Le scandale du plug anal, une question de naïveté ?
Pour la chercheuse, il s’agissait-là d’un “dispositif pervers, où ce qui était annoncé (un sapin de Noël, soit un emblème familial) était à l’opposé de ce qui a été réalisé (un emblème homosexuel).” Si la vandalisation de l’œuvre n’est pas justifiable, elle regrette néanmoins le manque d’information sur cette oeuvre. Comment les membres de la Fiac ont-ils justifié leur choix ? Quels ont été les coûts ? Y-a-t-il eu un risque de conflits d’intérêts ? Tant de questions qui restent en suspens selon Nathalie Heinich, auteur de l’ouvrage Le Paradigme de l’art contemporain : Structures d’une révolution artistique, pour un événement qui a été très médiatisé et qui est resté pourtant très opaque.
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Se scandaliser de ce scandale est naïf, les membres de la Fiac (Foire Internationale d’Art Contemporain) qui ont demandé à McCarthy de concevoir une oeuvre savaient à quoi s’attendre.
Il est vrai que l’artiste est connu pour ses oeuvres provocantes, mais pour Alain Quemin, sociologue, auteur de l’ouvrage Les stars de l’art contemporain : Notoriété et consécration artistiques dans les arts visuels, la naïveté se situe davantage du côté des personnes qui se sont acharnées sur “Tree”. “Les réactions à l’oeuvre de Paul McCarthy relevaient souvent d’un malentendu, la plupart des détracteurs se prononçant pour dénoncer l’oeuvre et dire que ce n’était pas de l’art“, nous confie-t-il, rappelant que Paul McCarthy est incontestablement un artiste contemporain important, connu à l’international.
Les gens pouvaient dire qu’ils n’aimaient pas, c’était parfaitement légitime, mais dire que ce n’était pas de l’art (contemporain) comme on l’a beaucoup entendu chez les détracteurs de “Tree” ou de Paul MacCarthy en général était simplement absurde.
Cette oeuvre aurait-elle fait moins de bruit si elle avait été exposée dans un musée ? Certainement. C’est d’ailleurs ce que nous explique Nathalie Heinich : “Dès lors que l’espace public est utilisé, l’exposition d’une oeuvre est beaucoup plus problématique puisque les gens n’ont pas fait le choix eux-mêmes de la découvrir“. Dans un musée, c’est différent, on peut avertir avec des panneaux d’affichages ou en informant les personnes avant leur entrée dans l’exposition, assure-t-elle.
Le marketing et la publicité incitent-ils à la provocation ?
À peu près à la même époque, le musée d’Orsay diffusait une vidéo promotionnelle pour son exposition sur le marquis de de Sade. En filmant des dizaines de corps nus qui s’entremêlent, s’embrassent et se mordent, le célèbre musée du 7ème arrondissement proposait ainsi une promo “osée”, “audacieuse” et “sulfureuse” selon certains mais vraiment “choquantes” pour d’autres, obligeant YouTube, quelques jours après la sortie de la vidéo, à limiter son accès aux personnes de plus de 18 ans. Une responsable du musée justifiait alors le choix de cette mise en scène où aucune des oeuvres de Sade n’apparaît :
Je comprends que la vidéo puisse heurter la sensibilité mais en même temps le sujet de l’exposition est sulfureux. Quand on va voir Sade, on ne s’attend pas à quelque chose de conventionnel.
Pour Alain Quemin, cette vidéo était “clairement racoleuse“, “sans doute trop sexuelle pour la communication d’un musée” et surtout pas assez en accord avec le contenu de l’exposition. “Aujourd’hui, les musées doivent de plus en plus compter sur la billetterie pour boucler leur budget, il faut créer le buzz, l’envie de venir et, de plus en plus, tous les moyens sont bons“, regrette-t-il.
Le Musée d’Orsay n’en était pourtant pas à son premier coup d’essai et pour Nathalie Heinich, c’est une tendance qui existe depuis plusieurs années. “Dans l’évolution générale vers une plus grande permissivité, une grande partie de la sollicitation érotique est de l’ordre du marketing et de la congruence publicitaire” regrette-t-elle, ce qui inciterait les musées et les chargés de communication à devoir proposer des contenus toujours plus provocants.
L’expo du “Zizi sexuel” ou l’influence de la Manif Pour Tous
Dans un tout autre registre, l’exposition du “Zizi sexuel”, destinée aux jeunes de 9 à 14 ans, a également eu droit à son lot de revendications. L’association SOS Éducation, qui a fait partie des plus ardents détracteurs, comptait “protéger les enfants de la pieuvre du sexe cru, sans tabou et mécanique”, soi-disant abordé dans l’exposition basée sur Le guide du zizi sexuel écrit par Zep et Hélène Bruller en 2001. Pour Nathalie Heinich, à partir du moment où l’on propose à des classes entière d’aller voir l’expo, les parents ont le droit de manifester leur désaccord.
Tout le problème est celui du consentement des personnes à être exposées à des images qu’elles n’ont pas forcément envie de voir, dans le contexte en question, qu’il s’agisse de la rue ou d’un musée. C’est une question de liberté individuelle.
Des centaines de milliers de personnes n’ont pas hésité à manifester contre une avancée des droits et une simple égalité accordée à certains. On voit aussi les fantasmes engendrés par les travaux sur le genre qui ont pourtant une assise très scientifique, n’en déplaise à leurs détracteurs. Une parole très conservatrice voire réactionnaire s’exprime plus librement en France qu’il y a quelques années et l’exposition sur le Zizi sexuel en constitue une bonne illustration.
Alors la France, vraiment plus puritaine qu’avant ?
Les exemples où les oeuvres et expos qui abordent la sexualité et deviennent polémiques ne manquent pas à l’appel. Entre manque de connaissance du public, pression du marketing, mouvements conservateurs qui s’expriment davantage dans l’espace public ou plus grande liberté laissée aux artistes, les raisons de telles polémiques sont multiples et divergent en fonction des opinions. Et si l’art est aussi le lieu de divergences de goûts ou d’opinion, la question de savoir si les Français sont devenus plus prudes dès lors qu’on aborde la sexualité dans l’art se pose. Pour Nathalie Heinich, là n’est pas la question et cela s’explique par l’évolution même de l’art contemporain, ce qu’elle qualifie de “paradoxe permissif“.
En encourageant l’expérience des limites, les institutions incitent les artistes à aller plus loin dans la provocation, il est donc tout à fait normal d’avoir plus de débats.
Alors que dans les cas précédemment relatés, le mot “censure” était sur les bouches des défenseurs de ces expositions, elle tient néanmoins à rectifier ce terme qui, selon elle, ne correspond pas à ce qui s’est déroulé.
On ne peut pas parler de censure lorsque ce sont des citoyens qui condamnent une œuvre d’art. Il y a une interprétation erronée de ce qu’il s’est passé, car la censure ne peut provenir que d’une institution ayant autorité pour interdire. D’ailleurs, ce qu’on constate est une baisse des actes de censure de la part des institutions ce qui entraîne une augmentation des transgressions des codes dans l’art contemporain.
On comprend alors que pour la sociologue, il y a eu autant de débats et de polémiques car les propositions en matière d’art ont été plus provocantes. Mais pour le sociologue Alain Quemin, il s’agit bien-là d’un renouveau du puritanisme français. Un mouvement qui ne se résume pas seulement à l’art contemporain mais à toute la société.
À mon sens, les débats de société comme le mariage “pour tous” (en fait, simplement pour les personnes homosexuelles, il faut oser appeler les choses par leur nom !) montre bien que ce n’est pas seulement l’art contemporain qui est en cause. On voit également s’exprimer une parole antisémite et, davantage encore, hostile aux musulmans et aux personnes d’origine maghrébine. Tout cela dépasse largement le cas du seul art contemporain.
Mais restons optimistes ! Selon le chercheur, “l’année 2014 a suscité tellement de polémiques en ce domaine que 2015 devrait être un peu plus calme…” Car le pire dans cette histoire c’est que “l’expression artistique est désormais davantage sous contrôle qu’au cours des plus permissives années 1970 ou 1980“.