle a pris sous son aile sa petite-nièce, Grace Palicas, pour qu’elle devienne son apprentie. À seulement 10 ans, Palicas a reçu un enseignement très intense dans le but d’apprendre les archives des anciens designs, et l’alliance indispensable entre coordination et finesse, qui permet de délivrer les 100 petits coups nécessaires pour tatouer.”
Si Grace Palicas poursuit son apprentissage, il se pourrait bien qu’elle succède à sa grand-tante et devienne à son tour la dernière mambabatok du tatouage traditionnel philippin, conservant ainsi “l’un de leurs plus grands trésors”.