Si, vous aussi, vous avez cet irrépressible besoin de prendre 10 000 captures d’écran d’un jeu quand vous le trouvez beau, on a une bonne nouvelle. Dans Season : Une lettre pour l’avenir, le deuxième projet du studio canadien Scavengers Studio, votre mission est justement d’enregistrer tout ce qui vous entoure. Armé d’un appareil photo et d’un micro, vous arpentez un monde onirique à vélo pour faire le plein de souvenirs visuels et sonores, et c’est addictif.
Publicité
Publicité
Après son premier titre Darwin Project, un battle royale sorti en 2018 et rapidement tombé dans l’oubli, Scavengers Studio change drastiquement d’ambiance. Mêlant point and click et exploration, Season est une sorte de Life is Strange ésotérique, en plus artsy. On y incarne Estelle, une jeune fille qui quitte son village natal pour capturer le monde qui l’entoure. Sa mission : consigner photographies, enregistrements audio, esquisses, citations et babioles dans son journal pour les déposer à un mystérieux “Musée des souvenirs”. Le tout en une journée, avant que la “saison” ne s’achève.
Publicité
Ce voyage initiatique débute dans une chambre baignée de la lumière du matin. Une sacoche constellée de badges trône sur le lit : le départ est imminent. La caméra est pour l’instant verrouillée, impossible de promener son regard où l’on veut ; c’est un peu frustrant, mais elle retrouve sa liberté aussitôt dehors. Une fois les adieux faits à la maman, on se retrouve dans les rues endormies de Caro, le village qu’Estelle n’a jamais quitté. Le jour se lève, on écoute une dernière fois les conseils de notre papa disparu enregistrés dans le dictaphone, puis on enfourche un vélo… et c’est parti pour l’aventure.
Roulez, jeunesse
Season est loin d’être un titre contemplatif au mode passif. Au contraire, tout le gameplay est pensé pour que chaque petit geste ait son importance. On dévale des chemins dans un décor à couper le souffle, mais attention aux montées : il faut appuyer à tour de rôle sur les gâchettes gauche et droite de la manette pour pédaler. Une fois le pied à terre pour explorer les lieux, le maniement de l’appareil photo et du microphone est super intuitif. On peut s’accroupir pour capter le cri d’un crapaud, zoomer sur un nuage dans le ciel… Puis pimper le tout dans notre cher journal – et quelle satisfaction une fois une double page complétée !
Publicité
On multiplie aussi les découvertes et rencontres au gré du chemin. Pas de signalisation à respecter, quêtes, map ou autre indication : le voyage se fait au rythme que l’on souhaite. S’il y a bien un itinéraire à suivre tout au long du jeu, les errances sont possibles et mêmes encouragées. Petit détail bien pratique : si l’on ne se souvient plus où on a abandonné son véhicule après s’être aventuré un peu trop loin, une option “Récupérer le vélo” dans le menu permet de remettre immédiatement la main sur le guidon.
Publicité
Une fois arrivé dans l’énigmatique Vallée de Tieng, lieu paisible menacé par une inondation, on a l’occasion de discuter avec toute une série de personnages touchants, malicieux ou nostalgiques. Le choix de nos réponses à leurs questions impacte nos relations et, dans une moindre mesure, le scénario. Bref, on ne s’ennuie pas, on apprend à se perdre et on s’émerveille de tout.
Mode rafale activé
Il y a de quoi s’émerveiller : les graphismes minimalistes, les lumières et les couleurs si douces de Season semblent sortir tout droit d’un rêve. Développé grâce à Unreal Engine, le jeu met en scène des personnages en 2D dans un univers 3D sublime inspiré des impressions sur bois japonaises et posters des années 1950. Sans se surcharger de détails, les paysages laissent à voir les brins d’herbe agités par la brise, le reflet du Soleil sur la mer… On se retrouve à ressortir l’appareil photo toutes les trois secondes pour immortaliser l’instant – et pour une fois, ça sert vraiment à quelque chose.
Publicité
Bon, si les réglages de l’appareil n’égalent pas la précision du “mode photo” d’autres titres comme Red Dead Redemption 2, The Last of Us et autres Horizon, il n’en reste pas moins plutôt complet pour un outil au centre du gameplay. Comme dans TOEM, on peut zoomer et dézoomer, mais en plus, il est aussi possible de régler la mise au point et appliquer un filtre à l’image. Une fois le déclencheur pressé, le cliché sort sous la forme d’une photo Polaroid prête à être collée dans le journal.
Quand l’appareil ne suffit pas à capturer l’immensité d’un panorama, Estelle peut aussi s’asseoir sur un banc et y aller de son crayon pour esquisser une reproduction de la vue dans son journal. Une respiration entre deux courses à vélo à travers les champs et les plaines.
Côté sonore, n’importe quel son peut passer au micro : les bruits environnants, cris d’animaux, chants de personnages rencontrés, mais pas que. Ce petit dictaphone a aussi une fonction cruciale tout au long du jeu, qui permet de restituer des paroles inintelligibles pour leur donner sens… Mais nous n’en dirons pas plus.
De l’aube au crépuscule
Cette épopée met bien sept bonnes heures à être complétée. L’occasion de voir les paysages défiler, mais aussi évoluer au cours du temps. À l’image d’une saison qui laisse la place à une autre, le Soleil effectue sa course en même temps que celle d’Estelle tout au long du jeu. Si, au tout début, les rayons du Soleil levant illuminent le village, il laisse ensuite place au pourpre du crépuscule puis à la nuit constellée d’étoiles. Un rappel du temps qui défile inexorablement tandis que l’on fait le plein de souvenirs.
Toute la beauté de ce jeu réside dans sa perception du temps : ce voyage à travers le monde est aussi un voyage dans la mémoire de notre personnage. Un sentiment de profonde nostalgie, d’urgence face au temps qui passe trop vite, puis de profonde plénitude teinte toute l’histoire. Cette fameuse inondation qui menace la vallée de Tieng n’est autre qu’une jolie métaphore du temps qui s’écoule et emporte tout avec lui : paysages, animaux, constructions, famille, ami·e·s… sauf nos souvenirs, restés gravés dans nos têtes à tout jamais. Jusqu’à la prochaine saison.
Derrière Season, un studio en crise
Si Season propose donc une expérience de jeu hors norme, il en est tout autre du côté du studio derrière, Scavengers Studio. Selon une longue enquête de GamesIndustry.biz auprès de neuf ancien·e·s et actuel·le·s employé·e·s, le cofondateur Simon Darveau, ancien PDG et directeur créatif, aurait participé à l’installation d’un climat de travail toxique, marqué par du harcèlement moral et des agressions sexuelles.
Se décrivant lui-même comme “un chien en chaleur” pour justifier ses actes, Darveau aurait multiplié les remarques et comportements sexistes à l’encontre de plusieurs femmes du studio. En 2019, lors d’une soirée d’entreprise, il aurait agressé sexuellement plusieurs femmes selon les sources interrogées par GamesIndustry. L’une des conséquences directes de cet incident : son départ de son poste de PDG.
Officiellement, Simon Darveau n’était censé travailler que sur le titre Darwin Project ; la direction artistique de Season a été déléguée à Kevin Sullivan. Pourtant, les sources de GamesIndustry confirment que Darveau aurait bien travaillé sur le jeu. “Je ne veux pas que le super travail extrêmement beau de l’équipe sur Season dissimule l’individu problématique”, aurait déclaré un·e employé·e. En réponse, le studio a affirmé que “tout type de harcèlement est malvenu et inacceptable” et prend “très au sérieux toute plainte à cet égard.” Simon Darveau travaille toujours pour le studio en tant qu’ “employé non-cadre”, précisait un communiqué en mai 2022.
Season : Une lettre pour l’avenir est disponible depuis le 31 janvier sur PS4, PS5 et PC.