La pression monte autour de la Chine, à quelques semaines des JO d’hiver de Pékin, qui se dérouleront du 4 au 20 février prochain. Quatre pays, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada, ont à ce jour annoncé un boycott diplomatique de la compétition et n’enverront aucun responsable politique sur place, à l’occasion de ce qui constitue pourtant l’un des événements sportifs majeurs à l’échelle du globe. Cette décision vient en réaction à différentes atteintes aux droits de l’homme et aux libertés de la part de l’Empire du milieu et s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu. Mais alors, comment interpréter cette stratégie d’isolement et pourquoi le sport s’impose-t-il autant comme terrain d’opposition idéologique et politique ?
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L’affaire Peng Shuai comme détonateur
C’est début novembre que les tensions entre la Chine et ses pourfendeurs occidentaux refont surface. En cause, l’affaire Peng Shuai, joueuse de tennis de 35 ans, ancienne 14e mondiale, demi-finaliste de l’US Open en 2014 et vainqueur de deux tournois du Grand Chelem en double. Cette dernière accuse publiquement le 2 novembre, sur le réseau social Weibo, l’ancien vice-premier ministre Zhang Gaoli d’agressions sexuelles et de viol. Rapidement (en 20 minutes), son message est effacé, le sujet censuré par la plateforme et Peng Shuai disparaît pendant plusieurs jours sans donner de nouvelles, suscitant une inquiétude croissante, d’abord dans le milieu du tennis avant de remonter jusqu’au CIO puis l’ONU. L’affaire devient politique.
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Et en dépit de plusieurs vidéos où Peng réapparaît, 3 semaines plus tard, au restaurant avec son coach puis lors d’un tournoi local (sans jamais s’exprimer), la pression sur la Chine ne retombe pas. Y compris lorsque le CIO (Comité International Olympique) affirme par deux fois avoir pu s’entretenir avec la joueuse. “Comme il s’agit d’une triple participante aux Jeux, le CIO aborde ces préoccupations directement avec les organisations sportives chinoises […]. Nous avons recours à la diplomatie discrète qui, compte tenu des circonstances et de l’expérience des gouvernements et d’autres organisations, est considérée comme le moyen le plus prometteur d’agir efficacement dans ce type d’affaires humanitaires”, s’est justifié l’organisation, accusée de complicité avec le régime dans la gestion de cette affaire.
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Le sport est devenu sino-dépendant
Si le CIO maintient cette neutralité dans sa posture, c’est parce qu’à l’image de bon nombre d’organisations, clubs ou entités du monde entier, les accointances avec la Chine sont multiples. Actionnariat, sponsoring, financement d’infrastructures… Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) évoque les “nouvelles routes de la soie” pour qualifier ces liens, financiers, commerciaux, que la Chine a su tisser dans le monde et qui pèsent dans le choix des uns et des autres au moment d’adopter une posture tranchée, notamment sur la question des droits de l’homme : “Ce qui a longtemps été vendu par la Chine comme du ‘win-win’ à ces différents acteurs engendre en fait une forme de dépendance et des pressions de différentes natures mises par le prisme des investissements économiques”.
Voilà qui explique pourquoi pour l’instant, seule la WTA, qui organise le circuit mondial du tennis féminin, a adopté une position tranchée vis-à-vis de l’affaire Peng. “J’annonce la suspension immédiate de tous les tournois WTA en Chine, y compris Hong Kong. En bonne conscience, je ne vois pas comment je peux demander à nos athlètes de participer à des tournois quand Peng Shuai n’est pas autorisée à communiquer librement et a, semble-t-il, subi des pressions pour revenir sur ses allégations d’abus sexuels”, a déclaré son président Steve Simon. Une position courageuse, dans la mesure où le poids financier de la Chine sur le tennis féminin mondial n’a cessé de croître depuis plusieurs années. Pour exemple, lors de la saison 2019, dix tournois disputés en Chine figuraient au calendrier WTA, contre seulement deux en 2010. Et depuis 2018, un accord entre la WTA et Shenzhen, qualifié par Steve Simon himself comme “l’accord le plus important et le plus significatif signé par la WTA depuis 45 ans”, permet à la Chine d’accueillir pour 10 ans et moyennant 1 milliard de dollars le Masters féminin, tournoi de clôture de la saison réunissant les 8 meilleures joueuses du monde.
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Accentuer la pression diplomatique
Mais alors que la question du Tibet, de Hong Kong ou des Ouïgours constituent des griefs de longue date, comment expliquer le flot de réactions générées par cette affaire Peng Shuai ? “La menace d’un boycott de ces Jeux existait depuis des années, mais il n’y avait pas de quoi formaliser cette position”, estime Carole Gomez. “Il y a un enjeu éthique, diplomatique et d’image. La question du respect des droits humains, des Ouïgours, existe depuis des années, mais les choses n’ont pas véritablement avancé. Là, il y a une concentration de l’attention et de la pression sur Pékin. On voit que ça dépasse l’affaire Peng Shuai et la question des droits humains”, nous explique-t-elle.
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“Pour les États-Unis, il s’agit de pointer du doigt la Chine, de la pousser dans ses retranchements dans un moment de gloire auquel elle se prépare depuis 8 ans car c’est un immense sujet de fierté pour elle. Pour la première fois de l’histoire des Jeux, une même vile aura accueilli les Jeux d’été et d’hiver”, rappelle la spécialiste en géopolitique du sport, avant d’insister sur le timing de tous ces événements : “La décision du boycott va occuper l’actualité durant les 3 prochains mois au minimum. C’est une utilisation opportune du calendrier. La mobilisation des États et d’organisations, sportives, des ONG, de la société civile, fait qu’on va parler de la Chine et des droits humains”.
La Chine, qui n’a pas pour habitude de se laisser dicter sa conduite, a rétorqué de manière cinglante par l’intermédiaire du porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin : “Le recours des États-Unis, de l’Australie, du Royaume-Uni et du Canada à la scène des Jeux Olympiques à des fins de manipulation politique est impopulaire et revient à s’isoler soi-même. Ils paieront inévitablement le prix de ce mauvais coup”. Pour Carole Gomez, “c’est une menace claire et non dissimulée. Parle-t-il de mesures de rétorsion politique ? Diplomatique ? Économique ? Cette réponse ne s’adresse pas seulement aux États-Unis mais à tous les partenaires de la Chine, notamment dans le contexte de ces nouvelles routes de la soie où l’on sait combien les investissements chinois sont nombreux. C’est une épée de Damoclès placée au-dessus d’un certain nombre d’acteurs, étatiques ou non, gouvernementaux ou non”.