La grande majorité de nos émojis ne posent pas de problèmes existentiels d’interprétation. Tout le monde comprend et sait employer les plus basiques : le visage qui sourit ?, celui qui pleure ?, celui qui panique ?, celui qui fait des bisous ?.
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Beaucoup de gens savent aussi manier – plus ou moins bien selon leur degré de boomitude – les émojis pétris de sous-entendus : l’aubergine ? et la pêche ? pour le sexe, le petit singe ? qui se cache, quand on a honte ou encore l’émoji flamme ? quand, entre autres, on vient d’apprendre un truc styley.
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Reste une catégorie très particulière d’émojis : ceux que l’on emploie en croyant que l’autre va comprendre, alors qu’en fait non, cet autre ne comprendra pas. Cette catégorie bâtarde est née après un constat personnel récent : celui de ne jamais avoir été certain de bien manier l’émoji yeux ? – qui est, pour le moment, le seul émoji à peupler cette catégorie bizarre.
Cet émoji yeux, d’apparence anodine, il défile pourtant partout : sur Twitter avec les inconnus, sur Slack avec les collègues, avec les potes dans WhatsApp ou même par texto avec les parents. En sondant rapidement deux trois personnes, j’ai aussitôt compris qu’on levait un lièvre : leurs témoignages discordants m’ont confirmé que deux interlocuteurs qui utilisent l’émoji yeux ne l’utilisent pas pour les mêmes raisons.
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La première chose à faire quand on se pose une question sur un émoji, c’est d’aller consulter son état civil sur Emojipedia. On y apprendra sa date de naissance, sa déclinaison et son évolution sur les différentes plateformes et dans une moindre mesure, sa signification.
Là, franchement, Emojipedia n’a pas fait dans l’exhaustivité : “Il peut représenter des yeux vicelards [sic] après avoir vu une photo attrayante sur Internet. Ou bien un regard sournois, pour exprimer la tromperie.” Détour qui n’aura fait que brouiller les pistes : ni mes interlocuteurs ni moi n’avions jamais utilisé cet émoji dans ces deux cas de figure.
Il a donc fallu passer à l’étape 2, plus fastidieuse : demander autour de soi. Après avoir récolté quelques témoignages, deux catégories de personnes sont apparues, nous les appellerons arbitrairement le groupe A et le groupe B.
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Le groupe A est composé de personnes qui ont toutes une interprétation différente de l’émoji yeux (groupe dont je fais partie). Morceaux choisis :
“Je l’utilise pour draguer un peu ou alors, quand il y a quelqu’un qui tease un truc (un projet, une ouverture de resto) et au lieu d’attendre, je mets ça, en mode : ‘Ahhhhhhhhh, je vais être attentif à ce que tu vas nous dévoiler’.”
“Quand on me laisse sur un vu, pour signifier : ‘Toc, toc, chui là’.”
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“Je l’utilise pour dire : ‘Hmm, étrange’, ‘Coïncidence ?’, ‘Je te vois’ ou encore : ‘Et toi, qu’en penses-tu ?’
“Vu/Je te vois/Le sujet m’intéresse/Regardez ça.”
“Quand je dis que je (sur)veille un truc, que je suis une discussion ou alors, quand je veux montrer à quelqu’un que je l’ai vu faire un truc honteux.”
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“Pour moi, ça veut dire : ‘Je t’ai à l’œil’ ou ‘Viens voir’.”
Quant au groupe B, ses membres semblent détenir une définition très précise et concordante de l’émoji yeux :
“Dans ma communauté de gaaaaamer, c’est souvent pour souligner des propos qui vont amener du drama.”
“‘Oh, oh’ ou ‘Ah ouais, c’est chaud ce que tu me racontes, mais vas-y continue, j’ai les yeux et les oreilles grands ouverts’. En tout cas, c’est lié au DRAMA.”
“Pour moi, ça veut dire : ‘Oh, oh, je sors le pop-corn pour assister au drama qui va suivre’ ou ‘On vous voit, les gens dont parle la phrase qui précède’.”
“Un genre de : ‘Je te vois, je juge – ce que tu viens de me raconter – en silence’ ou juste ”Watch me” quand tu te prends pour une queen du drama. Lié au drama, c’est sûr.”
Comme on peut le voir, ce groupe B n’a qu’un seul mot à la bouche : le drama. Comment ses membres se sont-ils accordés sur cette signification bien particulière ? Mystère. Ces personnes-là, de ce que j’en sais, ne traînent pas beaucoup plus que d’autres sur les réseaux sociaux. Elles n’organisent pas de dîners entre elles. N’ont pas de groupe Facebook. Elles ne sont probablement pas plus fans de drama que d’autres. Quoi qu’il en soit, le résultat est là et sa conséquence sans appel : l’émoji yeux génère des malentendus regrettables dans presque tous les sens.
Les gens à l’intérieur du groupe A ne se comprennent pas entre eux. Quand le groupe A communique avec le groupe B, ça ne marche pas non plus. C’est peut-être même pire : le groupe B s’attend à ce que le A comprenne le sous-entendu drama, alors qu’il n’en est rien.
Au final, seuls les gens du groupe B se comprennent pleinement et jouissent de cette complicité intense que peut procurer un émoji placé à bon escient, mais eux aussi ont leur angle mort : ils ne savent pas qu’ils ont la chance d’être tombés sur un autre B.
Au départ, l’idée n’était pas forcément de prendre parti et puis il faut bien se rendre à l’évidence. Étant pacifiste, je milite pour qu’à l’avenir, tout ce beau monde évite les malentendus. Donc ne chipotons pas et rallions-nous à la définition la plus partagée (mais pas majoritaire), celle du groupe B.
Pour que tout le monde comprenne bien, voici deux situations dans lesquelles on peut utiliser l’émoji yeux.
Avec deux personnes
Bob : Je mettrais bien de la coriandre dans ma quiche ce soir.
Alice : Mais tu sais bien que parmi nos invités, certains n’aiment pas la coriandre.
Bob : Ahaha, on verra bien leur réaction ?.
Avec trois personnes
Bob : Le beurre salé, c’est pas bon !
Un Breton : Je vais te monter en l’air.
Une troisième personne : ?.
(Note herméneutique : on voit que l’usage de l’émoji yeux est beaucoup plus fort à plus de deux et qu’il fonctionne aussi très bien tout seul, sans mot ni devant ni derrière)
Cet article s’adresse donc aux deux groupes.
Cher groupe A : oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur l’émoji yeux. Ralliez-vous à la seule signification, un tant soit peu consensuelle, que cette enquête aura révélée : celle du drama.
Cher groupe B : vous pensiez que tout le monde appartenait au groupe B, il n’en est rien. Souvenez-vous qu’il y a de fortes chances pour que vous parliez avec un membre du groupe A. Si vous introduisez un émoji yeux dans un échange, prenez des pincettes. Si vous êtes d’humeur prédicatrice, essayez d’éduquer votre interlocuteur, mais avec douceur. Car en aucun cas les émojis ne sauraient être des prétextes à la violence.
Le monde des émojis vous fascine autant que nous et vous avez des choses à nous en dire ? Écrivez-nous à hellokonbinitechno@konbini.com