Le Darknet n’est inconnu pour personne. Objet de scandales en tout genre, son acception est pourtant régulièrement utilisée à mauvais escient dans les médias. Pour rappel, il s’agit d’un ensemble de réseaux et de technologies indépendants utilisant l’infrastructure d’Internet et reposant sur une architecture décentralisée. Il n’y a donc en réalité pas un Darknet, mais des Darknets.
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Inventés dans les années 1970, ils ont occupé le devant de la scène dans les années 2010 en raison d’un démantèlement de sites Web hébergeant du contenu pédophile sur le réseau Tor (“The Onion Router”). Aujourd’hui, de nombreux Darknets hébergent des plateformes de marché en ligne où les adresses IP ne sont pas divulguées, ce qui confère l’anonymat aux internautes. Via le navigateur Tor par exemple, on peut accéder à des sites qui proposent du blanchiment d’argent, de la drogue, des faux papiers… et des vaccins contre le Covid-19.
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Des faux vaccins vendus aux quatre coins du monde
Plusieurs cas d’arnaque en ligne ont été identifiés au niveau mondial. En février dernier, la Chine a mis la main sur environ 60 000 doses de faux vaccins à base de sérum physiologique. En mars, plus de 5 500 flacons ont été saisis en Chine et en Afrique du Sud suite à une enquête lancée par Interpol, l’organisation internationale de police criminelle. Et ça, c’est seulement “la partie émergée de l’iceberg”, comme le rapporte Jürgen Stock, secrétaire général d’Interpol.
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La BBC a récemment mené l’enquête sur le marché florissant des faux vaccins vendus sur le Darknet. Depuis janvier 2021, les chercheurs de Check Point, une entreprise de cybersécurité, suivent de près toutes les annonces de vente en ligne. Les fournisseurs ont été identifiés un peu partout dans le monde : États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Russie… Ils proposent toute une sélection de vaccins : AstraZeneca, Sputnik, Sinopharm ou Johnson & Johnson. Il y en a pour tous les goûts.
Kaspersky, une société russe de cybersécurité, a aussi identifié des publicités proposant l’achat de doses Pfizer/BioNTech et Moderna. Les prix vont de 250 à 1 200 dollars, et les transactions se font majoritairement en bitcoins, ce qui garantit l’anonymat aux acheteurs. Outre le Darknet, les communications ont aussi lieu sur des applications de messagerie cryptées comme Wickr ou Telegram.
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Évidemment, il s’agit d’arnaques la plupart du temps. Certaines sont facilement identifiables, comme cette fausse dose de vaccin Pfizer mise en vente en décembre dernier. Il suffit de lire la description “Makers of the boner pill” sous le logo Pfizer pour comprendre le troll.
Un réalisme travaillé
Mais d’autres poussent le réalisme jusqu’à afficher des avis positifs et enthousiastes de consommateurs sous leurs produits. Alors oui, la crédibilité de certains est proche de zéro – qui peut prendre au sérieux ce commentaire s’exclamant en majuscules : “QUALITÉ DU PRODUIT AU TOP BRO” ? À moins d’avoir pu observer ses propres anticorps se développer par un moyen inconnu du commun des mortels, on se demande bien comment cet internaute a pu attester la qualité du vaccin. Mais d’autres messages plus sobres et réalistes suffisent à installer le doute : certaines commandes ont en tout cas l’air d’avoir vraiment été reçues.
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Kaspersky rappelle en effet qu’il serait tout à fait plausible qu’un employé d’hôpital ou de pharmacie ait réussi à se procurer des doses inutilisées en fin de journée pour ensuite les revendre. Ce sont alors les conditions de stockage et d’envoi qui sont à questionner : comment avoir la garantie que la dose a bien été conservée à la bonne température (jusqu’à -70 degrés Celsius pour Pfizer/BioNTech) ?
Avec un minimum d’esprit critique, il est donc facile de déceler les faiblesses de certaines contrefaçons et d’éviter l’arnaque du siècle. Mais ceux que visent ces fournisseurs, ce sont les impatients, les apeurés qui préfèrent se faire vacciner au plus vite, par n’importe quel moyen. Pour lutter contre ce marché frauduleux qui profite de la crédulité de certains, Check Point enjoint vivement tous les pays à adopter un système de QR codes sur l’ensemble de la documentation relative à la vaccination.
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La paperasse du Covid-19, un autre marché lucratif
Conscients des limites d’un tel exercice, certains fournisseurs ont donc opté pour un business plus light : la vente de fausses attestations de tests négatifs et de certificats de vaccination.
Comme le rappelle 20 Minutes, l’agence européenne de police Europol avait intercepté dès février de faux certificats de tests négatifs vendus dans les aéroports, mais aussi sur des applications de messagerie cryptées et en ligne. Certains avaient coûté jusqu’à 300 euros. Leur réalisme est permis par des outils technologiques de pointe comme des imprimantes et des logiciels très développés, avait précisé l’organisme dans un communiqué.
Selon une enquête de Cyberguerre, pour un montant entre 11 et 44 euros, le site russe Hydra vend des certificats de vaccination. Leur système de livraison est par ailleurs très évolué et garantit une sécurité supplémentaire. Au lieu de commander les certificats de vaccination pour se les faire livrer sur le palier par un facteur de La Poste, les acheteurs doivent retrouver leur commande cachée par des coursiers indépendants dans l’espace public.
Le Darknet a toujours été le théâtre d’affaires toutes plus sombres les unes que les autres : trafics de drogue, pédocriminalité, tueurs à gages… Mais le marché récent de vaccins et papiers liés au Covid-19 annonce une nouvelle forme de criminalité plus insidieuse, moins spectaculaire et pourtant tout aussi dangereuse. Une fois le vaccin administré à l’ensemble de la population, si nous venons à manquer d’un autre produit nécessaire à la lutte contre l’épidémie, il est certain qu’une nouvelle forme de commerce y naîtra aussitôt.
Pour nous écrire : hellokonbinitechno@konbini.com.