À partir de 1996, les immeubles du territoire français connaissent une révolution technologique. Jusque-là, les facteurs utilisaient des bonnes vieilles clefs passe-partout pour distribuer le courrier. Problème : ce n’était pas la méthode la plus sûre du monde. Tombés entre de mauvaises mains, ces sésames permettaient à n’importe qui d’aller n’importe où.
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Débarque alors une solution électronique destinée à combler les péchés de la mécanique. La Poste, avec d’autres entreprises et organismes, imagine une solution unique au monde, le Vigik, géré aujourd’hui par l’association du même nom. Un badge électronique permettant aux facteurs d’accomplir sans accroc la distribution du courrier, sans clef passe-partout !
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Aujourd’hui, le système équipe 350 000 résidences dans le territoire et 170 000 badges sont en circulation.
Une technologie sûre
Contrairement aux clefs d’antan, le Vigik est incontestablement une technologie sûre. D’une part, les badges sont soumis à des limitations géographiques et horaires (la plupart, par exemple, ne fonctionnent pas en soirée et le dimanche).
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Mais, surtout, un Vigik doit être rechargé au maximum toutes les 84 heures avec un chargeur spécial que seul l’employeur possède. Concernant les facteurs, il faut même souvent recharger tous les jours. Passé ces délais de sécurité, les Vigik ne sont plus valables. De quoi dissuader les âmes mal intentionnées.
Créé, en premier lieu, pour la distribution du courrier, le badge Vigik s’est élargi, entre autres, aux services d’urgences, aux fournisseurs d’énergie, aux distributeurs de journaux et, ce dont on se doutait moins, aux distributeurs de publicités.
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Il ne faut pas confondre le système Vigik – réservé aux professionnels — avec les badges porte-clefs qu’utilisent les particuliers pour rentrer chez eux et/ou d’accéder à certaines parties d’une copropriété.
Même s’il est écrit “Vigik” sur un interphone, le badge des particuliers est un système bien distinct, qui cohabite sur la même centrale. Les droits d’accès ne sont pas gérés par Vigik mais individuellement, par les gestionnaires d’immeubles, qu’il s’agisse des syndics ou des bailleurs sociaux.
La distinction entre le badge des particuliers et le Vigik est expliquée dans notre vidéo ci-dessous. On y découvre aussi comment on peut cracker un badge perso :
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Publicité adressée VS publicité non adressée
Il y a deux types de publicités qui arrivent dans les boîtes aux lettres. Il y a les publicités “adressées”, avec un nom et une adresse, et qui sont parfois personnalisées. Et il y a les publicités “non adressées”, distribuées au tout-venant, ce que tout le monde appelle des flyers ou des prospectus, un format de publicité très prisée par la grande distribution. Contrairement à la distribution de courriers, ces dernières ne sont jamais sollicitées et finissent souvent à la poubelle.
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Outre la gêne éventuelle, il y a aussi l’impact écologique. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), 775 300 tonnes de courriers non adressés ont été distribuées en France en 2015. Selon Que Choisir, en 14 ans, la masse de papier reçue par les ménages chaque année aurait augmenté de 15 %.
Il convient de relativiser ces chiffres dans notre enquête : une partie de ces tonnes de gaspillage arrive dans les boîtes aux lettres de résidences pavillonnaires qui ne possèdent pas de système Vigik, et sont donc étrangères à l’histoire.
Deux leaders : Adrexo et Mediapost
En France, deux acteurs majeurs se partagent la distribution de la publicité sur papier : l’entreprise Adrexo, détenue par HOPPS Group (connaissant par ailleurs des “turbulences” financières) et Mediapost, filiale privée du groupe… La Poste. Chez Mediapost, la distribution des imprimés publicitaires représente 90 % du chiffre d’affaires.
Interrogé par Konbini Techno, le service de communication d’Adrexo nous indique que ce quasi-duopole se partage 92 % du marché. 20 000 personnes travaillent chez Adrexo et 12 000 chez Mediapost.
Pour distribuer leurs publicités, Adrexo et Mediapost disposent donc d’un outil indispensable : le badge Vigik. Au 25 septembre, Adrexo disposait d’un arsenal de 11 923 badges (Mediapost n’a pas souhaité communiquer sur ce chiffre).
Encore une fois, rappelons-le, même si des dizaines de milliers de badges Vigik sont en circulation, la technologie est sûre : ils n’ouvrent pas toutes les résidences de France et ne se monnayent pas sur un quelconque marché noir.
L’autorisation décisive de l’ARCEP
Il y a donc eu le big bang Vigik en 1996, lorsque les clefs passe-partout ont été progressivement abandonnées. À ce moment-là, La Poste, seule propriétaire de badges, devient le seul opérateur pouvant, techniquement, distribuer des publicités non adressées.
La concurrence privée devra attendre dix ans avant d’accéder au système Vigik. Le 13 juin 2006, Adrexo devient officiellement le premier opérateur postal autorisé. La licence a été octroyée par l’Autorité de la régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Depuis, la liste des opérateurs autorisés par l’Arcep s’est considérablement étoffée.
Les “services postaux autorisés”
L’Arcep ne distribue pas ses licences au tout-venant. Le Graal n’est accordé qu’aux “services postaux autorisés“. C’est ce que nous explique le Guide relatif au système de contrôle d’accès Vigik, mis en ligne par l’Arcep.
Ces services postaux autorisés sont des acteurs nationaux qui envoient courriers et correspondances adressés – lettres, catalogues, journaux ou périodiques – à l’instar d’Adrexo et Mediapost, qui profitent de cette autorisation pour distribuer des flyers avec des Vigik.
À côté de ces grosses machines, des petits acteurs, œuvrant à l’échelle d’un département, ont aussi réclamé leur part du gâteau. Pour eux, on a bricolé une autre solution.
L’ADBAL
Puisqu’ils ne peuvent appartenir au club select des opérateurs postaux autorisés, on a créé pour les laissés pour compte du Vigik une autre entité, l’Association de distribution en boîte aux lettres (ADBAL). Créée en 2010 et forte de plus d’une centaine de membres, l’ADBAL comprend des distributeurs de publicité (adressée et non adressée) mineurs. On y trouve aussi des distributeurs de courriers et colis.
Combien de badges Vigik y circulent ? On ne saura pas. “Cette information permet de déduire la structure de distribution d’une entreprise. Elle a un aspect concurrentiel pour chacun des membres et est donc confidentielle. L’ADBAL a mis en œuvre un contrôle permettant de s’assurer que le nombre de badges utilisé par une entreprise est en ligne avec les besoins de son exploitation“, nous répond l’association Vigik, avec qui l’ADBAL traite directement.
Une charte éthique
Comme on peut le lire sur leur site Web, les membres de l’ADBAL s’engagent à respecter certaines bonnes pratiques : ils signent une charte d’utilisation “comprenant notamment des obligations d’identification, le respect des étiquettes ‘Stop pub’, le respect de la sécurité et la propreté dans les immeubles“.
Cette distinction importe à l’ADBAL. Il est vrai que certains distributeurs de flyers à la sauvette profitent de l’ouverture de la porte par un résident ou par le facteur pour se faufiler et s’acquitter de leur mission hors des clous.
À l’issue du premier Plan national de prévention des déchets qui s’est tenu en 2004, le ministère de l’Environnement a créé une arme redoutable pour empêcher la distribution de courrier non adressé : le sticker “Stop pub”.
Tous les distributeurs de publicité non adressée sont obligés de le respecter. Selon le ministère, entre 2004 et 2008, près de 9 millions d’autocollants ont été émis. Bonne nouvelle : selon l’enquête de terrain menée par Que choisir, le sticker permettrait de diminuer de 93 % le nombre de publicités reçues.
Si vous voulez distribuer une fournée de stickers à votre copro, le Ministère a mis à votre disposition ce fichier PDF à imprimer soi-même.
L’ADBAL et ses membres prennent également deux engagements vis-à-vis des copropriétés dans lesquelles ils distribuent courriers et publicités : prévenir, par courrier, tous les gestionnaires d’immeubles d’un département lorsqu’ils arrivent sur le marché (chaque membre de l’ADBAL obtient son autorisation de distribution département par département) et leur signifier la possibilité de s’opposer à ce que leurs badges Vigik soient activés dans leurs copropriétés.
La tâche paraît herculéenne : comment prévenir, par courrier, tous les gestionnaires d’immeubles d’un département ? L’ABDAL explique à Konbini Techno disposer d’une base de données récente de tous les syndics et gestionnaires d’immeubles des départements.
Mais comme il est rigoureusement impossible de vérifier que les nouveaux adhérents préviennent par courrier des centaines de copropriétés dans un département, l’ADBAL se contente de regarder… la facture globale des timbres censée justifier les envois.
Les membres de l’ADBAL s’engagent également à désinscrire toute copropriété qui souhaiterait bannir à jamais la publicité de ses boîtes aux lettres. Pour cela, la décision doit être votée en assemblée de copropriété et un courrier recommandé signalant ce refus doit ensuite être envoyé à l’ADBAL et à l’association Vigik. À ce jour, 2 500 immeubles en France ont voté et signifié ce refus, nous indique l’association Vigik.
Quid des refus des copros pour Adrexo et Mediapost ?
Les immeubles peuvent-ils aussi s’opposer à la distribution de publicité réalisée par les prestataires de services postaux autorisés géants comme Adrexo ou Mediapost intronisés par l’ARCEP ?
Puisque la procédure n’est pas guère explicitée sur Internet, nous demandons à Adrexo : “Concernant les immeubles, Adrexo applique les consignes de distribution des prospectus indiquées par le syndic de l’immeuble, dès lors qu’elles sont signifiées par un courrier formel au responsable opérationnel du centre [un responsable de périmètre de distribution, ndlr].”
Sont-ils nombreux à avoir effectué la démarche ? Adrexo : “Moins d’une cinquantaine de copropriétés au niveau national ont totalement interdit la distribution de publicités. En revanche, chaque administré souhaitant ne plus recevoir d’information publicitaire a la possibilité d’apposer un ‘Stop pub’ sur sa boîte aux lettres.“
La réponse du ministère de la Transition écologique et solidaire
Étant donné le nombre de tonnes d’imprimés publicitaires distribués dans toute la France et le gaspillage qui en découle, nous nous sommes tournés vers le ministère de la Transition écologique et solidaire. Cautionne-t-il l’existence de la publicité non adressée (souvent non sollicitée) ainsi que la facilitation de sa diffusion permise par Vigik ?
Joint par Konbini Techno, le service de presse, pour l’heure, ne se mouillera guère : “Cette question de la publicité non adressée devrait être abordée lors des débats parlementaires du projet de loi antigaspillage pour une économie circulaire. Nous pourrons revenir vers vous sur ce sujet dès lors que nous aurons des informations plus précises à vous transmettre“.
En attendant, il faudra compter sur le sursaut écologique des marques – greenwashing ou non, chacun jugera. Premier de cordée : Monoprix qui, en février dernier, déclarait la fin de ses catalogues papier publicitaires.