Seattle, 1996. Deux anciens développeurs de Microsoft, Mike Harrington et Gabe “Gaben” Newell, décident de quitter leur entreprise en vendant leurs stock-options, après respectivement 9 et 13 ans d’ancienneté. Forts de leurs capitaux, ils se tournent vers la création d’un studio de développement, et misent tous leurs jetons sur les jeux en 3D – qu’ils estiment être l’avenir (il y a des instincts comme ça).
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C’est ainsi qu’est créé Valve Software, le 24 août 1996, à Kirkland (Washington), le jour du mariage de Gaben. À l’époque, les deux compères ignorent que leur studio allait accoucher de jeux mythiques tels que Portal, Team Fortress, Counter-Strike, mais surtout l’incontournable Half-Life. De même, ils ne pouvaient imaginer que Valve allait être à l’origine d’une révolution dans l’industrie du jeu vidéo : Steam, pionnier des titres dématérialisés et racketteur officiel de nos portefeuilles pendants ses soldes de Noël.
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Pour son premier jeu, le jeune studio voit les choses en grand et développe un jeu d’horreur et de tir à la première personne reprenant le moteur Quake. Ils obtiendront le code source grâce à un ami chez Id Software, Michael Abrash. Chez Id Software, le scepticisme règne : ils sont peu à croire dans les capacités des deux anciens de Microsoft.
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Au final, 70 % du moteur sera modifié, et on assiste alors à l’une des premières utilisations de Direct3D, une technologie encore présente aujourd’hui dans nos ordinateurs. L’utilisation par Valve de l’animation “squelettage” est aussi un grand pas dans l’histoire du développement, permettant une économie de temps et de ressources.
Cependant, c’est surtout l’intelligence artificielle des ennemis qui va placer la barre très haut. Au lieu de n’avoir que des comportements automatiques, les adversaires de Half-Life ont de vrais réflexes intégrés et réagissent aux actions du joueur (à son plus grand désavantage).
Le pari du FPS narratif
Si Half-Life a autant marqué les esprits, c’est aussi parce qu’il est le premier FPS à avoir intégré une dimension narrative complètement indissociable de l’expérience de jeu. Les jeux de tir à la première personne comme Quake ou Doom ont été une grande source d’inspiration pour Valve, mais Gaben et Harrington souhaitaient aller plus loin en proposant une vraie histoire, avec son lot de suspense, de surprises et de frayeurs.
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La création des personnages et des ennemis fut donc encore plus cruciale. On pense en particulier au héros, Gordon Freeman (originellement “Ivan”), un individu assez normal et loin des héros sous stéroïdes de l’époque, idéal pour une identification plus facile.
Tout le charme de Half-Life réside dans sa narration, là où les autres FPS en faisaient une dimension secondaire voire absente, l’histoire, les dialogues et même l’humour du jeu vont au contraire sublimer un gameplay et des graphismes déjà très solides. Pour la première fois dans l’histoire, on continue un FPS avec le désir d’en savoir plus sur le scénario.
L’arrivée de l’artiste conceptuel Ted Backman dans l’équipe va aboutir à la création de nombreux ennemis cultes, dont les headcrabs, les barnacles, les houndeyes et Big Mama. Le terrible Mr. Friendly (un monstre qui n’apparaît finalement que dans les fichiers du jeu) fera notamment l’objet d’un entretien surréaliste avec Gaben :
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Gabe : “Et donc, c’est quoi ce truc sous ce monstre, Mr. Friendly ?”
Ted : “C’est son pénis.”
Gabe acquiesce discrètement.
Ted : “En fait, je me suis demandé : qu’est-ce qui fait peur à notre public ? La plupart sont des garçons de 14 ans. Les gros monstres avec des fusils à la place des mains, ils ont déjà vu. Du coup, de quoi ont-ils vraiment peur ? Je suis donc parti sur un sentiment qui correspondrait à une réaction ‘homophobe’.”
Un chef-d’œuvre acclamé
Lors de la première année de développement, Mike Harrington et Gabe Newell ont du mal à trouver un éditeur pour distribuer leur jeu. Beaucoup de portes se referment : un coup dur en comparaison à leurs années chez Microsoft. Le côté pourtant innovant de ce “FPS narratif” ne met pas en confiance et beaucoup craignent un projet trop ambitieux (et coûteux).
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Finalement, c’est Sierra qui leur ouvre ses portes : toute l’équipe est rassurée et se remet très sérieusement au travail. Dès l’E3 1997, un an avant la sortie du jeu, la machine s’emballe : les images du jeu et les premiers tests de gameplay affluent et sont salués par de nombreux médias (y compris en France par la presse généraliste).
Pourtant, malgré l’enthousiasme de la presse, on s’inquiète chez Valve : le level design est jugé plat et le scénario alambiqué. Pendant un an, l’équipe va alors revoir d’énormes parties du jeu, d’abord en étoffant un peu plus ses cartes et niveaux proposés, puis en révisant en profondeur le scénario (la création de Gordon Freeman date de ce moment-là).
Jeter une bonne partie du travail paiera puisque c’est ainsi que l’équipe de Valve trouvera la recette gagnante de son jeu, une ambiance entre Evil Dead et Die Hard, pour un résultat que nous connaissons aujourd’hui.
L’E3 1998 est historique pour Valve. À l’occasion du premier test de la version finale, les organisateurs désignent Half-Life comme meilleur jeu et meilleur jeu d’action du salon. Pendant les mois qui suivent, les développeurs se lancent dans un baroud d’honneur (“le crunch” comme on dit dans le milieu) pour boucler le titre avant Noël.
Le 19 novembre 1998 le jeu arrive enfin dans les magasins et les joueurs se ruent dessus (on estime les ventes à 9,3 millions d’exemplaires en 10 ans) et la presse est unanime : le jeu vidéo vient de faire un grand pas en avant.
Du succès à la postérité
L’héritage de Half-Life est immense. On pense bien évidemment à sa suite, sortie en 2004, qui deviendra elle aussi un grand grand classique du FPS. Mais, de manière générale, le titre a donné la définition de ce que doit être un jeu d’action.
La place donnée à la narration va permettre de décrisper beaucoup de studios sur cette question : alors que les histoires étaient autrefois plus réservées aux jeux d’aventure ou aux point’n’click, on n’hésitera désormais plus à donner des univers aux FPS. Des jeux comme le mythique premier Halo (2001) vont ainsi s’inspirer de la démarche de Gaben et Harrington.
Sur le plan technique, ce sont aussi de nouvelles technologies d’IA, d’animation et de level design qui vont être reprises par de nombreux studios : le FPS vient de faire un grand pas dans la gestion de la physique. N’oublions pas que l’on doit aussi à Valve la série des Counter-Strike (2000), l’un des opus les plus importants de l’histoire de l’e-sport – et dont le concept n’a pas tant changé, tellement il a été efficace pendant plus de 20 ans.
La postérité de Half-Life c’est aussi les Portal, les événements qui se déclenchent automatiquement, les puzzles qui vous font souffler entre deux combats dans un jeu d’action, mais aussi une meilleure considération de la gravité et de la physique – loin des Doom ou Quake, qui nous faisaient littéralement “glisser” sur les niveaux.
En 1999, Valve ajouta le mode multijoueur Team Fortress 1.5 dans son update 1.1. Ce jeu à la fois nerveux propose un système de neuf classes très différentes, qui impose aux joueurs de collaborer ensemble. Team Fortress 2 sortira neuf ans plus tard, pour le lancement de la plateforme Steam, et rencontrera un succès fou, toujours en partant du même système de classes. Mais aujourd’hui, le plus beau descendant de ces deux jeux multijoueur est Overwatch de Blizzard, qui a repris le système de classes, ainsi que toute la nervosité et la verticalité des deux opus, dans une optique plus compétitive.
Si on parle de Half-Life comme d’un pionnier, c’est parce que le coup de maître qu’ont osé Mike Harrington et Gaben a changé la vision de beaucoup sur les jeux d’action, notamment en rassurant les studios sur la possibilité de mettre le joueur dans des scénarios originaux. Pour ce qui est du grand public et de la presse, Half-Life a donné une image plus pertinente de ces jeux d’action en les rapprochant presque de l’art cinématographique, à une époque où le FPS se résumait surtout à exploser le plus d’ennemis possible.