“Alicia, mon étoile dans le noir.” Ce n’est ni l’énoncé poêtik d’une bio Skyblog – quoique ? –, ni le titre d’un roman à l’eau de rose, mais… le nom d’une étoile. Plus précisément, il s’agit d’un astre que la star de téléréalité Jonathan Matijas aurait acheté et baptisé pour les 34 ans de sa compagne Shanna Kress. Romantique ou dans l’excès – on ne juge pas –, on a une mauvaise nouvelle pour les tourtereaux : ils ont été victimes d’une belle arnaque.
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Les offres proposant de baptiser un corps céleste et d’acquérir une portion ou l’intégralité d’une planète sont légion sur Internet. On a fait un petit tour d’horizon de ces services aussi sidérants qu’intersidéraux, histoire de connaître le fin mot de l’histoire : peut-on vraiment, oui ou non, devenir propriétaire d’un bout de planète ?
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Acheter un bout ou l’intégralité d’une planète : une promesse lunaire
Sur son site Web, le Lunar Registry propose de faire l’acquisition d’une farandole de propriétés sur la Lune, aux noms tous plus fantaisistes les uns que les autres – Baie des arcs-en-ciel, Lac des rêves, Mer de la tranquillité… Pour un prix allant de 18 à 130 dollars, les heureux·ses acquéreur·se·s reçoivent un acte de propriété gravé et un descriptif accompagné d’une photographie satellite de leur “bien”.
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Ancien étudiant en droit et gérant d’une entreprise familiale d’emballage, David Jackson dirige aujourd’hui l’organisation Luna Society International, dont dépend le Lunar Registry. “Nous recevons au moins un mail par jour nous disant que nous n’avons aucune autorité légale pour faire ça, nous raconte-t-il. Mais nous ne prétendons pas posséder la Lune, nous enregistrons juste les demandes de propriétés sur certaines zones de la Lune.” Une nuance qui joue sur les mots, profitant de la crédulité de centaines de milliers de clients depuis 1999.
Ainsi, malgré les plaintes, David nous confie trouver entre 25 et 50 nouveaux·elles acquéreur·se·s par jour, avec des pics atteignant 150 commandes en une journée. Un commerce lucratif s’étendant aux quatre coins du monde. “La grande majorité de nos client·e·s viennent des États-Unis, d’Inde, d’Australie… Mais on reçoit aussi des commandes du Pakistan, du Ghana, de Hong Kong… même du Népal”, se souvient-il.
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Le pseudo “flou juridique” n’existe pas
D’autres organisations justifient leur activité en interprétant à leur façon le droit international de l’espace. “Il y a un vide juridique qui permet de faire l’acquisition de propriétés extraterrestres”, avance le site Buy Planets. Ce dernier propose d’acheter des terres sur la Lune, mais aussi sur Mars ou Vénus.
Plus récemment, le rappeur Lil Uzi Vert aurait carrément acquis une exoplanète entière. Sur Twitter, la musicienne Grimes annonçait en effet être en train de finaliser les procédures administratives pour lui vendre WASP-127b :
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“Il n’y a pas de flou ou de vide juridique sur l’appropriation des planètes, affirme Raphaël Costa, spécialiste en droit de l’espace et membre de l’Institut droit, espaces et technologies. C’est impossible d’acheter une planète, parce que les planètes ne peuvent appartenir à personne. Ils vendent un papier qui n’a aucune reconnaissance… C’est un truc de comm’ sans aucune réalité juridique derrière.”
Le Outer Space Treaty de 1967, un règlement intersidéral
Du point de vue juridique, le traité de l’espace, signé et ratifié par plus d’une centaine de pays en 1967, souligne très clairement l’impossibilité de posséder un quelconque corps céleste :
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“L’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, doivent être effectuées au profit et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit leur degré de développement économique ou scientifique, et doivent être la propriété de l’humanité tout entière.”
Tous les états peuvent utiliser l’espace librement et, par conséquent, aucun ne peut se l’approprier. C’est ce que précise le deuxième article du même traité : “L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’une appropriation nationale par revendication de souveraineté, par voie d’utilisation ou d’occupation, ou par tout autre moyen.”
Si ce traité n’est pas respecté, la personne incriminée peut alors être poursuivie par son état de nationalité. Seulement, étant donné que les papiers mis en vente ne possèdent aucune valeur juridique, la plupart des pays ne daignent pas s’y intéresser. “Mais même si ce n’est pas une arnaque juridique, ça reste une arnaque morale, car les gens pensent vraiment avoir acheté un morceau de planète”, souligne Raphaël Costa.
Inutile de demander à la Lune, on ne peut pas acheter le nom d’une étoile
Du côté du baptême des corps célestes, Roland Lehoucq est le mieux placé pour nous répondre. Il a plusieurs cordes à son arc : la première, c’est d’être un astrophysicien renommé œuvrant au Commissariat à l’énergie atomique ; la deuxième, c’est de faire partie des dernières personnes sur Terre parvenant à vivre sans téléphone portable ; et surtout, l’astéroïde 31387 est baptisé en son nom à titre honorifique. Oui, oui, pour de vrai.
Selon M. Lehoucq, on ne peut nommer n’importe quel objet céleste avec n’importe quel mot, encore moins contre de l’argent : “Il y a une procédure, mais elle n’est pas payante, affirme-t-il. Les noms sont décernés en l’honneur de, ou à la demande de quelqu’un. Mais ils ne sont pas vendus. Jamais.” Déso, Jonathan et Shanna.
“Dans l’espace, aucun nom ne peut être donné sans l’aval de l’Union astronomique internationale”, continue-t-il. Cet organisme international regroupe plus de 10 000 astronomes basés dans une centaine de pays. Sur son site Web, on apprend que les étoiles sont désignées uniquement par une série de lettres et chiffres. Seul·e·s d’autres corps célestes peuvent proposer une nomination à titre honorifique, selon une nomenclature bien précise et moyennant une argumentation solide. Cette dernière est alors examinée en commission et validée… ou non.
Verdict : personne ne peut prétendre nommer ou posséder un bout de planète, encore moins un corps céleste entier. Mais si l’on y tient vraiment, plutôt que payer pour un titre de propriété en carton – ou en papier –, on peut toujours imprimer son propre certificat et l’encadrer dans son salon. Ça reviendra exactement au même, à bien moindre coût.
Vous vous êtes déjà fait avoir par une arnaque interstellaire ? Confiez-vous à : hellokonbinitechno@konbini.com.