Après les déceptions et les surprises, place, enfin, aux meilleurs films de l’année 2018, selon la rédaction de Konbini.
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Ryan Gosling dans <em>First Man / </em>Universal Studios
Les déceptions sont délaissées, les surprises nous ont fait vibrer. Qu’en est-il désormais des meilleurs films de l’année ? Quels sont les 10 coups de cœur indépassables que l’on retient ? Quels sont les longs-métrages qui ont caractérisé nos douze derniers mois et qui nous ont marqués au point de mettre en shuffle leurs bandes originales pour revivre une scène, un plan, un sentiment ? Quelles sont les images et histoires qui ont imprimé notre rétine au point de ne plus vouloir quitter la salle obscure ?
Autant de questions auxquelles il a été difficile de répondre, tant la proposition formulée par le septième art en 2018 a atteint des sommets de créativité, d’émotion, de puissance visuelle ou les trois à la fois. Pour ces trois classements individuels, aucun film n’a été nommé de manière unanime. On retrouve ici et là deux productions citées en commun par deux journalistes, rien de plus, illustrant à la fois la différence des goûts au sein de la rédaction. Terminons l’entrée, passons au plat principal.
Louis Lepron
Un léger retour en arrière sur 2018 suffit pour saisir la variété et la qualité des films exploités, en salles, ou sur des plateformes de streaming. Si cette année s’est distinguée, ça a été avant tout pour la manière dont Netflix s’est incrusté comme jamais sur le marché des longs-métrages devenant, au passage, le plus gros distributeur de films et remettant en cause le principe sacré de la non-diffusion au cinéma de ses productions, subissant dans la foulée les foudres du Festival de Cannes, aussi conservateur que la chronologie des médias français. Soit.
Cette évolution étant, 2018 a été une sacrée année. Mandy, diffusé à la Quinzaine des réalisateurs, a été ma première claque. Le long-métrage n’annonçait rien d’aussi fou, d’aussi WTF, d’aussi ironique, d’aussi nicolascagien (s’il existait un adjectif incarnant le meilleur comme le pire d’Hollywood) que cette réalisation signée du Canadien Panos Cosmatos.
Si la première partie pose lourdement ses fondements, la deuxième a tout détruit sur son passage, de mes yeux à mes repères. Après deux heures et une minute d’un calvaire scénaristique aussi puissant qu’un Nicolas Cage subissant les affres d’une drogue particulièrement repoussante, j’ai plongé dans un univers graphiquement loufoque, accompagné d’une musique prenante (de feu Jóhann Jóhannsson, notamment responsable de celle de Premier Contact), d’une ironie dingue et l’envie d’en voir plus, de continuer à suivre la vengeance foutraque de l’acteur américain. Quel genre de film fait dire, au spectateur qui vous écrit ces lignes, “ce film est taré, ce film est incroyable, ce film est extraordinaire” au cours même de la séance ? Mandy, lui, et lui seul.
Suspiria a été du même acabit, mais avec une volonté cinématographique plus classique, à l’instar du choix de Thom Yorke à la baguette de la bande originale, merveille musicale faite d’un sentiment évoluant entre la nostalgie et une violence doucereuse. On ne sort pas indemne de la séance, et on en vient même à avoir l’indécence de penser, oh sacrilège, que Dario Argento et son long-métrage original sont désormais dépassés.
Pour First Man, je me suis retrouvé dans le cockpit d’Apollo 11 au côté d’un Neil Armstrong taiseux et d’un Corey Stoll blagueur. L’apesanteur, je l’ai enfin connue avec les magnifiques compositions de Justin Hurwitz, qui m’a notamment impressionné avec la sublime “The Landing”, propre à transférer des frissons à une salle entière, spectatrice du tout premier alunissage. Pour son troisième long-métrage, après le chef-d’œuvre de Whiplash et l’oscarisé La La Land, Damien Chazelle s’est essayé au biopic spatial, à mille lieues des concerts de jazz ou des parapluies de Cherbourg. Un pari risqué mais relevé haut la main, signifiant que le réalisateur américain est, sans forcer le trait, l’un des meilleurs cinéastes de sa génération.
<em>Leto</em>, Kinovista / Bac Films
La même chose peut être dite pour Steve McQueen et ses Veuves, allant à contre-courant (même s’il dit le contraire) d’une mise en scène personnelle pour fouler avec brio le terrain de jeu d’un Michael Mann. Une autre claque qui voit des acteurs au sommet de leur art, confinés dans un scénario au mécanisme abrasif, à l’image d’une ville de Chicago dont on réussit à comprendre les roulages suintant la corruption et les coups de pression.
Une mécanique parfaitement huilée qu’on retrouve dans Spider-Man : New Generation, l’une des meilleures propositions ciné de héros à costume moulant depuis… les Batman de Christopher Nolan. Si Marvel et Disney ont investi dans le fun méta, les explosions en avalanche et une trentaine de scénarios montés façon bande-annonce, cette production Sony impressionne par une candeur comics que n’aurait pas regretté Stan Lee. Ce sera, en tout cas, son dernier caméo, dans un film d’animation qui peut être aujourd’hui vu comme un magnifique hommage au créateur des super-héros de notre enfance.
<em>Phantom Thread / </em>Universal Pictures International France
Voilà pour les cinq premiers films qui ont fait leur apparition dans mon esprit lorsque les mots-clés “top cinéma 2018” ont été écrits. Les trois suivants marquent avant tout la confirmation du travail de cinéastes que j’apprécie énormément, de Paul Thomas Anderson signant une œuvre relatant la relation compliquée entre un créateur et sa muse (Phantom Thread) à Wes Anderson et sa magnétique L’Île aux chiens en passant par le retour de Quentin Dupieux, ouvrant devant nos yeux rieurs une pièce de théâtre aussi absurde que poétique (Au Poste !).
Trois réalisateurs aux antipodes qui ont pourtant eu en commun cette année l’amour des détails, l’amour de la perfection, du timing, que ce soit le contrôle de la mise en scène du géant Daniel Day-Lewis, l’importance des grains de sable comme des déchets d’une île salie ou les silences et les dialogues d’un commissariat plongé dans le non-sens le plus total.
Deux autres films, sortis de deux festivals bien distincts, ont aussi fracassé la porte d’entrée de mon classement : le magnifique Leto, découvert à Cannes, et le génial American Animals, déniché au Festival de Deauville. Le premier raconte la Russie rêvée d’une bande de musiciens des années 1980, alors que l’Union soviétique n’a pas encore dit son dernier mot, entre Lou Reed et David Bowie ; le deuxième, l’aventure (vraie) d’une bande de losers dont l’objectif est de… cambrioler une bibliothèque. Aussi éloignés soient-ils, ces deux longs-métrages, difficilement visibles, reflètent la vitalité, la créativité et la folie de 2018.
Suspiria
Mandy
First Man
Les Veuves
Spider-Man : New Generation
L’Île aux chiens
Au Poste !
Phantom Thread
American Animals
Leto
Arthur Cios
Cette année, les coups de cœur ont pris la forme de claques. Toutes furent des claques prises en pleine poire sans trop comprendre ce qu’il se passait. Il y a celles qui t’attendent et qui arrivent quand même (ce qui est rare), d’autres, les plus jouissives de toutes, que tu ne vois pas venir et qui viennent sans prévenir comme des flèches.
Tenez, par exemple, quand je suis allé voir en projection presse Roma, je ne savais rien du film, si ce n’est qu’il a été distribué par Netflix et réalisé par Cuaron. Je ne savais donc pas que je verrais le plus beau, le plus touchant et le plus poignant film de l’année 2018. Pareil pour La Forme de l’eau, que j’ai vu pendant l’été 2017, peu avant son passage au Festival international du film de Venise, alors qu’on ne savait quasiment rien de ce nouveau Guillermo Del Toro, bien avant son Oscar du meilleur film largement mérité.
<em>Sur le chemin de la rédemption / </em>Universal Studios
Je ne pensais pas non plus tomber sous le charme de l’audacieux remake de Suspiria, tant j’avais aimé l’original et dont je craignais une simple relecture sans goût. Dieu que j’avais tort. Non seulement Guadagnino s’approprie l’univers créé par Argento, mais de surcroît, il le sublime. Il y ajoute beaucoup de danse, de gore, extrapole l’idée de regroupement de sorcières, surprend, séduit et donne des frissons.
Parfois, tu te surprends à regarder des films un peu par curiosité, presque à reculons. Genre First Reformed, Sur le chemin de la rédemption dans la langue de Molière. Le truc sur lequel tu penses t’endormir devant ton ordinateur et qui te prend aux tripes de bout en bout. Grâce notamment à la prestation incroyable d’Ethan Hawke, et d’un scénario rafraîchissant. Pareil pour Burning, que tu vois parce que tout le monde crie au génie, à tel point que tu crois être déçu. Et qui te surprend par un scénario étrangement balancé entre le drame et le thriller, au climax bouillonnant et une performance phénoménale made in Steven Yeun.
Tu vas voir les derniers films d’excellents réalisateurs, ne sachant pas trop sur quel pied danser, et te retrouves par moments estomaqué par le minimalisme d’un spectacle pourtant tellement grandiloquent (on parle ici de la conquête de l’espace made in Chazelle avec l’excellent First Man), bouche bée devant l’animation incroyablement belle de Wes Anderson (L’Île aux Chiens), ou sous le charme de la romance torturée d’un créateur et sa muse mis en scène par le brillant Paul Thomas Anderson (Phantom Thread).
Enfin, le cru de cette année a été un plaisir pour le fan de comics que je suis. Car si j’ai pour habitude d’aimer un peu facilement n’importe quel film de super-héros bien foutu, ce n’est pas tous les jours qu’on a des spectacles comme ceux de 2018. À commencer par Avengers : Infinity War, un spectacle jouissif, qui ne t’a pas vendu du rêve pour rien, et te fournit au passage le plus grand choc ciné de l’année, avec le flot de larmes qui va avec.
Petit mot pour le Spider-Man : New Generation. Un film que je craignais un peu, au vu du premier trailer qui ne m’avait pas emballé. Le fan ultime de la première heure de Spider-Man craignait une exploitation forcée de ce personnage, alors qu’au final, le long-métrage d’animation est tout ce qu’un film Spider-Man doit être : drôle, touchant, audacieux, spectaculaire.
On est à deux doigts de le clamer haut et fort : New Generation > la trilogie Sam Raimi.
Roma
Suspiria
La Forme de l’eau
Phantom Thread
Burning
First Man
L’Île aux Chiens
Sur le Chemin de la Rédemption
Avengers : Infinity War
Spider-Man : New Generation
Lucille Bion
Le meilleur film de l’année était déjà tout trouvé en février en la pellicule de Call Me by Your Name. Je suis encore étonnée que mon cœur attribue cette prouesse à Luca Guadagnigno – dont je n’avais jusque-là apprécié aucun film en particulier – mais il faut bien reconnaître que le cinéaste italien nous a obsédé. C’est grâce à lui qu’a commencé la Timothée-Mania, la plus grosse épidémie mondiale de 2018 et que Crema est devenue une région touristique (non, on n’exagère pas du tout). Le point culminant de ce chef-d’œuvre pourrait se trouver dans le monologue magnifique du père. Malheureusement, devant ce succès critique et public, les producteurs, le réalisateur et l’auteur du livre ont eu la mauvaise idée de donner une suite à ce film pourtant parfait. Quel dommage : enfin le cinéma donnait à voir une authentique première passion. Celle que l’on n’oublie jamais. La parenthèse secrète de notre existence.
Le deuxième film qui m’a obsédé c’est A Star is Born. Et heureusement pour les oreilles de mes voisins, il est sorti en fin d’année. Avec cette tragédie musicale, Lady Gaga confirme ses talents d’actrice. Grâce à sa performance sans fards, la chanteuse se réinvente dans le cinéma. Lady Gaga n’est plus la showgirl pimpée aux costumes excentriques. Elle opte pour un look naturel et un discours de fille complexée l’éloignant du produit MTV qu’elle était à la fin des années 2000. Si son parcours musical est la matière principale du film, ce n’est qu’une façade parmi d’autres. Pour la première fois, en filmant de l’intérieur l’industrie musicale, l’angoisse, les tracas, Bradley Cooper livre une vision contrastée de la vie d’artiste.
<em>Call Me by Your Name</em> / © Sony Pictures
Conte noir et animal, tiré d’un fait divers de quartier, le dernier film de Marcello Fonte était comme Good Time l’an passé, l’ovni de la compétition officielle de Cannes. La pièce maîtresse intrigante de Dogman, responsable de toute cette tension, s’appelle Marcello Fonte. Avec son physique disgracieux, son manque d’assurance face à l’industrie, ses lacunes du système de vedettariat, l’artiste est monté sur la Croisette pour récupérer un prix d’interprétation masculine qui ne pouvait pas être mieux décerné. Marcello Fonte, c’est le triangle qui ne rentre pas dans le carré mais sur qui toutes les divas devraient prendre exemple.
Et puisque l’on parle de modèle, évoquons le cas de Romain Gavras qui vient de dépoussiérer le cinéma français pour faire découvrir les tréfonds insoupçonnés de la Comédie-Française. Détonnant, Le Monde est à toi regorge de bonnes idées pour donner une vision excentrique de notre société. Les comédiens jouent le jeu à fond : la version pathétique de Sofian Khammes, ultra-bling-bling d’Isabelle Adjani, faussement vulnérable de Karim Leklou et mention spéciale à Vincent Cassel qui parvient encore à se réinventer.
Pour son ironie, The Disaster Artist mérite aussi d’être salué. Malgré les accusations #Metoo qui ont rattrapé James Franco et l’ont désormais écarté de la scène, le réalisateur et comédien a ressuscité un mythe : celui du nanar The Room et par la même occasion l’histoire comico-tragique de son auteur, Tommy Wiseau qui, au prix du paradoxe est devenu une star. En s’attaquant à cette sombre œuvre, James Franco et son équipe habituelle tirent le portrait d’Hollywood avec beaucoup d’humour et de recul. C’était une histoire incroyable de malaisance et il fallait la raconter.
The Tale, plus discret parce qu’il n’est pas sorti en salles mais en VOD, en dit beaucoup sur ce que le cinéma peut apporter au monde. Victime d’abus sexuels et de manipulation lorsqu’elle était enfant, la réalisatrice raconte ici son traumatisme comme Trust avait pu le faire il y a 10 ans. Aujourd’hui, la résonance du propos n’est plus la même. Jennifer Fox aurait mis 10 ans à réaliser un film qui tombe à pic, à l’heure où l’on balance des porcs à coup de hastags. Ne nous voilons pas la face, l’histoire est insoutenable et la mise en scène l’est tout autant : une jeune fille de 8 ans se coupe de sa famille pour vivre un triangle amoureux avec ses professeurs d’équitation.
Rafiki est lui aussi un film important. Pop et féministe, à l’image de sa réalisatrice Wanuri Kahiu, il est le premier film kenyan à être présenté sur la Croisette. Son sujet, un flirt entre deux étudiantes dans un quartier minuscule, lui a d’abord valu d’être interdit d’exploitation dans son propre pays avant de trouver un accord pour être diffusé une semaine seulement et ainsi postuler à la cérémonie des Oscars qui ne l’aura finalement pas retenu. Délicat, lumineux et plein d’espoir, Rafiki est l’œuvre d’une femme qui s’intéresse à l’amour de deux femmes.
Si The Guilty figure dans cette liste c’est parce que Gustav Möller, réalisateur et scénariste nous a rappelé ce qu’était un scénario original et bien foutu à l’heure des remakes, des reboots et des sequels. Dans le même genre,Whitney est un documentaire saisissant avec un travail évident de recherche puisqu’il dévoile des événements dramatiques de la courte vie de la chanteuse, que jusque-là nous ignorions. Black Panther enfin, l’un des films incontournables de l’année, m’a permis de voir les films de super-héros sous un jour bien meilleur pour des raisons évidentes (dont Michael B. Jordan fait partie).
Call Me by Your Name
Dogman
Le Monde est à toi
A Star is Born
The Disaster Artist
The Tale
Rafiki
Whitney
The Guilty
Black Panther
Article écrit par Louis Lepron, Lucille Bion et Arthur Cios.