Si vous êtes un utilisateur régulier de TikTok, il y a de fortes chances pour que votre algorithme ait deviné vos goûts, avoués ou non, et qu’il alimente votre “FYP” de ce que vous voulez (profondément) voir : des recettes italiennes, des routines skin care, des extraits de The Office avec des parties de Subway Surfers, etc. C’est comme ça, et si c’était autrement, ce serait moins bien. Mais au beau milieu de tout ça, de temps en temps, il y a des vidéos qui surgissent, étonnantes, surréalistes, horrifiques : bref, du contenu alternatif, dans lequel on trouve les vidéos #corecore.
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C’est quoi quoi, le #corecore ?
Comme le #cottagecore pour la vie à la campagne, le #cluttercore pour l’accumulation d’objets ou le #mumblecore pour l’art de la conversation, le #corecore est une niche où l’on étanche sa soif d’un certain type de contenu. Sauf que le #corecore, comme son nom l’indique, est une niche pour… les niches. Une promesse dangereusement méta, donc, puisque c’est TikTok qui se nourrit de lui-même, en compilant des vidéos censées nous motiver à nous surpasser financièrement, sportivement, émotionnellement, ou à nous divertir.
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Mais toutes ces vidéos, mises bout à bout sur fond de musique chafouine, ou entrecoupées de vidéos au discours contraires, nous poussent tout à coup à prendre du recul sur le contenu qu’on ingurgite tous les jours et sur nos vies. La conclusion est toujours la même : tout cela est en réalité terriblement angoissant. Nous nous sommes retrouvés coincés entre des algorithmes surpuissants, nos volontés atrophiées, nos solitudes, nos rêves de mieux et nos cauchemars du pire. À l’image, très populaire dans le #corecore, d’un Ryan Gosling hurlant de désespoir.
@tarynis #ryangosling #bladerunner2049 #drive #onlygodcanforgive #lalaland #theplacebeyondthepines #edit #fyp ♬ оригинальный звук - tarynisfilms
Une impasse en bonne et due forme
Le #corecore, c’est une synthèse poétique de tous nos désirs, qui sont les désirs d’une société capitaliste, une synthèse qui nous dit de fuir, quitter nos boulots, nos cadres, nos servitudes, nos vies pour se mettre en quête d’une vérité supérieure. Ce qui est parfaitement paradoxal dans cette histoire, c’est que le #corecore ne se consomme qu’au plus haut point de l’aliénation : par exemple, cet article, je suis en train de l’écrire, je le jure, après 20 minutes sur TikTok, sur un vélo d’appartement, en sueur, à la recherche des dernières gouttes de dopamine que peut encore sécréter mon cerveau. Je suis actuellement l’incarnation magistrale d’une société qui se tue à être la plus productive possible pour éviter de trop penser.
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En pédalant comme un dératé et entre deux vidéos de Chinois qui me font visiter leur appartement hyper-technologique, je laisse TikTok me hurler qu’il faut que je m’échappe, à la fois de l’application tyrannique et du monde capitaliste qu’elle représente si bien. Il faut que j’arrête la machine. Mais je continue. Et c’est justement ça qui rend le #corecore fascinant : je vois sur TikTok des vidéos TikTok qui me disent d’arrêter TikTok, et le mode de vie capitaliste en jouissant du mode de vie capitaliste. Une impasse en bonne et due forme. C’est comme lire Le Capital de Karl Marx sur le dernier iPhone.
@nathanielbinglequad Replying to @the_holy_box happy new year #corecore #nichetok #capitalism #ratrace #real ♬ Dungeoneering - Tim Hecker
Un virus qui vous veut du bien
Bref, le #corecore, c’est comme un virus : on va sur TikTok, on se fait agréablement siphonner par l’algorithme, et on finit mazouté, dans l’hyperstimulation la plus totale, éclaté sur son lit, à ne plus savoir comment on s’appelle. Mais au milieu du brouillard, il y a Morpheus qui essaie, sans jamais décourager, de nous exfiltrer de la matrice. Et à en croire la popularité de la trend, c’est un virus qui touche de plus en plus d’utilisateurs.
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Parfois, c’est beau, un virus qui se répand : ça permet de garder un peu de contrôle sur ce qui, à bien des égards, change trop vite. Il y a quelque temps, Abdallah, journaliste sport chez Konbini, me disait qu’il se servait de TikTok comme d’un moteur de recherche. Parce que c’est plus simple, c’est visuel, c’est synthétique. Toutes les données brutes sont digérées par l’algorithme, chaque sujet a son spécialiste.
Et on peut se demander : “Au fond, pourquoi ne pas tout déléguer aux algorithmes ? Son divertissement, ses connaissances, ses idéologies ?” Mais c’est à ce moment-là que le #corecore surgit, corrompt notre “FYP”, nous renvoie au réel, à la pièce où l’on se trouve, aux gens avec lesquels on vit, au monde qui nous porte, au silence.
Le #corecore, c’est comme Batman : pas le héros qu’on mérite, mais celui dont on a besoin.
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