On est mardi, il est 20 heures, et sur la chaîne Twitch de Pierre-Alexis Bizot, alias Domingo, c’est l’heure de Popcorn. Le talk-show présenté et animé par le populaire streamer rassemble chaque semaine des milliers de viewers. Sur le plateau, PA, Ponce ou encore Marie Palot parlent d’actualité, blaguent, débattent, répondent au tchat dans une ambiance candide et joyeuse.
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Derrière les caméras, une autre équipe s’active pour veiller au bon fonctionnement de l’émission. Parmi ces soldats de l’ombre, on retrouve Théo Kleman, dont on entend parfois la voix lorsqu’il intervient dans Popcorn. Ami de Domingo de longue date, il est aujourd’hui son directeur d’exploitation, son associé juridique et, de ses propres mots, “son bras droit”.
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Du labo au Web en passant par WoW
À seulement 26 ans, Théo Kleman peut déjà se targuer d’être l’une des têtes exécutives de PAB Prod, la société de production de Domingo et accessoirement un des plus gros acteurs du Twitch game français. Un parcours à la base inattendu pour cet Isérois originaire de Saint-Blaise-du-Buis, “un village où Internet a tardé à arriver”, s’amuse-t-il.
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Fils de doctorants normaliens, Théo pensait logiquement suivre la “voie dorée” du bac S, “celle qui ouvre le plus de portes”. Baccalauréat en poche, il commence à visiter des IUT. À l’occasion d’une présentation d’un DUT en mesures physiques, il se rend compte qu’il n’a pas envie d’être laborantin ou technicien de laboratoire.
“Je me souviens de tables très tristes, de locaux grisâtres. Là, je me suis dit que je ne voulais pas du tout faire ça.”
Pourtant, c’est bien à l’UT1 de Grenoble qu’il trouve sa nouvelle voie. Un DUT Médias multimédia et internet (MMI) lui fait découvrir le monde du développement Web et du design graphique. Il est curieux, se lance. Rapidement, Théo comprend qu’il a des facilités dans ce milieu encore jeune. En fait, c’est pire : “Je me fais un peu chier dans ce DUT”, confie-t-il.
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Car, avant de débarquer, il maîtrisait déjà des logiciels comme Photoshop pour créer des petites bannières de signature sur des forums consacrés au MMORPG World of Wacraft. Il a un peu codé sur son temps libre. Gamer actif depuis de nombreuses années, il sait parfaitement à quoi ressemble une communauté sur Internet.
Kleman continuera ses études mais, en parallèle, il commence quelques missions de graphiste en free-lance. Rapidement, les briefs “semi-pros” s’enchaînent et voilà qu’il se met à travailler en tant que graphiste pour le serveur privé WoW Earthquake de Millenium.
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“C’est moi qui lui ai proposé d’être payé en visibilité”
En février 2015, Kleman révise ses partiels les yeux rivés sur Eclypsia, Web TV phénomène créée trois ans plus tôt. Cette année-là, comme de nombreux autres streamers à l’époque, Domingo décide de quitter Eclypsia pour partir en solo sur Internet.
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Sur Twitter, Domingo parle de ses futurs projets et annonce qu’il aurait besoin d’un site Web. Au début, Kleman ne percute pas. Arrive le petit frère, qui lui souffle l’idée de faire un site. Il dit oui sans trop savoir dans quoi il se lance.
Théo propose à PA une offre qui ne se refuse pas : il ne demande pas à être payé. Culot dont Kleman s’amuse aujourd’hui : “J’ai moi-même proposé d’être payé en visibilité [rires].” En échange d’un site Web, il demande donc à ce que son travail soit cité. Ce qui lui permettrait d’entrer en contact avec des gens du “milieu” du Twitch game français, alors en pleine ébullition.
Ainsi naît le premier site de Domingo. Le streamer en est très satisfait. Comme promis, il le recommande à ses confrères. Rapidement, ZeratoR, Gotaga ou encore Bruce Grannec le contactent pour profiter de ses talents de développement Web. La carrière de Kleman est mise sur les rails et le train de la hype ne s’arrêtera plus depuis ce moment.
“Il y a un moment où on ne s’est plus lâchés”
Quelques mois plus tard, il rencontre PA en vrai. “C’était à l’Indiana de Montparnasse, c’est là que l’histoire a vraiment commencé”, s’enthousiasme Théo. DUT en poche, il s’est entre-temps inscrit à l’Hétic (Hautes études des technologies de l’information et de la communication). Là encore, il s’ennuie un peu en cours. Alors il continue de proposer des prestations, que soit à la Fnac ou chez Bouygues.
“J’avais des responsabilités, mais j’étais quand même toujours en bout de chaîne. C’était beaucoup d’exécutif, il y avait peu de dimension créative ou même tout simplement de marge de manœuvre.”
En 2016, il fait la V2 du site de Domingo. Il y introduit un système de “gamification” avec des points à récolter et des grades en fonction des actions réalisées : regarder un stream, commenter, etc. Ce système, qui vient tout droit de ses expériences sur les forums WoW, permet au site d’avoir une rétention d’audience hors norme. Il se souvient :
“Je me testais. Le développement et le design commençaient à me saouler. Alors je me suis improvisé chef de projet. On avait entre 110 000 et 150 000 utilisateurs connectés par mois, j’étais super fier du travail accompli et de l’exposition que ça nous apportait. À côté, mes camarades de l’école voyaient nos stats, ils étaient sur le cul !”
2016, c’est aussi l’année où Domingo commence à se séparer de son jeu vidéo de cœur : League of Legends. Les audiences dégonflent un peu, il se lasse. Kleman, entre autres, lui propose de se repositionner sur quelque chose qui est davantage “multi-gaming”. Il continue ;
“À partir de ce moment-là, on ne s’est plus lâchés. Il m’a offert des perspectives dans le milieu et je l’ai suivi. Moi je venais d’arriver à Paris, dans un 15 m2 tout pourri au rez-de-chaussée. D’ailleurs, cet appart est techniquement passé sur BFM grâce à Kamel [le streamer Kameto ndlr].”
Second diplôme en poche, Kleman continue son aventure avec PA. Il le suit chez NRJ ou encore BeIn. Ainsi, il se forme à la production audiovisuelle. En témoigne ce mémorable Z Event 2018. Pour cette édition du marathon caritatif, Théo doit jouer la course contre-la-montre pour organiser, en moins de 48 heures, une émission délocalisée de NRJ. Il raconte :
“Je devais tout faire : le runner, la captation vidéo, la gestion des guests, c’était un véritable baptême du feu. La veille, PA pensait qu’on allait faire 30 000 viewers, je pensais qu’on ferait bien plus et j’ai eu raison. On a battu le record de la chaîne à plus de 100 000 viewers en direct.”
Une collaboration béton, une amitié en or
Réduire Théo Kleman au rôle de “bras droit de Domingo” ne serait pas rendre hommage à la relation privilégiée qu’il entretient avec le streamer. Après quelques années sur Paris, les deux comparses se mettent même en colocation. “Après une année de coloc’, le salon de 35 m2 n’en faisait plus que 15. PA m’avait dit qu’il adorait faire la vaisselle… ça a duré une semaine”, confie-t-il en riant.
De ses propres mots, Théo est un gros bosseur. En période chargée, les semaines de 90 heures sans week-end peuvent être monnaie courante. PA est coulé dans le même moule : “Il se tue à la tâche, il a une énergie débordante il ne s’arrête jamais, il a toujours des concepts en tête.”
La complémentarité est au cœur de ce duo de choc. Selon Kleman, PA est bien plus “bordélique et instinctif” que lui : “Il a 13 000 mails non lus sur sa boîte, moi c’est l’inverse. Là, récemment, il a eu un calendrier de l’Avent, il l’a éventré en quelques jours.”
“PA est très charismatique. En réunion, il est impressionnant, il arrive à convaincre tout le monde avec ses projets. Mais c’est souvent moi qui m’occupe de l’aspect technique et de l’application de ses idées. Par exemple, il n’a jamais fait de montage, les deux seules fois où il l’a fait c’était catastrophique. Il s’est vite entouré et à raison.”
Leur relation souffre-t-elle de ce boulot acharné ? “On a du mal à trouver des moments pour parler de notre amitié, on passe nos journées à prendre des décisions. On regrette parfois de pas prendre le temps pour autre chose”, admet Théo. Néanmoins, les deux amis partent en vacances ensemble durant les périodes creuses. Théo Kleman n’hésite pas se considérer avec PA comme un “vieux couple”, avec ses qualités et ses défauts, mais il n’a “jamais songé à partir”, assure-t-il.
Quant à la dénomination “d’homme de l’ombre”, celle-ci lui sied très bien. “Je suis angoissé d’être en live […]. Je n’ai rien à partager en permanence comme PA.” Ce solitaire est aussi angoissé du téléphone et des réseaux sociaux, qui sont pour lui synonymes de travail. Il se satisfait de quelques apparitions au Z Event ou en voix off sur Popcorn, “à très petite dose parce que ce que je préfère, c’est regarder les gens regarder les autres”.
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