Pourquoi ? Cette question a longuement résonné dans ma tête lorsque j’ai pris la décision de me mettre à League of Legends. Le MOBA qui rassemble des dizaines de millions de joueurs et joueuses à travers le monde est aussi connu pour être celui qui fait le plus rager.
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Pourtant, à l’aube du premier confinement, en mars dernier, je décide de rejoindre mes amis dans cette grande aventure. Le gouffre chronophage et frustrant qu’est League of Legends s’est alors ouvert sous mes pieds.
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Rage against the smurfing
Me voilà donc à nouveau dans la Faille de l’invocateur. Je décide d’aller sur la toplane avec le champion Malphite, un personnage assez noob friendly.
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Le premier problème qu’on rencontre en (re)commençant LoL, c’est que même en connaissant très bien son champion, on n’a fait qu’une infime partie du travail. Car avec plus de 140 personnages jouables, il est très difficile de s’adapter sans cesse. Plus que son propre champion, c’est le “match-up” qui compte, c’est-à-dire son vis-à-vis dans l’équipe adverse.
Darius, Illaoi, Garen et autre Vayne Top, tels sont les champions dont les noms résonnent encore dans mes plus sombres cauchemars. “Broken champ, perso d’idiot, complètement abusé”, je ne m’en rends pas encore compte, mais la rage s’immisce lentement en moi, tel un Anakin Skywalker qui ne peut plus faire de roulades dans l’herbe avec Padmé.
“Mais comment il peut faire ça ?”
Phrase
prononcéehurlée durant mes 30 premiers games.
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Commencer LoL est décourageant au possible. Le principal problème ? Le smurfing. Ce terme désigne une pratique exercée par des joueurs expérimentés qui recréent des comptes juste pour le plaisir d’écraser des noobs sur leur passage – sans la moindre pitié. Vous essayez de comprendre les mécaniques de votre propre champion ? Peu importe, votre adversaire fracasse violemment votre crâne néophyte contre le trottoir de votre ego.
“Joue safe. T’inquiète, on gère. Ne t’en fais pas, c’est normal au début.” Mes partenaires de jeu ont beau être d’une bienveillance et d’une pédagogie exemplaires, les premières aigreurs à l’estomac apparaissent. Je me couche la rage au ventre et fulmine en repensant à tous ces moves ratés, ces games perdus.
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Don’t you know that you’re toxic ?
League of Legends est connu pour être un jeu vidéo toxique, si ce n’est le jeu de la toxicité. Quand vous perdez, vos mates sont intransigeants, quand vous gagnez, vous recevez les foudres de vos adversaires. Insulte aux mères, proposition d’aller se faire “voir” ou encore de se suicider, la cruauté dans LoL n’a pas de limites.
Le plus étonnant, c’est de voir mes amis partenaires de jeu embrasser à nouveau leurs vieux démons. Entendre des amis proches, d’habitude si calmes, se comporter comme les pires des Sardoche.
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“J’ai connu mes meilleurs et mes pires moments vidéoludiques sur ce jeu […], mais j’ai fait une overdose à cause de l’ambiance toxique du jeu et de mon propre comportement, parfois violent, ‘à cause’ de mes coéquipiers – j’ai dû investir plusieurs fois dans des claviers et souris.”
Benjamin, joueur depuis dix ans, rank Gold.
LoL change une personne. Outre le flaming (insulte gratuite), son système de jeu est si complexe qu’on peut ressentir une grande injustice : “Quel connard, il s’acharne !” ou encore “Qu’est-ce qu’il fout là, lui ?”
Bien vite, l’intoxiqué devient lui-même toxique. Je balance mes premières souris et frappe sur mon clavier comme un enragé. Je me surprends à cracher allègrement au visage de mes adversaires dans le chat général. Je suis même étonné de comprendre Sardoche – presque.
L’esprit de compétition est présent dans le code source du jeu, ce n’est pas pour rien que LoL est le premier jeu e-sport au monde. L’ego, plus que tout, devient rapidement votre plus grand ennemi. Un feed (donner un kill à l’ennemi) de trop, un sort raté et c’est le “tilt”. De l’état colérique on sombre dans la déprime.
Je décroche un peu, de temps en temps. Pourquoi m’infliger ça ? Enchaîner défaite sur défaite pour quelques moments de gloire (certes, incroyables, mais trop rares) ? Il existe des dizaines d’autres jeux et le temps ne manque pas avec le confinement, alors pourquoi tant de gens s’évertuent à continuer LoL ?
D’autant que mon comportement n’affecte plus uniquement mon serveur Discord ou le chat du jeu :
“‘Par contre, je préfère vous prévenir, je me suis mis à ‘LoL’ pendant le confinement, désolé.’ À jamais, ce message restera dans ma mémoire : ce que je prenais pour une mise en garde prévenante et polie était en réalité un avertissement bien en deçà de la réalité que j’allais bientôt connaître. Mes nuits paisibles étaient désormais rythmées par des monosyllabes, onomatopées et autres insultes destinées à des enfants de 14 ans.
La façon dont il parle lorsqu’il joue me laisse croire qu’il appartient à une autre espèce, dotée d’un langage que lui seul et ses amis peuvent comprendre. Il s’est efforcé, à chaque fois que je le lui ai demandé, de m’expliquer les tenants et aboutissants du jeu. Tous mes espoirs de compréhension étaient immédiatement déçus dès qu’il se remettait à jouer et à crier dans son cryptolangage lolesque.”
Témoignage de mes colocataires, premières victimes de mes excès sur LoL.
Boys just want to have fun
“Il y a une notion de performance très tournée vers le KDA qu’il faut arriver à dépasser pour ne pas perdre toute estime de soi.”
Jonathan, joueur depuis dix ans, rank Gold.
Le KDA pour Kill/Death/Assistance est une notion très importante dans les jeux vidéo. Dans LoL, il est pour certains la priorité numéro 1, car plus vous tuez (et moins vous mourez), plus vous devenez fort au cours de la partie.
On aura beau vous dire que le KDA ne fait pas tout (et c’est le cas) quand vous vous retrouvez en 0/3/0 à 10 minutes de jeu, le moral est touché : vous vous découragez, vous y arrivez encore moins et subissez de plus en plus votre partie. Pour peu que votre adversaire se moque dans le chat général, c’est le ragequit assuré. Cet effet boule de neige de l’échec dans LoL peut vous mettre plus bas que terre.
Sur le conseil de mes mates, je commence alors à prendre un peu de recul. Je choisis des personnages que j’apprécie, j’arrête le temps de la soirée quand on perd trop et je reste sur des “victoires”.
Au début, je ne servais souvent à rien et attendais que mes mates me carry (portent le game à eux seuls). Peu à peu, je commence à comprendre les tenants et aboutissants des games : un bon move bien placé et c’est le win, le “GG”. Pas juste une victoire, mais la première grâce à moi. “League of Legends, c’est le jeu où tu es au fond quand tu perds mais qui te fait t’imaginer que tu es en finale des Worlds quand tu gagnes”, me résume un ami.
“Alors peut-être…“, me dis-je. Peut-être existe-t-il un monde où, au-delà de la colère, LoL m’apportera des moments d’extase dignes d’un grand proplayer.
I wanna be the very best
Je n’ai pas une âme très compétitive, je ne joue pas à beaucoup de jeux en ligne. LoL a pourtant réussi à générer une rage de vaincre que je n’avais jamais ressentie dans le jeu vidéo. Pour un touriste, League of Legends est à l’image d’un serveur parisien : malpoli, complexe à saisir, parfois méchant, mais une fois passées les (nombreuses) premières difficultés, on comprend pourquoi ce jeu est si populaire.
“C’est intéressant de voir l’impact que peut avoir le jeu sur une personne qui n’y a jamais touché : les difficultés, l’excitation de découvrir un jeu aussi complet, l’adrénaline de la victoire, l’éclaboussure de dopamine sur les murs quand il réussit enfin un move incroyable, mais aussi les accès de rage, les moments de doute face à la toxicité de la communauté, ou bien l’évidente mauvaise foi face aux conseils de joueurs plus expérimentés et aguerris.”
Jonathan, décrivant mes premiers moments sur LoL.
Me revoilà alors dans la Faille de l’invocateur, seul. Face à mes doutes, face à mes objectifs de “rank”, je commence à donner le meilleur de moi – et le pire. Je fracasse mon bureau, je hurle à la victoire quand mon équipe et moi-même effectuons une remontada digne du Barça.
Surtout, je me renseigne : tutos YouTube, op.gg, probuilds.net, suivi des Worlds sur Twitch, reddits consacrés aux mains, etc. De Corobizar à Yoonns, en passant par O’Gaming, je consomme désormais LoL matin et soir. Je me renseigne sur les changements de la “meta” (les meilleures stratégies à un moment T), je lis des pages de runes et continue encore et encore d’affiner mon jeu selon ce qui marche et (surtout) ce qui me plaît.
Peu à peu, on se rend compte que l’univers LoL va au-delà de quelques Turcs qui laguent et autres Espagnols malpolis dans le chat. Je commence à comprendre les blagues d’initiés. J’ai saisi pourquoi la “toplane ça abîme le cerveau”, je me moque évidemment de tous les nouveaux champions “broken” que Riot Games rajoute (“riot pls”), du bordel de la présaison, des skins de iencli – que j’achète.
Huit mois plus tard, je joue encore à League of Legends. Je carry (parfois), je perds, je tilt, je rage, je fais des pauses et j’y reviens. LoL est le type de jeu qui change un gamer, pour le meilleur et pour le pire, il repousse sans cesse vos limites mentales – parfois physiques.
Aujourd’hui j’attaque la saison 11 sereinement, prêt à en découdre dans la Faille de l’invocateur, avec mes amis, avec des inconnus sympas et d’autres idiots toxiques. Je ne regrette absolument pas de m’être lancé dans ce jeu, même si je remets en cause tous mes choix après chaque défaite cuisante.
Pour nous écrire : hellokonbinitechno@konbini.com.