Pourquoi les émojis de nos parents nous font souffrir en silence

Publié le par Pierre Schneidermann,

© Pablo Benitez Lope / EyeEm / Getty / Montage Konbini Techno

Ils les emploient souvent mal et tout le drame, c'est qu'ils ne s'en rendent pas compte.

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Si vous tombez malencontreusement sur cet article, il y a 80 % de chances que vous soyez arrivés via Facebook, et donc à peu près la même probabilité que vous ayez allègrement gambadé sur votre fil d’actualité juste avant.

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Peut-être sur ce fil avez-vous croisé des personnes plus âgées qui ponctuent leurs statuts ou leurs messages d’émojis très mal utilisés, agglutinés en fin de phrase. Peut-être ces émojis maltraités vous ont-ils piqué les yeux, sans même que vous en ayez conscience.

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Peut-être, enfin, regrettez-vous déjà cette médisance et vous blâmerez-vous pour cette intolérance. Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas seul. Que ce soit sur Facebook ou ailleurs – sur Messenger, WhatsApp ou par textos – les émojis défigurés sont une souffrance visuelle et il nous semblait important d’essayer de comprendre pourquoi.

Les codes de la “génération émoji”

Ce n’est plus à démontrer de notre côté (au vu du nombre d’articles que nous leur avons consacrés) et d’ailleurs de nombreux linguistes le reconnaissent : les émojis, à eux seuls, constituent un langage. Et qui dit langage dit grammaire et son armada de codes de bienséance.

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Nous, “la génération émoji” (soyons fous), avons complètement assimilé quelques codes propres à ce langage pour ne pas passer pour des boloss : la rareté (il est globalement interdit d’accoler plus de trois/quatre émojis), le sous-entendu (le sens de l’émoji n’est pas forcément évident évident, il peut y avoir une petite subtilité sympathique à décrypter) et la hype (certains émojis ont le vent en poupe, d’autres tombent en désuétude, c’est cruel mais c’est ainsi).

Or, quand nos anciens utilisent les émojis, souvent en fin de phrase, on assiste à ça : un mélange savant de boulimie, d’obvious et de désuétude. Tout ce qu’il ne faudrait pas faire selon nous. Et ce qui est un peu désespérant, c’est qu’on sait qu’ils ne changeront jamais, la vie les a fait naître trop tôt, on n’a jamais vu un seul parent maîtriser les codes de l’émoji, il nous faudra composer avec cet éternel retour.

Un langage nouveau

Il y a un autre problème : parce que les émojis sont un langage nouveau, et non une évolution du langage, nos anciens n’ont justement pas vraiment compris que les émojis étaient… un langage. Un émoji, pour eux, est un petit truc jaune mignon avec qui on peut faire n’importe quoi, balek. Pour nous, c’est au contraire un pictogramme précieux, choisi avec attention pour venir épouser un petit texte.

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Si bien que la relation est complètement biaisée : alors que nous sommes accablés par leurs dégâts, les anciens n’ont pas conscience une seconde qu’ils en font et pire, ils ne sauront jamais apprécier en retour notre maîtrise du langage émoji, ne se doutant même pas que la notion de maîtrise puisse exister dans ce domaine. Peut-on trouver meilleur exemple d’asymétrie ?

Elle était plus simple et plus drôle, cette époque où les malaises provenaient du fait qu’un ancien essayait d’utiliser un mot djeuns (et plouf, ça tombait à l’eau) ou tentait une blague de djeuns (et replouf, ça retombait à l’eau). Au moins, ces malaises officiellement langagiers, on pouvait les verbaliser, se moquer avec plus ou moins de respect et entretenir gentiment le conflit générationnel.

Avec ses émojis, l’ancien n’a même pas essayé de paraître jeune, non, il s’est juste abandonné à une pulsion picturale sans notion d’esthétique ni de bon goût. Pour la génération émoji, c’est un malaise lourd et silencieux, où l’on regretterait presque qu’il ne faille pas passer un petit diplôme avant d’avoir le droit de les employer.

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Vous êtes plutôt d’accord avec cette analyse ? Plutôt pas d’accord (vous avez le droit) ? Écrivez-nous à hellokonbinitechno@konbini.com