La visite du Premier ministre Shinzo Abe au mémorial de Pearl Harbor, à Hawaii, s’inscrit dans un long travail de mémoire à la portée très contemporaine.
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Cela faisait 65 ans qu’un dirigeant japonais ne s’était pas rendu sur les lieux de la sanglante attaque sur Pearl Harbor du 7 décembre 1941. Il y a 75 ans, le gouvernement nippon infligeait à la marine américaine ce qui reste à ce jour l’une de ses plus lourdes défaites.
En 1941, le Japon contrôle la majeure partie de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique. Il est en Chine, au Siam, en Indochine et surtout dans cette myriade d’archipels qui fait la particularité géographique de la région. Au contact de cette “sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale”, le port hawaïen de Pearl Harbor est la plus grande base américaine du Pacifique.
Une prise de choix pour l’armée nippone. Alors que les États-Unis jouent avec le feu en imposant un embargo de plus en plus lourd sur le commerce avec le Japon, et en l’exhortant à retirer ses troupes de Chine, le gouvernement japonais décide de ne pas subir plus longtemps cette situation humiliante et demande à l’amiral Isoroku Yamamoto de lancer une attaque sur la base militaire située sur l’île d’Oahu.
“Nous avons la responsabilité de regarder l’histoire dans les yeux”
Pas de déclaration de guerre, six porte-avions, 400 avions et une attaque éclair surprise : le carnage est total. L’armée nippone ne perd que 64 hommes, alors que 2 400 Américains meurent ce jour-là, dont 1 177 piégés dans le naufrage de l’USS Arizona, navire qui donnera son nom au mémorial visité le 27 décembre 2016 par le Premier ministre japonais Shinzo Abe.
L’attaque de Pearl Harbor est un véritable traumatisme pour la population américaine. Une blessure qui permet à Franklin Roosevelt de lancer les États-Unis dans le carnage de la Seconde Guerre mondiale, après deux ans d’isolationnisme. “Cette date restera à jamais une infamie“, scande le président américain dans un discours prononcé le jour même.
Une cicatrice de l’Histoire que les dirigeants américains et japonais tiennent manifestement à soigner aujourd’hui, sept mois après la visite de Barack Obama au mémorial d’Hiroshima. “Nous avons la responsabilité de regarder l’histoire dans les yeux“, avait alors affirmé ce dernier.
“Le peuple japonais renonce à jamais à la guerre”
À l’image du président américain, Shinzo Abe ne devrait pas présenter d’excuses mais tenter de tourner les deux pays vers l’avenir, en toute conscience du passé. Un processus de mémoire nécessaire à la construction d’une relation pacifique et fructueuse, un peu comme la photo de François Mitterrand et Helmut Kohl se tenant la main à Verdun avait pu inscrire dans le marbre la réconciliation franco-allemande, en 1984. Et comme ce geste qui avait redonné un élan à la construction de l’Union européenne, la cérémonie d’aujourd’hui dépasse le seul stade de la relation harmonieuse entre deux États.
Car plus que jamais il importe de faire peser le duo États-Unis/Japon, à l’heure où la Chine étend son contrôle sur les mers d’Asie du Sud-Est (où transite un tiers du commerce mondial). Shinzo Abe se pose ainsi en dirigeant d’ampleur internationale en jouant à fond la carte de la diplomatie symbolique, l’une des rares armes qui restent aujourd’hui au Japon pour peser sur la géopolitique mondiale. Car depuis 1947 la Constitution nippone interdit la mise en place d’une armée de métier : “Le peuple japonais renonce à jamais à la guerre”, peut-on ainsi y lire.
Néanmoins, cela fait plusieurs années que Shinzo Abe fait tout pour limiter l’importance de l’article 9 de la constitution : depuis 2015, les forces d’autodéfense japonaises peuvent désormais intervenir à l’étranger pour aider un pays allié, quand bien même le Japon ne serait pas directement menacé.
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Réaffirmation de l’alliance américano-japonaise
Cette rencontre historique permet également à Tokyo de marquer son attachement à l’alliance avec les États-Unis, alors que Donald Trump doit bientôt s’installer dans le bureau Ovale, le 20 janvier prochain. Des divergences de fond se font déjà sentir avec la prochaine administration américaine : Barack Obama est convaincu de la nécessité du démantèlement des arsenaux nucléaires, tandis que Donald Trump souhaite au contraire augmenter la capacité de frappe américaine. En outre, pour ne pas arranger les choses, Shinzo Abe n’exclut pas de doter le Japon de l’arme nucléaire.
Pour Barack Obama, cette séquence mémorielle est une ultime tentative pour pérenniser l’héritage de la stratégie du “pivot vers l’Asie” qui a été la grande marque de sa politique étrangère, mais dont les résultats restent très mitigés : budget militaire en baisse, expansionnisme chinois et crises à répétition au Moyen-Orient ont eu raison de ce basculement géopolitique ambitieux.
En réaffirmant sa proximité avec les États-Unis, le gouvernement nippon donne aussi des gages aux courants nationalistes japonais qui demandent une plus grande fermeté avec l’inquiétant voisin chinois. Une nation avec laquelle le travail de mémoire n’a, pour le coup, jamais été vraiment réalisé, surtout quand on voit comment Shinzo Abe n’a aucune vergogne à rendre hommage à des criminels de guerre japonais : environ 30 millions de personnes ont péri au cours de la guerre sino-japonaise (1937-1945), dont au moins 17 millions de civils chinois.