C’est un monument de la chanson kabyle qui s’en est allé samedi 2 mai 2020. Idir, figure incontournable de la musique algérienne, est décédé à l’âge de 70 ans des suites d’une fibrose pulmonaire. L’émotion provoquée par l’annonce de cette disparition est aussi immense que la carrière de l’artiste, avec comme point d’orgue “A Vava Inouva”, tube international décliné en d’innombrables versions au fil des années. Mais si ce morceau, incroyablement touchant et désarmant par sa simplicité, a connu un tel succès, rien ou presque ne le prédestinait à connaître une telle gloire.
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Nous sommes en 1973. Un certain Hamid Cheriet vient de composer la berceuse “A Vava Inouva” avec Ben Mohamed pour la nouvelle perle de la scène algérienne, la chanteuse Nouar. Celle-ci doit interpréter la chanson en direct d’une émission algérienne en langue kabyle sur Radio Alger, mais annule finalement sa venue. Le titre, doux mélange de musique traditionnelle berbère mélancolique et de folk moderne des années 1970, est alors chanté par ce même Hamid Cheriet, qui prend alors le pseudonyme Idir comme nom de scène pour ne pas embarrasser sa famille. Encore étudiant en géologie – qui se destine à une carrière dans l’industrie pétrolière algérienne – et artiste en herbe inconnu à ce moment-là, Idir brille en compagnie de la chanteuse Mila et de sa guitare.
Ignorant alors la glorieuse destinée qui se profile, le chanteur retourne dans son village afin de rassembler ses affaires pour les deux ans de service militaire qui l’attendent. Alors qu’il est officier dans une petite caserne, son interprétation magistrale de “A Vava Inouva” passe en boucle sur les radios algériennes et génère un enthousiasme sans précédent, gagnant l’ensemble de l’Afrique du Nord.
Un porte-drapeau de la culture kabyle
Une réussite rendue possible par l’émotion transmise à travers ce morceau, comme suspendu dans le temps. Idir entame un dialogue avec Mila, évoquant les veillées dans les villages kabyles. Une démarche primordiale, puisqu’elle permet de rendre hommage et de représenter l’ensemble d’une culture berbère profondément ancrée, mais de plus en plus malmenée par le gouvernement algérien de l’époque.
Le refrain de la chanson est une allusion directe à un conte kabyle, évoquant une jeune fille sauvant son père prisonnier d’une forêt peuplée d’ogres et de fauves – dont les rôles pouvaient aisément être endossés par les différents membres du gouvernement. “A Vava Inouva” est ainsi un symbole de transmission culturelle, tout en étant une critique politique subtile évitant l’écueil d’un conflit frontal avec les dirigeants du pays. Idir impose sa marque de fabrique, et ne va plus jamais la quitter. “A Vava Inouva” devient un classique de la musique algérienne, comme l’expliquait si bien le groupe parisien Bagarre lors de leur Track ID en hommage à la musique algérienne.
En 1975, une fois son service militaire achevé, Idir s’envole pour Paris et enregistre son premier album A Vava Inouva, sur lequel figure le fameux morceau éponyme. Ce projet sortira un an plus tard, et connaîtra un succès énorme, s’inscrivant comme l’étendard de la culture kabyle aux quatre coins du monde. Car si le titre connaissait déjà un succès retentissant et international, il va franchir de nouvelles frontières.
Succès mondial
“A Vava Inouva” demeure le premier succès commercial algérien en Europe et la première chanson à être jouée à la radio nationale française. Le tube va alors être diffusé dans pas moins de soixante-dix-sept pays et traduit dans une grosse quinzaine de langues différentes, comme le français, le grec, ou encore l’espagnol.
Même si Idir a connu une belle carrière par la suite, “A Vava Inouva” en restera le point culminant et ne cessera de l’accompagner. Une seconde version du tube a d’ailleurs été enregistrée en 1999 dans son album Identités avec cette fois comme featuring Karen Matheson, artiste chantant principalement en langue gaélique.
Aujourd’hui encore, de nombreux artistes reprennent ce titre incontournable. Preuve de l’influence colossale d’Idir, artiste crucial qui a libéré et ouvert la voie à toute une génération d’artistes derrière lui, d’Algérie et d’ailleurs.